Ce petit perfecto en cuir d’une grande maison italienne en édition limitée que l’on ne trouve plus nulle part ailleurs ou cette paire de chaussures de la célèbre marque à la semelle rouge moitié moins chère que le prix d’origine. Il y a aussi ces petites robes de marques premium, voire haut de gamme, vendues presque au même prix qu’une robe de fast-fashion. Ou encore ce sac d’une grande maison française qu’une jeune active va – enfin – pouvoir s’offrir… Des pièces d’occasion, parfois rares, mais toujours vendues moins cher qu’en boutique: c’est le credo de la seconde main.
Un marché qui pèse désormais plus de 1,28 milliard d’euros à l’échelle mondiale et a déjà séduit 87% des Européens, porté par une baisse du pouvoir d’achat, l’explosion de l’e-commerce et par des considérations écologiques croissantes de la part des consommateurs, rapporte Wavestone, cabinet de conseil en stratégie et en management.
Au Luxembourg, on compte aujourd’hui une dizaine de boutiques de ce type rien que dans la capitale, avec des positionnements variés. Parmi elles, Lena Second Hand Shop, située avenue de la Faïencerie au Limpertsberg, l’une des plus anciennes du pays. À sa tête, Thi Thu Ha NGuyen, couturière de métier et passionnée de mode. Elle a repris la boutique en 2008, «mais elle existait déjà 16 ans avant mon arrivée», précise-t-elle. Sur deux niveaux, on trouve des pièces de luxe ou haut de gamme, pour femmes, hommes et adolescents.
La patronne a opté pour la formule dépôt-vente, comme la majorité des boutiques luxembourgeoises de ce type. «Cela évite d’acheter du stock et permet de proposer de nouveaux produits plus souvent, en fonction des saisons», explique-t-elle. Mais la formule a aussi ses inconvénients. «Cela implique beaucoup de travail, il faut tout noter, tout consigner, savoir quelle pièce appartient à quel client. Cela exige une grande organisation.» Si contrairement à d’autres, elle parvient à clôturer ses comptes avec un résultat net positif, «pas de recette miracle», dit-elle. «Si vous êtes ouvert, que vous aimez ce que vous faites, que vous discutez avec les clients et apportez un conseil, je pense que le chiffre d’affaires se fait tout seul.»
Sur six commerces de ce type dont nous avons analysé les comptes publiés au registre du commerce, on constate que seulement deux ont réussi à dégager des bénéfices à l’issue de leur dernier exercice. Les quatre autres affichaient des déficits pouvant atteindre la dizaine de milliers d’euros. Pour autant, on constate qu’ils parviennent peu à peu à redresser la barre ces dernières années.
«Un business de moins en moins rentable»
Rue du Fort Neipperg, dans le quartier de la gare, Michel Lindner, le patron de la boutique Trouvailles, ouverte en 2018, parle d’un business de moins en moins rentable. «C’est devenu plus difficile depuis quelques années, d’abord parce qu’il y a de plus en plus de boutiques et de pop-up. Depuis le Covid, tout le monde s’y est mis. Les clients sont attirés par la nouveauté et aiment changer, aller voir ce qui est proposé ailleurs. À cela s’ajoutent l’inflation, la guerre en Ukraine qui font que les gens achètent seulement ce dont ils ont vraiment besoin», constate-t-il. Désormais, il travaille non plus avec deux, mais une seule vendeuse.

