Guy Daleiden est aux côtés de tous les intervenants du secteur du cinéma pour les soutenir dans cette période difficile. (Photo: Hadrien Friob/Archives Paperjam)

Guy Daleiden est aux côtés de tous les intervenants du secteur du cinéma pour les soutenir dans cette période difficile. (Photo: Hadrien Friob/Archives Paperjam)

Comme d’autres secteurs, le milieu du cinéma est touché de plein fouet par la crise sanitaire du Covid-19. Les tournages ne peuvent plus avoir lieu, les festivals sont annulés, tout comme les cérémonies de remise de prix. Pour faire le point sur ce secteur, Guy Daleiden, directeur du Film Fund Luxembourg, répond à nos questions.

Comment se porte le secteur du cinéma depuis le début de la crise liée au Covid-19?

.  «Le secteur du cinéma et de l’audiovisuel va mal, car il est à l’arrêt total et les gens ne peuvent pas travailler. Si cette situation n’est pas exclusive à ce secteur, elle n’en est pas pour le moins sérieuse et préoccupante. L’industrie du cinéma dépendant principalement des intermittents du spectacle et des indépendants qui n’ont pas encore nécessairement accès aux aides qui sont actuellement offertes.

Le ministère de la Culture, à travers le régime des intermittents du spectacle, est intervenu et a essayé d’aider au maximum. D’autres aides sont aussi en train d’être étudiées. Mais la situation générale est vraiment sévère.

Quelles sont les difficultés rencontrées?

«Plusieurs problèmes se posent. Comme il n’y a pas de tournage, aucune œuvre ne pourra sortir. De plus, il n’y a pas de travail pour les comédiens, les techniciens, les autres services liés à l’activité du tournage d’un film.

En ce qui concerne les tournages, il faut faire quelques distinctions. Il y a les tournages qui étaient en préparation et qui ont dû être reportés à cause du confinement. Puis il a les productions pour lesquelles tout était prêt et qui auraient dû commencer pendant le confinement. Et, enfin, les productions qui ont été interrompues à cause du confinement. Pour ces trois niveaux, il y a des difficultés spécifiques. Mais pour tous, il va falloir replanifier les équipes, les lieux de tournage, la location de matériel… Tout ce travail doit être refait, mais sans savoir exactement à partir de quand la production va pouvoir commencer, car nous n’avons pas encore de visibilité à ce sujet.

Il ne faut pas oublier que l’argent que le Film Fund investit dans une production cinématographique revient aussi dans l’économie luxembourgeoise.
Guy Daleiden

Guy Daleidendirecteur du Film Fund Luxembourg

De plus, nous travaillons quasiment toujours en coproduction. Et nous ne savons pas encore quelle sera la situation de déconfinement dans les pays coproducteurs. Ce qui ajoute une couche de complexité.

Ces reports vont inévitablement entraîner des surcoûts… Est-ce que le Film Fund pourrait prendre en charge ces coûts supplémentaires liés à la suspension d’activité?

«Effectivement, les producteurs vont devoir faire face à une hausse du budget initialement prévu puisqu’il y a des dépenses qui ont déjà été engagées et qui doivent être payées à nouveau à cause de la réorganisation du tournage. De plus, il y a d’autres frais supplémentaires qui sont directement liés à la situation sanitaire: achat de masques et de gants, heures supplémentaires liées au ralentissement de productivité que cette situation engendre. Autre exemple: pour le maquillage, on ne peut plus partager les pinceaux entre les acteurs, donc il faudra acheter du matériel supplémentaire. Mais aussi créer des cloisons, désinfecter les caméras… Ces frais supplémentaires, estimés entre 50 et 100€ par personne et par jour, vont retomber sur le producteur du film.

C’est pourquoi nous avons décidé avec notre conseil d’administration que le comité de sélection pourra prendre en considération tous les frais supplémentaires liés à la crise sanitaire. On devra, par conséquent, augmenter nos aides accordées en relation avec les dépenses supplémentaires liées au Covid-19. Mais il ne faut pas oublier que l’argent que le Film Fund investit dans une production cinématographique revient aussi dans l’économie luxembourgeoise, puisqu’il sert non seulement à payer les comédiens, les techniciens, le réalisateur et autres, mais aussi à payer, par exemple, des nuits d’hôtel, des services de catering, de la location de matériel, des constructions de décor…

La deuxième décision que le gouvernement entend prendre, mais qui est encore à l’étude, car il faut vérifier sa compatibilité avec le marché européen, est de développer des aides remboursables et d’autres non remboursables pour les sociétés de production qui souffrent de cette situation de non-tournage.
Guy Daleiden

Guy Daleidendirecteur du Film Fund Luxembourg

Est-ce que d’autres aides sont envisagées?

