Avant d’analyser les tendances du secteur de la pharmacie et de la biotechnologie, il faut avoir un fait à l’esprit: seuls les producteurs de vaccins ont tiré profit de la crise du Covid. Les autres acteurs ont dû faire face à une situation de crise qui a accentué les déséquilibres préexistants.
Depuis le sommet boursier atteint en février 2021, la baisse des valeurs pharmaceutiques et biotechnologiques a été continue, estiment Marco Minonne et Lydia Haueter, membres de l’équipe du fonds Pictet-Biotech. Une diminution bien supérieure à celle du MSCI World qui est en baisse de 18% sur l’année. Depuis février 2021, la baisse se situe autour de 60%. Avec ces trois derniers mois en plus une augmentation de la volatilité. Si la volatilité dans le secteur de la biotechnologie a historiquement tendance à être extrêmement élevée, sa conjonction avec l’actuelle contreperformance apparait comme exceptionnelle. Au point que l’on a atteint un plus bas historique pour cette industrie.
Ce qui peut paraitre paradoxal compte tenu des énormes besoins en innovations thérapeutiques. «Il est évident que la hausse des taux d’intérêt est un contexte peu porteur pour les industries à forte intensité de capital qui ont alors tendance à sous-performer. Et c’est exactement ce que nous voyons», détaillent les deux gérants.
Un afflux de capitaux déstabilisateur
Mais ce sont les bas taux d’intérêt de ces dernières années qui ont jeté les fondations de la mauvaise performance du secteur.
Les conditions financières très favorables avec des taux durablement bas ont entrainé des investissements massifs dans les biotechnologies. Des investissements renforcés par la crise du Covid. «En 2020 et 2021, nous avons vu un énorme pic d’introductions en bourse, relèvent Marco Minonne et Lydia Haueter. Avec à la clé une augmentation du nombre d’entreprises sur le marché, «ce qui est incroyable».
Cet afflux d’argent a eu un premier effet pervers: accroitre la concurrence entre les acteurs, particulièrement dans la recherche de patients à inscrire dans des essais cliniques. Face à la pénurie de patients, les règles d’inscription sont devenues moins strictes, ce qui a fait augmenter le risque clinique de ces essais. Logiquement, «les résultats des essais cliniques au cours des 12 derniers mois ont empiré».
Deuxième effet pervers: face au manque relatif de sociétés dans lesquelles investir, les investissements sont faits de plus en plus tôt, au stade préclinique. «Stade le plus risqué», rappellent Marco Minonne et Lydia Haueter. «Habituellement, les sociétés de capital-investissement et de capital-risque financent ces sociétés de stade préclinique jusqu’au stade du ‘proof of concept’, c’est-à-dire jusqu’à ce que le médicament démontre qu’il fonctionne chez l’homme. Ce n’est qu’après que les sociétés entrent sur les marchés boursiers ‘publics’. L’afflux massif de capitaux a accéléré l’accès de ces entreprises naissantes aux marchés publics. Ce qui a eu pour effet de déplacer la courbe de risque des marchés privés vers les marchés publics. 90% des entreprises introduites en bourse depuis 2021 affichent des performances négatives.»
Autre facteur aggravant, le lancement du fonds ETF ARK Genome qui a mis de «l’huile sur le feu» en ouvrant le marché aux investisseurs particuliers. Un afflux supplémentaire de liquidités qui a mis les biotechnologies dans un tourbillon de buzz qui a permis à des entreprises non rentables de décoller, estiment les gérants. «Il y a eu une véritable euphorie sur le marché pour toutes ces entreprises non rentables.» Une euphorie qui a impacté négativement la performance du secteur et a contribué à sa chute des derniers mois, estiment Marco Minonne et Lydia Haueter. Les Spac, très à la mode ces derniers mois, ont également participé à ce mouvement.
Au final, les risques n’ont pas été récompensés à leur hauteur pour les investisseurs. Des investisseurs qui ont été échaudés – effrayés – par la multiplication des échecs cliniques de ces derniers mois. «Une rafale de nouvelles négatives qui ont pesé sur le secteur.»
Les effets négatifs du Covid
Le secteur a essuyé d’autres vents contraires liés au Covid.
On aurait pu penser que la pandémie allait profiter au secteur. Au final, seuls les fabricants de vaccins en ont vraiment profité, pas les fabricants de traitements. Quels qu’ils soient.
Sur le terrain, la pandémie c’est une baisse des visites «en personne» chez le médecin avec à la clé moins de prescriptions et moins d’examens; une baisse des diagnostics de cancer d’environ 5% à 20% par rapport aux niveaux prépandémiques; un manque de patients volontaires pour des essais cliniques, ce qui a entrainé des retards et une baisse de qualité des résultats.
Enfin, la FDA – La Food and Drug Administration américaine, le régulateur référence du secteur – a été submergé par les demandes liées au Covid, ce qui a entrainé beaucoup de retard dans le traitement des demandes d’agrément pour les autres médicaments et des examens de dossiers erratiques. La forte aversion au risque de la FDA l’a incitée à suspendre très facilement – un peu trop même du goût des deux analystes – des essais cliniques.
Vers un retour salvateur des opérations de fusion-acquisition
Enfin, les fusions-acquisitions – une des clés de la performance boursière du secteur ces dernières années – ont été très rares ces derniers mois. «Face à des valorisations portées par l’afflux d’argent et l’excitation autour des vaccins, les grandes entreprises pharmaceutiques et biotechnologiques, même si elles avaient des besoins – et la puissance de feu financière –, attendaient que les valorisations redescendent à des niveaux conformes aux fondamentaux des entreprises cibles. Mais même lorsque ces valorisations baissaient, les dirigeants, grisés par les niveaux atteints n’étaient pas prêts à vendre. Toutefois, face à une baisse de leurs liquidités et de leurs bilans, la pression se fait forte et les transactions repartent.» Le fait nouveau, soulignent Marco Minonne et Lydia Haueter, «c’est qu’un nombre record de biotechs se négocient en dessous de leur niveau de liquidités en termes de capitalisation boursière, ce qui est incroyable».
Pour les deux analystes, une reprise des fusions et acquisitions aurait comme première vertu de relancer l’intérêt sur le secteur et d’améliorer la gestion des acteurs. L’acquisition annoncée en début de mois par Pfizer de Biohaven Pharmaceutical Holding Company pour 12 milliards de dollars annonce cette reprise estiment-ils. «Nous pensons que le second semestre de cette année verra un regain d’activité dans le domaine des fusions et acquisitions.» Les grandes sociétés pharmaceutiques et biotechnologiques vont devoir faire face, entre 2025 et 2030, à la perte de 150 milliards de dollars de vente à cause du passage dans le secteur des génériques de nombreux médicaments phares. «Il est donc évident qu’ils ont besoin d’innovation, d’actifs, afin de maintenir les taux de croissance actuels de leur base de revenus.»
Marco Minonne et Lydia Haueter estiment également que le resserrement du financement aura des effets bénéfiques. En permettant un retour à des valorisations basées sur les fondamentaux économiques d’abord. Puis en permettant la réalisation d’essais cliniques de bonne qualité qui permettra de limiter l’accumulation de mauvaises nouvelles. Les deux analystes espèrent que la crise du Covid dépassée, les régulateurs comme la FDA pourront se consacrer à leur mission et offrir ainsi une meilleure prévisibilité au secteur quant au développement de nouveaux traitements que tout le monde attend.