Un secteur de la défense efficace est essentiel pour l’autonomie stratégique de l’Europe, notamment pour répondre aux menaces extérieures, comme le conflit russo-ukrainien, toujours présent deux ans après son début, et les tensions croissantes au Moyen-Orient. Dans son rapport, Mario Draghi met en garde l’Union européenne, qui «peine à suivre le rythme de ses concurrents mondiaux».
D'après le l’UE consacre à la défense un budget qui ne représente qu’un tiers de celui des États-Unis. «Selon les données du Sipri, les dépenses de défense américaines s’élevaient en 2023 à environ 916 milliards de dollars, contre 313 milliards pour l’ensemble des États membres de l’UE.» La Chine occupe la troisième place avec un budget estimé à 296 milliards de dollars, qui pourrait en réalité être nettement supérieur. Les États-Unis et la Chine totalisent près de la moitié des dépenses mondiales en défense, les États-Unis y contribuant à eux seuls à hauteur de 37%.
Un constat d’autant plus alarmant dans le contexte géopolitique actuel, qui soulève des questions sur la dépendance de l’UE en matière de défense. La principale raison de ces lacunes? L’insuffisance des investissements des États européens dans la défense.
D’après l’ancien président de la BCE, seuls dix États membres de l’UE consacrent plus de 2% de leur PIB à la défense. Un nombre insuffisant. Si tous les États membres de l’UE et de l’Otan – l’Autriche, Chypre, Malte et l’Irlande ne font pas partie de l’organisation – atteignaient l’objectif des 2% fixés en 2014, les dépenses de défense augmenteraient d’environ 60 milliards d’euros.
Un objectif que le Premier ministre, (CSV), (en raison de la situation spécifique du pays, c’est le RNB qui sert désormais de base de calcul).
Pour rappel, le Luxembourg a seulement consacré 0,73% de son budget à la défense en 2023. Bien que ce résultat soit encore loin des 2% promis, les dépenses augmentent progressivement: 0,37% du PIB en 2014, 0,57% en 2022, et donc 0,73% l’an dernier. Le Luxembourg fait des efforts notables. D’ailleurs, si l’on se concentre sur la règle de l’Otan qui stipule que 20% des dépenses annuelles de défense doivent être allouées aux équipements majeurs, on constate que le Luxembourg est plutôt un bon élève, à en lire les chiffres de l’Otan.
R&D: l’UE patauge, le Luxembourg s’en sort
Autre aspect qui doit progresser dans le secteur de la défense pour Mario Draghi, la recherche et développement (R&D). Pourquoi? Bien que l’Europe dispose de technologies équivalentes, voire supérieures à celles des États-Unis – comme les chars de combat principaux, les sous-marins conventionnels, la technologie des chantiers navals, les hélicoptères et les avions de transport –, des faiblesses persistent. Selon l’Italien, elles se manifestent notamment dans les domaines des dépenses publiques globales, de l’empreinte industrielle, de la coordination, de la normalisation des produits, de la dépendance internationale, de la gouvernance et… de l’innovation.
Le rapport indique que l’investissement de l’UE dans la recherche et l’innovation en défense reste bien inférieur à celui de ses concurrents. En 2022, les États membres ont investi au total 9,5 milliards d’euros dans la R&D. À cela s’ajoutent 1,2 milliard d’euros du Fonds européen de la défense (Fed), portant le financement total à environ 10,7 milliards d’euros. Un montant qui est très éloigné des 140 milliards de dollars investis par le département de la défense des États-Unis l’année précédente.
Situation similaire pour le Luxembourg? Oui et non. Bien qu’à première vue, – avec une allocation moyenne de 661,6 euros par individu en 2022 –, cette impression n’est qu’un trompe-l’œil. En réalité, lorsque l’on examine le budget alloué en proportion du PIB, le Luxembourg se classe dans le ventre mou de l’UE (15e) avec 0,55%.
Cela n’empêche pas le Luxembourg de s’impliquer dans une multitude de projets de recherche militaires pour essayer de tendre vers les 2% du RNB. En ajoutant à cela votée afin de soutenir les projets et programmes en matière de recherche, technologie et développement à objectifs ou retombées visés dans le domaine de la défense et la présence de , le Luxembourg peut se réjouir de son bilan par rapport à ses voisins européens.
