La pénurie de matériaux dans la construction ne s’est pas résolue depuis avril, et les prix continuent d’augmenter. (Photo: Maison Moderne)

La pénurie de matériaux dans la construction ne s’est pas résolue depuis avril, et les prix continuent d’augmenter. (Photo: Maison Moderne)

La pénurie de matières premières dans le secteur de la construction perdure, et semble même s’aggraver. Ce ne sera pas sans conséquences sur les factures des entreprises et, in fine, des clients. Les premières citées sont très inquiètes pour les mois à venir et demandent de l’aide au gouvernement.

En début d’année, certaines entreprises du secteur de la construction ont vu les premières factures de leurs fournisseurs subitement augmenter. Mais aussi les délais de livraison des matériaux s’allonger, petit à petit, jusqu’à ce que la situation devienne terriblement . Quelques mois plus tard, elle ne s’est pas améliorée. Bien au contraire.

«Cela devient de pire en pire», témoigne , responsable de la société Félix Giorgetti. Les prix de certains matériaux ont doublé, et ce patron ne dispose d’«aucune date certaine pour les délais de livraison». Pour l’instant, aucun de ses chantiers n’a été mis à l’arrêt, et aucun des 450 salariés au chômage partiel, . Mais il craint une «catastrophe» si la situation perdure.

Des devis revus à la hausse

«Depuis fin avril, les fournisseurs de tous types de matériaux de construction ont continué à nous envoyer des augmentations (de prix, ndlr) de manière presque journalière», raconte, de son côté, Christian Nilles, le directeur général de Prefalux, spécialisée dans la construction bois, en plus de la toiture et du parachèvement. Soit l’un des matériaux les plus difficiles à trouver en ce moment. «On parle de 12 à 16 semaines» de délai pour ces produits, au lieu de trois à quatre avant la pénurie. «Certains de nos fournisseurs ont même décrété un arrêt de réception de commandes pour une, voire plusieurs semaines.» Prévoyante, l’entreprise fait déjà des réservations pour la fin d’année. Ses 270 employés échappent donc, eux aussi, au chômage partiel pour le moment.

Spécialisée dans le même matériau, l’entreprise de neuf salariés Evolubois vit une situation similaire. «Jusqu’à la fin de l’année, il va falloir s’organiser autrement», estime son gérant, Bruno Mallick, qui ne voit pas de sortie de crise avant cela. Il paie aujourd’hui 1.000 euros le mètre cube de bois, contre 450 euros avant la pénurie. Les grosses commandes sont devenues impossibles, il n’en passe plus que des partielles, quand il ne se rend pas directement chez le fournisseur pour acheter ce qui est disponible. «Les matériaux qui étaient faciles à trouver sont devenus rares. La même tendance s’amorce pour d’autres, comme l’ardoise ou le zinc.» Pour un retard moyen de deux à trois semaines sur ses chantiers, qui n’empêchent pas l’équipe de rester à plein temps.

Certains de nos fournisseurs ont même décrété un arrêt de réception de commandes pour une, voire plusieurs semaines.

Christian Nillesdirecteur généralPrefalux

Pour leurs contrats publics déjà signés, les entreprises comptent sur le mécanisme de révision des prix afin de combler l’augmentation des coûts.

En revanche, pour les particuliers, «c’est pour notre pomme», dit Marc Giorgetti. Des négociations se font au cas par cas chez Prefalux, qui «joue cartes sur table» avec ses clients, tandis qu’Evolubois s’estime «chanceuse» que les architectes avec qui elle travaille aient adapté les prix. Elles s’attendent en tout cas à voir augmenter les montants inscrits sur les prochains devis.

Et, par conséquent, les prix de l’immobilier.

Ce que confirme Alex Alexandrino, de l’agence immobilière Sylvie Becker. Pour lui, la pénurie de matériaux s’accumule, avec «le manque de main-d’œuvre, les investissements liés au Covid (masques, gel, etc.) et le manque de terrains et de biens à disposition». Il note aussi des retards sur les projets en cours, avec des délais passés de 15 à 22 mois, selon les architectes qu’il a contactés.

11 dossiers de chômage partiel validés

«La situation de la Chine en matière de croissance est toujours en train d’exploser», rappelle , secrétaire général du Groupement des entrepreneurs, qui représente le secteur. Ce qui a pour effet de faire bondir depuis plusieurs mois la demande en acier, cuivre ou bois. «Le fer de construction coûtait, en février 2021, 600 euros la tonne. Aujourd’hui, 890 euros», illustre-t-il. Et il n’a aucune idée de quand les prix baisseront de nouveau, «c’est le gros problème».

Il participera donc, avec la Chambre des métiers et la Fédération des artisans, à une rencontre avec le ministre des Travaux publics  (déi Gréng), lundi 7 juin. Où ils réitéreront leur demande: l’annulation des pénalités de retard pour les travaux publics et le versement d’acomptes, avec un prix révisé, avant la fin des chantiers.

Pour l’instant, sept entreprises du secteur ont bénéficié du chômage partiel pour une partie de leurs salariés en mai, et 11 demandes ont été acceptées par le Comité de conjoncture pour le mois de juin.

Pas d’impact sur les faillites

Cette pénurie entraînera-t-elle des faillites dans la construction? «Si cela devait avoir un effet – je ne sais pas si ça en aura un –, ce serait plus tard», devine , directeur général de la Chambre des métiers.

Selon les derniers chiffres de Creditreform Luxembourg, le 2 juin 2021, on comptait 466 faillites au tribunal de Luxembourg depuis le début de l’année, dont 48 dans la construction. Et 4 sur 59 au tribunal de Diekirch. «Il n’y a pas de divergence par rapport aux années précédentes», commente Tom Wirion. Le chiffre «peut paraître élevé», mais s’explique par le fait que grand nombre d’entreprises artisanales viennent de la construction. Selon les chiffres du , on comptait en effet 113 faillites dans la construction sur toute l’année 2020, 151 en 2019, et 114 en 2018. Creditreform confirme des données similaires à d’habitude.

La chambre professionnelle veut rester à l’écoute de ses membres. Elle va lancer une seconde enquête pour «mieux cerner le phénomène».

D’autres entreprises semblent moins touchées, comme celles qui se sont spécialisées dans la rénovation. «Nous ne ressentons pas tellement la pénurie», assure Marcio Barros, responsable de Craft Constructions (11 salariés). Pareil chez Soares Constructions, société d’une dizaine de salariés. «La matière première que je travaille, dans la maçonnerie, n’est pas celle la plus en pénurie», précise son directeur, José Soares. Il regrette seulement des retards d’une quinzaine de jours pour le bois et une hausse des prix d’environ 25%.