«L’année passée, exactement ce jour-ci, c’était la première fois de ma vie que je voyais des annulations de 20 millions d’euros. En temps normal, nous avons un chiffre d’affaires de 2 millions d’euros par jour. Et, en avril, le jour le plus bas nous a permis de gagner 7.586 euros… Je pourrais toujours vous raconter combien a payé quelqu’un pour aller regarder des gorilles au Rwanda, mais ça ne change pas la situation de l’industrie… Il y avait des raisons d’être inquiets.»
Ce mercredi, à peine rentré des États-Unis où il a finalisé le lancement – qui aura lieu la semaine prochaine – de Luxaviation USA depuis New York, le CEO de Luxaviation, Patrick Hansen, rembobine 2020 et montre qu’il a su naviguer en pleine tempête de Covid-19.
L’aviation d’affaires a profité de la crise, affirment de nombreux articles, ces derniers jours. On vous a quitté inquiet, en avril, devant les confinements et les restrictions de voyage. Quel regard portez-vous finalement sur 2020?
– «Une fois que toutes les restrictions se sont légèrement allégées pendant les mois de juin, juillet, août et septembre, nous avons constaté que les gens avaient toujours envie de découvrir de nouveaux endroits et de vivre des expériences. Un grand nombre de vols ont eu lieu, mais ces vols étaient surtout des vols d’une ou deux heures sur de ‘petits’ avions – sans que cela soit péjoratif –, et pas de grands avions. Personne n’allait en Asie, ni aux États-Unis ni en Afrique, qui étaient fermés ou obligeaient à une quarantaine à l’arrivée des passagers. Et personne n’avait envie de ça. Or, nous, il y a quelques années, nous nous sommes justement spécialisés sur les ‘grands’ avions. Aujourd’hui, on est fier que plus de la moitié de notre flotte soit constituée de ces avions, qui sont là pour effectuer des vols intercontinentaux.
Vous avez continué à faire évoluer votre société…
«Après la phase de choc, on s’est demandé quoi faire. Plutôt que de faire de l’autruche, nous avons décidé d’entreprendre toutes les actions possibles pour sortir de cette crise dans une meilleure position. Nous avons notre division de FBO («fixed-base operator», ou centre de services aéronautiques, ndlr) et les lounges. En 2020, nous avons finalisé cinq acquisitions, soit pour le back-office, soit pour les VIP lounges. Une société qui fait du ‘flight dispatch’ en Roumanie, ce qui nous a permis de nous restructurer en vue du Brexit parce qu’on avait notre centre de ‘flight dispatch’ en Angleterre et que nous l’avons bougé à Timisoara. On a acheté les VIP lounges de Paris, de Berlin et de Munich. Et nous avons investi dans une société d’expériences de luxe et de culture.
J’ai vu passer votre campagne, malicieuse, sur le crémant luxembourgeois à bord des vols LXA Flyer. Qu’est-ce que LXA Flyer, exactement?
«Nous nous sommes dit qu’il y avait un nouveau client qui veut voler vers des destinations assez proches, qui cherche, d’un côté, à rester dans sa bulle sanitaire et qui regarde quand même le prix de ces vols. Nous avons lancé une nouvelle compagnie aérienne, LXA Flyer. Nous avons dû sécuriser de nouveaux avions. Le premier est arrivé, on va chercher le deuxième aux États-Unis la semaine prochaine, le troisième est commandé, et nous devrions monter la flotte à 24 avions. Le marché test sera le Luxembourg et la Belgique. Les premiers vols ont eu lieu, pour aller de Luxembourg à Cannes – pas à Nice – avec six personnes, pour un aller-retour à 5.000 euros environ. Moins de 1.000 euros par personne en toute sécurité! Les ultra-riches paieraient 65.000 euros pour le même vol dans un autre type d’avion. Les clients de Luxair peuvent se le permettre.
Et où les emmenez-vous?
«Où ils veulent. Le client dit qu’il veut partir à Venise, au Danemark, à Stuttgart, Biarritz, peu importe. On atterrit sur beaucoup plus d’aéroports que les vols commerciaux aujourd’hui.
Comment gérez-vous les coûts en customisant ainsi les vols?
«Cela fait 12 ans que nous avons toute l’expérience nécessaire du ‘handling’, nous faisons souvent notre ‘handling’ sur nos aéroports. Et nous avons choisi ce type d’avions pour ces raisons de coûts inférieurs. Nous avons fait nos calculs très, très précisément.
