Stéphane Pesch, est chief executive officer de la Luxembourg Private Equity & Venture Capital Association (LPEA). (Photo: Patricia Pitsch / archives Maison Moderne)

Stéphane Pesch, est chief executive officer de la Luxembourg Private Equity & Venture Capital Association (LPEA). (Photo: Patricia Pitsch / archives Maison Moderne)

Le constat laisse rêveur: en moins de deux décennies, le volume d’actifs sous gestion dans le domaine du private equity est passé de presque rien à plus de 400 milliards d’euros, selon les estimations de la LPEA. Luxembourg domicilie 90% des fonds d’investissement européens spécialisés dans cette technique financière.

Une taille théorique, précise Stéphane Pesch, le chief executive officer de la (LPEA). «Théorique», parce que le secteur se compose, sur la Place, de fonds régulés – qui sont donc tenus de faire des reportings réguliers auprès de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) – et de fonds non régulés, qui, en fonction de leur taille, peuvent vivre leur vie sans avoir à communiquer trop de données. Sans compter le niveau «du dessous», celui des sociétés holding privées. «Avoir une vision globale du secteur en fonction de ses actifs est complexe.» Une complexité renforcée par le mode de fonctionnement des fonds de private equity: tout tourne autour de la promes­se (le commitment). L’investisseur, au moment de rentrer dans un fonds, fait une promesse par rapport à l’argent qu’il veut investir. Une promesse, car l’argent ne sera versé au fonds qu’au fur et à mesure que le gestionnaire prendra des participations.

Pour estimer la taille du secteur, il convient de se référer à l’étude annuelle lancée en 2017 par l’Alfi, Deloitte et la LPEA. Pour qui les actifs sous gestion du secteur étaient, en septembre 2019, de 149 milliards. Bien loin, donc, de la taille théorique de 400 milliards calculée par la LPEA, pour qui il faut prendre en compte les promesses pour se rendre compte de l’importance de cette industrie. Ce qui frappe, encore plus que la taille réelle ou supposée, c’est la vitesse de la progression des actifs sous gestion. En septembre 2017, Deloitte estimait les actifs sous gestion à 73,75 milliards d’euros. Fin septembre 2019, deux ans plus tard, ce montant avait doublé. La progression, on la trouve également dans la taille moyenne d’un fonds, qui, de 2018 à 2019, a progressé de 50%, à 200,6 millions.

C’est une vraie tendance: le ratio de création de fonds sur la Place est actuellement de 4 fonds alternatifs pour 1 fonds Ucits.
Stéphane Pesch

Stéphane PeschCEOLPEA

Les raisons de cet attrait sont multiples. On citera bien sûr les atouts traditionnels du Luxembourg, mais aussi l’environnement du monde de l’investissement, marqué par le niveau toujours historiquement bas des taux d’intérêt sur la décennie. D’où une attractivité qui ne se dément pas pour les produits alternatifs, dont les rendements sont considérés comme supérieurs à ceux des actions sur les marchés cotés. Et pas forcément plus risqués. «C’est une vraie tendance: le ratio de création de fonds sur la Place est actuellement de 4 fonds alternatifs pour 1 fonds Ucits. Si tous ces fonds alternatifs ne sont pas des fonds de private equity, ils en représentent quand même la majorité.»

Dans ce petit monde en pleine croissance, le Luxembourg est arrivé à occuper une place de choix: 90% des fonds d’investissement européens sur ce segment d’activité sont domiciliés au Luxembourg. «La place financière est le centre au départ duquel la grande majorité des acteurs private equity globaux mènent des opérations en Europe.»

Un succès que l’on doit à la «boîte à outils» luxembourgeoise, qui, depuis 2004 et la création de la sicar (société d’investissement en capital à risque), s’est étoffée, jusqu’à la création, en 2016, dans le sillage de la directive AIFM (Alternative Investment Fund Managers Directive), du fonds d’investissement alternatif réservé (Raif). Une boîte à outils qui a su prendre le relais de la fiscalité. Il est vrai que le Luxembourg a d’abord été utilisé par les opérateurs comme lieu d’implantation de sociétés d’acquisition et de détention de portefeuilles afin de bénéficier des avantages de l’exonération des plus-values de cession en cas de vente de la société cible, ainsi que des possibilités de structurer le rapatriement des gains vers les investisseurs, y compris des investisseurs situés dans des pays n’ayant pas de traités de non double imposition avec le Luxembourg. Le tout avec peu de présence ou de substance. Une époque révolue.

