Le président de l’Association luxembourgeoise pour l’étude du droit de la concurrence plaide pour un meilleur contrôle de la concurrence au Luxembourg, à condition d’y affecter les moyens nécessaires, notamment en termes de ressources humaines. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne/Archives)

Le président de l’Association luxembourgeoise pour l’étude du droit de la concurrence plaide pour un meilleur contrôle de la concurrence au Luxembourg, à condition d’y affecter les moyens nécessaires, notamment en termes de ressources humaines. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne/Archives)

L’Association luxembourgeoise pour l’étude du droit de la concurrence (ALEDC) et la Chambre de commerce organisent, ce mercredi 14 juin, la 5e Journée du droit de la concurrence. Si le Luxembourg a progressé en la matière, quelques lacunes subsistent… Le point avec le président de l’ALEDC et avocat à la Cour, Gabriel Bleser.

Quatre ans qu’elle n’a plus eu lieu… Covid oblige. La Journée du droit de la concurrence organisée par l’ALEDC et la Chambre de commerce revient pour une cinquième édition, ce mercredi 14 juin à partir 9 heures. Le président de l’ALEDC, , évoque les avancées notables du droit de la concurrence, mais aussi sur les difficultés à poser un cadre juridique digne de ce nom…

Quel est le cadre en vigueur en matière de droit de la concurrence au Luxembourg? 

Gabriel Bleser. – «Une nouvelle loi est entrée en vigueur en début d’année. Elle a réformé le Conseil de la concurrence devenu un établissement public: l’Autorité de la concurrence du Grand-Duché de Luxembourg. Avant cette loi, le Conseil était un organe un peu hybride et atypique. Il y avait beaucoup de discussions sur son statut, son indépendance… 

Un projet de loi doit aussi être déposé – probablement au mois de juillet – sur le contrôle des concentrations, annoncé par le ministre de l’Économie  (LSAP). C’était prévu pour le printemps, mais cela a pris du retard.

D’un point de vue plus général, le Luxembourg est le seul pays de l’Union européenne (UE) où il n’y a pas de contrôle des fusions et des concentrations au niveau national. C’est discuté depuis plus de dix ans, mais jusqu’à présent, il y avait quelques élus politiques radicalement opposés à l’introduction d’un tel contrôle. Aujourd’hui, il semble y avoir un consensus pour introduire ceci au Luxembourg. 

Cette loi est-elle nécessaire? 

«En tant qu’association, on considère que c’est utile d’avoir cet instrument, ne serait-ce que pour la crédibilité de l’Autorité luxembourgeoise. Mais il ne s’agit pas de créer quelque chose qui ne sera pas utilisé intelligemment. Il faudra définir le chiffre d’affaires dans le projet de loi à partir duquel il faudra notifier une fusion. Le but n’est pas de notifier chaque petite fusion. C’est là une difficulté de l’exercice.

Les choses évoluent donc dans le bon sens? 

«Oui, tout est bien sur le papier. Mais le grand challenge sera celui des ressources (humaines, ndlr). Car si on introduit un réel contrôle des concentrations, il faudra renforcer les ressources de l’autorité actuelle, car il y aura des obligations et des questions de délais. On ne peut pas imaginer que ces délais ne soient pas respectés pour la communication de la décision.

Si on ne donne pas à l’Autorité les ressources nécessaires pour contrôler ces concentrations, elle n’aura plus la possibilité de faire son travail. C’est vraiment un risque. 

Quelles seront les prochaines étapes dans la mise en place d’un vrai «droit de la concurrence» au Luxembourg?

«On voudrait que des décisions sortent de l’Autorité, et qu’elles ne soient pas toujours des décisions de classement… Et qu’on voit de temps à autre des décisions de sanctions… Nous savons qu’il y a quand même matière à des ententes au Luxembourg, puisque tout le monde connait tout le monde. Je sais par exemple que certaines plaintes déposées auprès de l’Autorité n’avancent pas. Et nombreux sont ceux qui ne comprennent pas pourquoi.

Aujourd’hui, environ 15 personnes y travaillent, c’est plus qu’à l’époque du Conseil de la concurrence, alors c’est difficile de comprendre ce manque de décisions et d’adoptions, surtout au regard des priorités qui sont aujourd’hui fixées (*). C’est regrettable. Si une entreprise dépose une plainte et qu’elle doit attendre un an et demi pour obtenir une décision, pendant que l’Autorité réalise des enquêtes sectorielles sur les notaires, la bière, le secteur pharmaceutique ou , c’est un mauvais message envoyé, et l’Autorité risque de perdre en crédibilité. 

Quels sont les secteurs d’activité les plus touchés par des atteintes à la concurrence? La Place financière est-elle touchée?

«Le secteur financier tombe dans le champ d’application, mais ça n’est pas le terrain le plus propice à ces problématiques. Mais nous pouvons citer le secteur immobilier, et tout ce qui gravite plus généralement autour des marchés publics, car c’est très souvent à ce niveau-là qu’il y a des concertations entre acteurs. 

Quel message comptez-vous faire passer lors de cette 5e Journée du droit de la concurrence?

«Je voudrais dire aux entreprises qu’elles ont tout intérêt à investir dans la compliance concurrence. C’est vraiment dans leur intérêt. Celles que j’ai pu conseiller ou défendre par exemple sont venues un peu trop tard, et de façon générale, on va chez son avocat lorsqu’il y a un problème (rires).

Les entreprises ne veulent souvent pas investir dans une compliance concurrence comme elles le feraient pour la protection des données. Car elles ne se sentent pas forcément concernées. Et pourtant, cela serait une bonne chose pour elles de faire de contrôler régulièrement que leurs pratiques commerciales sont conformes aux règles de concurrence. Il n’y a pas que le consommateur qui peut agir.

On note toutefois qu’il y a eu des évolutions depuis une vingtaine d’années, mais il y a encore un déficit dans le réflexe de se renseigner et de se conformer. C’est justement l’un des objectifs de la journée que nous organisons.» 

(*) Contactée sur l’absence de décisions prises depuis 2021, l’Autorité de la concurrence, par la voix de son président , rappelle que le droit de la concurrence n’est pas sa seule mission. Concernant la loi qui a «transformé» le Conseil de concurrence en Autorité, «le législateur nous a aussi doté de compétences supplémentaires, en plus du droit de la concurrence». Parmi ces compétences: le contrôle des subventions étrangères (hors UE), le contrôle de la chaine d’approvisionnement agroalimentaire, la défense des intérêts collectifs en matière de marchés digitaux pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales, la réception et le suivi des signalements externes provenant de lanceurs d’alertes, ou encore l’assistance de la Commission européenne pour des enquêtes et actions menées sur le sol luxembourgeois… Autant de nouvelles compétences qui prennent du temps aux 27 personnes qui travaillent pour l’Autorité, mais «qui font du sens» selon son président Pierre Barthelmé qui rappelle qu’au cours des procédures, les entreprises ont aussi des droits, des observations à formuler, et qu’il ne s’agit pas de simplement prendre une décision. «Des décisions vont prochainement tomber», a-t-il annoncé. Enfin, concernant les enquêtes sectorielles, Pierre Barthelmé y voit une nécessité pour une bonne connaissance du marché. «Elles sont utiles, car avant de lancer des griefs, il faut comprendre les caractéristiques du marché!»

5e Journée du droit de la concurrence, mercredi 14 juin à partir de 9h.