Faut-il que vous voliez souvent pour rentabiliser l’initiative?
«Avec chaque avion, je veux voler au moins 400 heures par an. Ce qui semble raisonnable. En général, si on sort du cadre de LXA Flyer, nous avons une approche où les avions ne sont pas les nôtres, mais ceux des autres. Leurs propriétaires paient la gestion de leur avion sur une base mensuelle. Même quand l’avion est cloué au sol, le client a payé ces frais pour ne pas réduire à zéro la valeur de l’avion. Nous avons aussi nos lounges et nos centres de services aéronautiques qui incluent le parking des avions ou leur stationnement dans des hangars. 2020 n’était pas l’année que nous espérions, mais elle a été meilleure que les pires scénarios que nous imaginions en avril.
Comme dans toutes les entreprises, la question de l’humain et des ressources humaines a également dû être clé pour vous?
«La gestion des ressources humaines a été la plus difficile pour notre société. Nous avons pu, un peu partout en Europe, profiter des supports gouvernementaux, comme le chômage partiel au Luxembourg, et nous remercions les autorités pour cela. Et à côté de cela, il y a quand même des endroits, comme Dubai ou l’Afrique du Sud, où ces dispositifs n’existent pas. Là, nous avons trouvé un accord avec nos équipes. Nous avons continué à les payer, même un peu moins. Nos collègues pouvaient continuer à vivre et survivre, dans beaucoup de cas, avec leurs familles. De notre point de vue, nous pouvions garder ces talents, qu’ils soient pilotes ou mécaniciens, auxquels nous avons consacré beaucoup de moyens dans l’entraînement et la formation. Nous avons pu les conserver pour le moment où les activités reprennent. Ça représente un coût significatif pour la société. Heureusement, juste avant la crise, nous avions vendu toutes nos activités de maintenance à Dassault. Cela nous a donné un montant en cash, qui a permis de financer ces mesures-là. C’était un choix. En fin du compte, les ressources humaines sont les plus essentielles pour une entreprise.
Aujourd’hui, où diriez-vous que nous en sommes, au niveau de cette crise?
«Une fois que les frontières s’ouvriront et les quarantaines ne seront plus en place, je suis sûr et certain que nos activités reprendront plus fortement qu’au cours des premiers mois de 2020. C’est juste une question de temps. Nous avons un FBO à Saint-Martin, la partie néerlandaise de l’île. Il a toujours une activité très saisonnière parce que les gens plus fortunés vont souvent à Saint-Barthélemy. Cette année, une lueur d’espoir est apparue fin décembre-début janvier: un nombre record d’atterrissages à Saint-Martin. En temps normal, 600 à 700 avions atterrissent chaque mois en décembre. Là, nous avons atteint les 900, en décembre et en janvier.
C’est un cas particulier ou un très bon signe?
«Les gens, dès qu’ils pourront – et pas seulement les plus fortunés –, vont vouloir sortir. Ces ruées vers ces destinations, comme Saint-Martin ou les Seychelles, où nous sommes aussi présents, vont se multiplier. Est-ce que cela va être fin avril ou mi-juin? À partir de mi-juin, sûrement! C’est un message d’espoir aussi que j’aimerais porter. Bien sûr, on doit tenir, on doit courir, mais la crise va finir par se terminer. Pour nous comme pour Luxair.
Vous revenez des États-Unis. Le lancement de Luxaviation USA est-il pour bientôt?
«Le plus grand marché de l’aviation d’affaires est les États-Unis, où nous avons toujours eu un petit bureau à Miami pour vendre des vols à des Américains qui voulaient faire des vols en Europe, en Asie ou en Afrique. Nous vendrons aux Américains des vols aux États-Unis. C’est un grand pas pour nous. Nous avons toujours évité le marché américain, et le moment est venu d’y entrer.
Pourquoi le moment est-il venu?
«Nous sortons de la crise mieux que certains de nos petits concurrents. Vu notre business model, je crois que c’est le moment pour entrer dans un marché où nous ne serons probablement pas les plus riches, mais nous avons un meilleur business model qu’un certain nombre d’acteurs locaux. J’espère pouvoir en profiter. Au début, nous engagerons une dizaine de personnes, des commerciaux surtout, avant de grossir progressivement. En termes d’avions, dans les mois à venir, nous visons une dizaine d’avions basés à New York.»