«La deuxième décision que le gouvernement entend prendre, mais qui est encore à l’étude, car il faut vérifier sa compatibilité avec le marché européen, est de développer des aides remboursables et d’autres non remboursables pour les sociétés de production qui souffrent de cette situation de non-tournage. Le problème pour les sociétés de production est qu’elles ne perçoivent pas de rémunérations mensuelles, mais qu’elles se rémunèrent sur les films qu’elles produisent. Or, sans tournages, pas de rentrées d’argent. Elles ont donc un problème de trésorerie qui risque d’entraîner une faillite. Et si les sociétés de production disparaissent, alors les films ne peuvent plus se faire et il n’y aura plus du tout de travail pour l’ensemble du secteur. Tout ce système se tient et c’est pour cela qu’il faut absolument garder en vie nos sociétés de production.

Par ailleurs, il existe un autre risque, autour duquel nous discutons au niveau européen, qui est le problème de l’assurance. À ce jour, il n’existe pas d’assurance qui prenne en charge le Covid-19. Donc les films aujourd’hui ne sont pas couverts par une assurance si les tournages doivent être arrêtés ou reportés à cause d’une personne infectée par le Covid-19. Nous sommes donc en train de voir au niveau européen si des moyens peuvent être développés pour s’assurer que les films qui devraient être arrêtés et ne pourraient plus se faire n’entraîneraient pas la faillite des sociétés de production.

À partir de quand et dans quelles circonstances les tournages pourraient-ils reprendre?

«Nous développons actuellement avec le ministère de la Santé et les associations de professionnels un protocole à respecter pendant les tournages. Nous espérons bien sûr pouvoir recommencer les tournages le plus rapidement possible. Juillet ou au plus tard début août serait encore une situation acceptable pour le secteur. Mais si les tournages sont autorisés à partir de cette date, il faut alors commencer à les préparer dès juin, puisqu’il faut compter entre six semaines et deux mois pour tout réorganiser.

Toutefois, il reste encore beaucoup d’incertitudes, notamment pour les tournages en coproduction. Il faudrait parvenir à un maximum de flexibilité entre les pays pour que les productions puissent reprendre dans un délai court. Il faut unir nos forces dans ces moments difficiles. Au niveau des directeurs des fonds européens, nous sommes en train d’analyser comment nous pourrions nous entraider pour permettre aux productions de se faire. Rien que pour le Luxembourg, nous avons encore 16 films à tourner dans les prochains mois.

Le fait que les films ne puissent par sortir en salle dans les mêmes conditions qu’auparavant influence aussi les recettes pour le producteur, qui perd les recettes liées aux ventes de tickets, mais aussi la notoriété liée au succès en salle, qui facilite par la suite la vente du film.
Guy Daleiden

Guy Daleidendirecteur du Film Fund Luxembourg

Début juillet, nous avons une cession du comité de sélection, avec beaucoup de demandes. Le secteur est prêt à travailler. Il ne manque que les autorisations. Des autorisations pour sortir, pour rassembler des équipes de plus de 100 personnes… Il faudra aussi tenir compte des situations des différentes communes dans lesquelles doivent se dérouler les tournages. Et tout devra être fait dans le plus strict respect des protocoles.

Il existe aussi un autre phénomène qui est l’annulation des festivals, des remises de prix ou même de la diffusion des œuvres dans les salles…

«C’est évidemment une autre difficulté: sans festivals, pas de marchés du film, pas de rencontres professionnelles, pas de discussions possibles pour des coproductions à venir. Une demi-douzaine de festivals ont déjà dû être annulés depuis le confinement, et si cela continue jusqu’à la fin de l’année, ce sera très difficile pour nos producteurs de développer des œuvres futures. Sans festivals, pas de remises de prix, pas de reconnaissance pour tout le travail qui a été fourni. C’est une perte de notoriété et de visibilité.

Le fait que les films ne puissent par sortir en salle dans les mêmes conditions qu’auparavant influence aussi les recettes pour le producteur, qui perd les recettes liées aux ventes de tickets, mais aussi la notoriété liée au succès en salle, qui facilite par la suite la vente du film sur les plates-formes de VOD ou auprès des chaînes de TV.

Le secteur de l’animation est-il, lui aussi, dans cette situation très critique?

«Le secteur de l’animation est un peu à part. Il parvient à continuer à travailler, mais à un rythme ralenti. Les sociétés d’animation souffrent un peu moins pour l’instant. Mais il est clair qu’elles ne parviendront pas à survivre ainsi encore longtemps. Pour elles aussi, il faut que le travail régulier reprenne, d’autant plus qu’il y a beaucoup d’échanges internationaux dans ce secteur. Pour elles, l’impossibilité de se voir et de voyager pose beaucoup plus de problèmes.»