Laurent Rouach: «Si l’on parle de conception et de construction, la généralisation du Building Information Modeling en Europe constitue une grande avancée.»  (Photo: Maison Moderne)

Laurent Rouach: «Si l’on parle de conception et de construction, la généralisation du Building Information Modeling en Europe constitue une grande avancée.»  (Photo: Maison Moderne)

L’immobilier, sur l’ensemble de sa chaîne de valeur, est appelé à considérablement se transformer en s’appuyant sur la technologie. En témoigne l’engouement autour de la proptech, qui est à l’immobilier ce que la fintech est à la finance. Évocation de ces transformations avec Laurent Rouach, président de LuxPropTech, association dont la mission est de faire le lien entre les acteurs de l’immobilier et les acteurs innovants à même de soutenir la transformation de l’activité.

S’il y a bien un secteur qui a peu évolué au fil du siècle passé, c’est l’immobilier. Certes, les techniques et matériaux mis en œuvre au cœur d’une construction changent, contribuant notamment à l’amélioration des performances d’un bâtiment. Toutefois, l’activité tout au long de la chaîne de valeur, du financement des projets à la gestion des immeubles durant l’entièreté de leur cycle de vie, en passant par leur conception ou encore leur commercialisation, n’a pas connu la mue par laquelle sont passées de nombreuses autres industries. Pourtant, ces métiers, que l’on considère souvent comme traditionnels, pourraient tirer davantage parti des possibilités qu’offre la technologie. La transformation de cette industrie, si l’on en croit Laurent Rouach, représentant de la proptech au Luxembourg, est imminente. 

Insuffler l’innovation dans un secteur majeur

«La proptech, c’est l’équivalent de la fintech dans le domaine financier, mais appliqué à l’industrie de l’immobilier dans son ensemble», explique-t-il. «On parle d’un secteur qui pèse lourd et qui pourtant s’est peu transformé au fil des décennies et même des siècles passés. La proptech veut insuffler l’innovation au cœur de ces métiers, dans les processus, les produits, les pratiques, les services proposés à travers l’ensemble de la chaîne de valeur, de l’investisseur au locataire, en passant par l’architecte, le promoteur, le propriétaire.»

En Europe, on a en effet coutume de diviser cette chaîne de valeur en cinq segments: le financement, la conception/construction, la commercialisation, la gestion du bâtiment et son utilisation. «La technologie contribue à la transformation de chacun d’eux», assure Laurent Rouach, qui ne manque pas d’illustrer son propos avec des exemples. 

Transformer chaque métier

Si l’on parle de financement, la tokenisation permet de démocratiser l’accès à l’investissement immobilier, au même titre que le crowdfunding. «Si l’on parle de conception et de construction, la généralisation du Building Information Modeling (BIM) en Europe constitue une grande avancée. Pour chaque immeuble, autour des plans d’architectes en 3D, toutes les informations utiles, liées par exemple aux matériaux utilisés, à la manière dont les éléments doivent être mis en œuvre, sont rassemblées dans un même dossier numérique, qui constitue une réelle maquette digitale de l’immeuble», explique Laurent Rouach. «À travers elle, on peut savoir où se trouve chaque élément, ce qui facilite autant la gestion des chantiers que la maintenance dans le temps.» Ces modèles BIM constituent les prémices de jumeaux numériques des immeubles, permettant en plus de les visualiser en 3D ou de recourir à la réalité augmentée pour rendre compte des éléments. 

Imprimer nos futures maisons

Dans le domaine de la construction, l’impression 3D permet de construire plus vite à moindre coût. En matière de property management, l’internet des objets facilite le suivi de nombre de paramètres, y compris une analyse fine des consommations et émissions, et permet de recourir à des approches de maintenance prédictive des installations techniques. «Si l’on parle d’utilisation, la technologie permet de proposer de nouvelles expériences aux occupants. Le système clé/serrure, par exemple, est un élément inventé il y a 5.000 ans, en Égypte. D’autres solutions peuvent être aujourd’hui envisagées pour permettre un accès sécurisé à un espace», explique Laurent Rouach. Le recours à l’intelligence artificielle en soutien à la domotique permet aussi d’adapter l’immeuble aux habitudes des utilisateurs. 

Un vaste écosystème

Le champ des possibles apparaît comme extrêmement vaste, et un nombre croissant d’acteurs innovants s’y engouffrent. «On estime qu’il y a 3.500 acteurs de la proptech en Europe, et près de 8.000 dans le monde, dont une cinquantaine sont aujourd’hui des licornes. L’écosystème luxembourgeois compte une soixantaine de sociétés de la proptech, dont la plus en vue est sans doute Leko», explique Laurent Rouach. «En matière de digitalisation, l’industrie immobilière est très en retard et, de ce fait, a beaucoup perdu en productivité. L’enjeu, aujourd’hui, est d’accélérer la transformation.» 

Celle-ci, en outre, doit répondre à des défis importants de transition écologique et énergétique. «L’immobilier est un grand consommateur de ressources, l’un des plus importants émetteurs de CO2 et un producteur de déchets conséquent. 250 millions de tonnes de déchets sont produites chaque année en France. 70% viennent des bâtiments. L’un des défis est d’inscrire l’immobilier dans une logique d’économie circulaire, en pouvant suivre les matériaux, leur durée de vie, pour mieux les réutiliser», explique Laurent Rouach, qui précise que les grands acteurs de l’immobilier s’engagent dans de telles démarches en s’appuyant de moins en moins sur des bureaux d’études et de plus en plus sur des acteurs innovants.  

Valoriser le savoir-faire

Afin de soutenir cet engouement, LuxPropTech s’est récemment rapproché de son équivalent belge, Proptech Lab, pour totaliser 300 membres et soutenir une plus grande dynamique d’échange et de partage autour de la transformation des métiers de l’immobilier. «Notre volonté est de rapprocher les acteurs de la proptech des acteurs de l’immobilier, d’identifier les tendances et de les porter à la connaissance de nos membres, de faire connaître les acteurs luxembourgeois de la proptech en Europe et, in fine, d’attirer de nouveaux acteurs au sein de l’écosystème luxembourgeois», explique Laurent Rouach. 

C’est notamment ce qui a prévalu au lancement du premier sommet luxembourgeois de la proptech, qui a accueilli une quarantaine d’exposants et une trentaine de speakers, en juin dernier.