Conséquence logique: tous les grands noms de l’industrie du private equity sont désormais installés au Luxembourg. À des degrés divers. Il y a, bien sûr, des sociétés comme Mangrove Capital Partners ou Expon Capital, qui ont un lien historique avec le pays. Elles y sont nées, s’y sont développées et prennent leurs décisions depuis le Luxembourg. D’autres sociétés ont choisi le Luxembourg pour développer leurs activités vers l’Europe.


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Ces arrivées ont permis le développement d’un véritable écosystème complet. Ou presque. En 10 ans, constate Stéphane Pesch, l’industrie s’est développée sur toute la chaîne de valeur. Les professionnels ont renforcé leur substance et sont à la recherche de profils de plus en plus pointus. Notamment dans les domaines de la gestion du risque et de la compliance. «D’une Place de back-office spécialisée dans la comptabilité, la tenue de registres et les transferts, on est passé à une Place de middle-­office qui s’occupe de la gestion quotidienne des fonds AIFM. Le point sur lequel on doit s’améliorer, c’est le front-office. Il faut attirer les ‘Deals teams’, ces équipes qui décident de la stratégie d’investissement.» Les choses semblent aller en ce sens, relève Stéphane Pesch. Pour qui un cercle vertueux s’amorce: c’est en attirant les managers internationaux que les prestataires de services pourront continuer à croître.

La LPEA compte actuellement un peu plus de 300 membres. La majorité est constituée de managers, d’investisseurs et de family offices. Le solde est constitué de prestataires de services (firmes d’audit, de conseil, avocats et banques dépositaires) et de membres indépendants (des directeurs indépendants ou des start-up).

Au-delà d’attirer les équipes de front-office, d’autres défis se posent à l’écosystème du private equity luxembourgeois.

Il y a bien sûr le classique des classiques: «s’adapter aux évolutions réglementaires». La directive AIFM – qui date de 2013 – est en cours de modification. La Commission en est à la phase de consultation des professionnels. Il y a aussi l’implémentation de la directive SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation), qui touche aux reportings des obligations liées à la finance durable. «Sans oublier de regarder ce qui se fait ailleurs. Nos compétiteurs ne dorment pas. S’il y a des choses intéressantes dont on peut s’inspirer, que l’on peut implémenter par la suite, pourquoi ne pas le faire?» Sur le fond, Stéphane Pesch voit dans la finance verte une réelle opportunité. Même si ses ouailles semblent s’y intéresser en ordre dispersé. «Cela fait sens. Ce serait dommage de dire qu’il n’y avait pas moyen de faire autrement que de l’imposer quand même.» Sur le terrain, la tendance dominante est la pression mise par les investisseurs pour que les investissements des fonds produisent des impacts positifs sur la société. Du coup, de plus en plus d’acteurs se préparent à intégrer la taxonomie européenne et s’intéressent à des solutions de labellisation comme Luxflag.

La digitalisation est également un grand défi pour un secteur «qui, de par sa structure, au début, n’était pas très digital. Au tout début, certains travaillaient encore avec des fichiers Excel. Ce qui était un peu primitif.» Stéphane Pesch relève que les choses se sont grandement améliorées depuis. Une amélioration qui s’est jouée sur plusieurs niveaux. Chez les managers, d’abord: il fallait créer des portails pour que les investisseurs puissent avoir accès aux reportings. Cela permettait de répondre à la critique du manque de transparence du secteur, souvent comparé à celui des hedge funds. «Ils ont fait de gros efforts. Sous la pression des investisseurs.»

Du côté du back et du middle-office, ­Stéphane Pesch constate une industrialisation des processus, de plus en plus automatisés. Une conséquence logique de la recherche constante du contrôle des coûts.

Il relève aussi l’émergence de l’intelligence artificielle sur des opérations très ciblées, comme la présélection de projets. «Un gestionnaire peut recevoir jusqu’à 200 projets de start-up par jour. Avoir un programme qui procéderait à une présélection sur la base de l’expérience acquise serait génial.» Globalement, digitaliser permettrait de mieux coordonner les différentes équipes, leurs analyses des business cases et la prise de décision validant la levée de fonds et leurs engagements, et d’aboutir à des processus harmonisés de recherche d’opportunités d’investissement.

Le CEO de la LPEA voit également beaucoup d’attrait pour la technologie de la blockchain, notamment en termes de suivi des transactions et en matière de transfert d’actifs. «Tout le monde en a beaucoup parlé, mais cela ne s’est pas encore mis en place comme on l’espérait.»

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de  qui est parue le 24 mars 2021.

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