Où est le souci?
Dans le contexte de l’union des marchés de capitaux, la supervision financière doit-elle être totalement transférée à l’Autorité européenne de régulation et de surveillance des marchés financiers (Esma), qui a son siège à Paris?
Oui, pour président français, Emmanuel Macron, qui a évoqué «cette cathédrale nouvelle» comme un moyen de mobiliser davantage d’épargne au service des entreprises européennes plutôt que de voir, par exemple, 300 millions d’euros partir aux États-Unis [le chiffre est issue du rapport Letta présenté le même jour, ndlr], au cours de sa conférence de presse après le conseil européen de jeudi. «Aujourd’hui, nous avons acté une méthode, des principes mais également un calendrier et déjà nous reviendrons sur ce sujet avec les premiers retours de la Commission européenne», a-t-il dit. Le président français a assuré que les discussions avaient permis de lever les ambiguïtés, que plusieurs pays – sans les nommer – ne faisaient que tenter «de lutter contre des éléments d’harmonisation fiscale», que d’autres craignaient «que ce soit un système de supervision unique qui vienne s’ajouter au système de supervision nationale qui recrée de la bureaucratie, de la lourdeur, ce qui n’est pas du tout l’intention. Elle est même contraire. C’est d’avoir progressivement un système unique, ce qui réduit les coûts de coordination, ce qui allège justement les choses et permet d’avoir une bonne circulation» des capitaux. Le président français s’est à peine défendu de vouloir attirer à Paris de l’activité financière, aujourd’hui disséminée dans différents pays européens, dont le Luxembourg.
Non, pour le Premier ministre, et treize autres chefs d’État et de gouvernement. «Le système actuel fonctionne», a déclaré M. Frieden, cité par nos confrères du Wort. «Alors pourquoi tout jeter par-dessus bord?» s’interroge-t-il avant d’ajouter «Nous devons éviter une surréglementation et une surcentralisation d’épargner des coûts aux entreprises et aux citoyens (…) Il ne sert à rien (dans ce contexte) de créer une quelconque organisation européenne, même si certains États voient cela comme la seule solution.»
Qu’est-ce que le rapport Letta?
Le , qui a été présenté au Conseil européen ce jeudi 18 avril, aborde l’avenir du marché unique européen. Ce rapport a été commandé par le Conseil européen à Enrico Letta, ancien Premier ministre italien et président de l’Institut Jacques Delors. Il se concentre sur la revitalisation du marché unique en intégrant une dimension géopolitique renforcée, en soulignant l’importance de la défense, des télécommunications, de l’énergie et des services financiers pour la compétitivité stratégique de l’UE. Ce rapport servira de base aux discussions politiques et aux décisions futures concernant le développement et l’amélioration du marché unique.
Que dit-il sur le sujet?
«À ce stade, la création d’un superviseur unique et centralisé dans l’UE pourrait être prématurée, car elle pourrait négliger les avantages de la proximité avec les divers marchés financiers et économies locaux au sein de l’UE. À l’inverse, s’appuyer uniquement sur une surveillance au niveau national est également inadéquat.»
«Une Autorité européenne des marchés financiers (Esma) renforcée, en collaboration avec les autorités nationales compétentes, pourrait assumer davantage de responsabilités de surveillance pour les grandes entités sur la base de critères tels que la taille, les activités transfrontalières et leur importance systémique, englobant les plates-formes de négociation, les émetteurs, les gestionnaires d’actifs et d’autres acteurs des marchés financiers. Compte tenu des efforts antérieurs, la progression vers une surveillance plus intégrée dans le domaine des valeurs mobilières implique de renforcer progressivement les pouvoirs de surveillance directe de l’Esma, en adoptant une stratégie ascendante. Cette approche ouvre diverses voies pragmatiques.»
«Une option consiste à transférer la surveillance des marchés les plus intégrés ou des acteurs importants du marché vers l’Esma, en particulier lorsque la surveillance s’avère plus efficace à un niveau supranational, comme pour les marchés d’actions. Une autre voie consisterait à ce que la Commission européenne évalue l’intégration du marché pour chaque directive ou règlement à l’avenir. Cette évaluation vise à identifier les domaines dans lesquels l’efficacité de la surveillance est la plus avantageuse et suggère un transfert de données à l’Esma chaque fois qu’une directive ou un règlement est soumis à une révision. Dans les cas où l’intégration du marché est moins apparente, la reconnaissance mutuelle et la convergence des pratiques de contrôle devraient suffire à garantir l’efficacité de la fonction de contrôle. Un tel transfert de pouvoirs soulève la question de l’adéquation des processus de gouvernance et de prise de décision de l’Esma.»
«Le renforcement de la surveillance directe de l’Esma devrait s’accompagner d’un changement dans le système de gouvernance. Actuellement, le conseil des autorités de surveillance et le conseil d’administration sont composés des autorités nationales compétentes, ainsi que du président et de quelques membres sans droit de vote. Cette composition ne garantit pas nécessairement l’efficacité des décisions de l’Esma ni le degré d’indépendance nécessaire, car elle intègre les intérêts des autorités nationales. Cette structure de gouvernance peut être un facteur qui rend plus difficile la prise d’action dans des domaines sensibles, notamment en ce qui concerne les mesures d’application de l’article 17. Le contrôle obligatoire des autorités européennes de surveillance (AES) inclut en effet: «l’impartialité, l’objectivité et l’autonomie de l’autorité».
Comme dans le cadre de la création de la BCE, M. Letta suggère la nomination supplémentaire de six autres membres, indépendants et hautement qualifiés, dont le président.
Et maintenant?
La communication post-Sommet des institutions indique que la Commission européenne doit avancer sur une série de thématiques, avant la fin de l’année, dont:
– la relance du marché européen de la titrisation, y compris au moyen de changements réglementaires et prudentiels, par le recours aux marges de manœuvre disponibles;
– l’amélioration de la convergence et de l’efficacité de la surveillance des marchés des capitaux dans l’ensemble de l’UE. Le Conseil européen invite la Commission à évaluer les conditions permettant aux autorités européennes de surveillance de surveiller efficacement les acteurs des marchés financiers et des capitaux au niveau transfrontière qui présentent la plus grande importance systémique, et à travailler sur ces conditions, dans le but de renforcer l’intégration financière et d’assurer la stabilité financière, de simplifier les processus et de réduire les coûts de mise en conformité, en tenant compte des intérêts de tous les États membres;
– l’amélioration des conditions applicables aux investissements institutionnels, de détail et transfrontières en fonds propres et aux possibilités de financement et de sortie pour les entreprises européennes en expansion;
– le réexamen et la simplification du cadre réglementaire des marchés financiers afin de réduire les formalités administratives.
Emmanuel Macron a donné rendez-vous au sommet des chefs d’État et de gouvernement de juin pour poursuivre la discussion. Il aura lieu les 27 et 28 juin.