Un manque de collaboration entre les membres de l’UE
Même si l'industrie de la défense de l’UE demeure très compétitive à l’échelle mondiale dans certains domaines, elle souffre de problèmes structurels majeurs, principalement en raison d’un manque de collaboration entre les membres de l’alliance. En 2022, les achats collaboratifs européens de matériel de défense représentaient seulement 18% des dépenses en équipements de défense, un chiffre nettement inférieur au seuil de 35% convenu dans le cadre de l’Agence européenne de défense (AED).
Pour Mario Draghi, ce manque de coordination au niveau de l’UE et l’absence de normalisation des produits affaiblissent la base industrielle de défense de l’Union. Par exemple, l’Europe produit cinq types différents d’obusiers, tandis que les États-Unis n’en fabriquent qu’un seul. Il en va de même pour les chars de combat, avec douze types en Europe contre un seul aux États-Unis. Dans le secteur de la construction navale, le plus grand programme en Europe ne produit que 14% de sa flotte, souligne le rapport.
Triste constat, d’autant plus que lorsque les États membres de l’UE s’organisent et coopèrent, cela porte ses fruits. Mario Draghi cite dans son rapport l’exemple de l’Airbus A330 Multi-Role Tanker Transport, un avion de transport stratégique, de ravitaillement en vol et d’évacuation médicale, développé grâce à des projets collaboratifs de l’AED et de l’Otan. Ce programme a permis aux pays participants de maximiser les capacités de l’avion tout en partageant les coûts d’opération et d’entretien. Les six nations impliquées dans ce projet sont l’Allemagne, la Belgique, la Norvège, la République tchèque, les Pays-Bas et le Luxembourg.

La ministre belge de la Défense, Ludivine Dedonder, la ministre de la Défense, Yuriko Backes, et le général Steve Thull, chef d’état-major de l’armée luxembourgeoise, étaient réunis le 20 février dernier pour la réception de l’avion de transport A400M. (Photo: SIP)
Parmi les autres projets collaboratifs auxquels le Luxembourg peut participer, figure un autre avion de transport, , cette fois-ci intégré dans la flotte binationale belgo-luxembourgeoise. Le Luxembourg travaille d’ailleurs souvent en étroite collaboration avec la Belgique, comme en témoigne la
Le problème dans l’espace reste le même
L’espace est lui aussi un terrain stratégique pour les opérations militaires, notamment pour la surveillance et le renseignement. Bien que tous les États membres de l’UE le reconnaissent, ce n’est qu'en mars 2023, avec la mise en place de la Stratégie spatiale de l’UE, que des synergies entre l’espace et la défense ont commencé à se développer au sein de l’alliance européenne. Les États-Unis avaient pris des initiatives dans ce domaine dès 2018, tandis que la Chine évoquait déjà cette nécessité en 2015.
Résultat? L’Europe accuse un retard, tandis que les États-Unis demeurent le leader incontesté dans le domaine spatial, tant pour les programmes civils – comme l’exploration spatiale, l’observation de la Terre et les vols spatiaux habités – que pour la défense. En 2022, les applications de défense représentaient environ 60% des dépenses spatiales aux États-Unis, soit 37 milliards de dollars, selon le rapport de Draghi.
Autre complication: sur les 6.500 satellites qui doivent être lancés dans le monde d’ici 2032, seulement 10% seront européens. Un chiffre qui pourrait encore diminuer si l’UE ne comptait pas parmi ses rangs la société luxembourgeoise SES, qui détient une part importante du marché des satellites européens avec plus de 70 satellites déjà en orbite.
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Si le secteur spatial européen rencontre plusieurs problématiques, comme celle des lanceurs, la véritable gangrène est la même que pour la défense.
Autrement dit, un manque d’investissement – entre 2020 et 2023, l’investissement moyen par l’UE, l’ESA et les principaux pays européens s’est élevé à environ 2,8 milliards d’euros par an, contre 7,3 milliards d’euros pour les États-Unis et 2,3 milliards d’euros pour la Chine – et un manque de collaboration. Puisque seuls, les membres de l’UE ne peuvent rivaliser avec les deux géants que sont la Chine et les États-Unis, mais ensemble, ils pourraient sinon surpasser, du moins concurrencer ces deux mastodontes.