Située rue du Fort Neipperg, la boutique Trouvailles fait face à une rentabilité en baisse en raison de la concurrence croissante, de l’inflation et de la prudence des clients, en misant sur l’achat-revente de marques abordables plutôt que sur le dépôt-vente. (Photo: Maëlle Hamma/Maison Moderne)
Contrairement à ses concurrents, lui a abandonné la formule de dépôt-vente, qu’il juge trop contraignante, et privilégie plutôt l’achat-revente. Ce qui implique de mobiliser de la trésorerie pour garnir les rayons de pièces d’occasion, plutôt des marques mainstream ou premium. «Ici, nous sommes dans un quartier où les clients cherchent du ‘pas cher’», indique-t-il.
Une question de prix?
Mais à quel point l’argument du prix pèse-t-il dans la tendance grandissante de la seconde main? Au Luxembourg, la dernière étude complète sur le sujet remonte à 2021. Réalisée par l’Ilres, elle indiquait que les vêtements, chaussures et accessoires de mode sont les types de produits les plus concernés par le réemploi: 61%, contre 31% pour les meubles, et 24% pour les appareils électroménagers. Parmi les adultes, 34% déclaraient avoir déjà acheté des vêtements de seconde main et 27% qui ne l’avaient jamais fait se disaient prêts à le faire.
L’étude en question s’intéressait aussi aux raisons qui conduisent à ce type d’achat: on retrouve en effet l’argument du prix (46%), les motivations écologiques (29%) ou la volonté des consommateurs de lutter contre la surconsommation et le gaspillage (19%).
Plus récemment, en 2023, Eurostat a consolidé des données concernant les personnes qui n’ont pas les moyens de se racheter des vêtements neufs en Europe. Au Luxembourg, seulement 3,6% de la population est dans ce cas de figure, bien moins que dans les pays voisins (7,3% en Belgique, 9,4% en France, 7% en Allemagne).
Une offre de plus en plus conséquente
Également, en 2023, le «Retail Report» de la Chambre de commerce faisait état d’une augmentation notable des formats de vente alternatifs au Luxembourg, notamment les commerces de mode de seconde main en hausse de 42,9%.

Située boulevard Royal, la boutique Royal Second Hand observe un recul du luxe ostentatoire au profit de pièces plus discrètes, s’adapte à une clientèle variée en misant sur une sélection accessible et un modèle de dépôt-vente renforcé par le contexte économique. (Photo: Maëlle Hamma/Maison Moderne)
Les patrons de boutique de seconde main que nous avons interrogés évoquent tous une tendance qui a bondi après le Covid et une concurrence de plus en plus féroce. Chez Royal Second Hand, située boulevard Royal et également l’une des plus anciennes du pays, Isabelle Boez et Lino Intini sont aussi guidés par leur amour des belles pièces. «Après le Covid, il y a eu un gros boom du luxe de seconde main. Alors qu’aujourd’hui, cela s’est estompé et on sent plutôt une tendance à la discrétion, avec des pièces moins luxueuses, plus discrètes (ce que l’on appelle la tendance du ‘quiet luxury’, ndlr). Cela s’explique peut-être par une insécurité grandissante en ville», pense la patronne. Les classiques, comme le Kelly ou le Birkin d’Hermès, sont en revanche toujours très recherchés.
Pour tirer son épingle du jeu, le couple essaie de sélectionner des pièces qui correspondent à toutes les bourses et sa clientèle se compose aussi bien de touristes que de locaux. «De plus en plus de personnes nous confient des vêtements en dépôt, ce qui s’explique sans doute par un besoin d’argent, vu la conjoncture, mais aussi parce que les gens ont certainement moins ce besoin d’accumuler. De notre côté, nous devons être capables de choisir les bonnes pièces qui plairont à notre clientèle, d’authentifier les pièces de luxe, et de fixer le bon prix, ce qui se fait en discutant», explique Isabelle Boez.

Engagée contre la fast-fashion, la boutique Dress and Co, rue des Capucins, propose une sélection premium et vintage en dépôt-vente, excluant certaines marques et misant sur une offre soignée. (Photo: Maëlle Hamma/Maison Moderne)
Des «contraintes» ou difficultés qui n’empêchent pas de plus jeunes commerçants, qui se disent guidés par leur conscience écologique, de se lancer. C’est notamment le cas de Caroline, la patronne de Pardon My Closet, avenue Monterey, et d’Elias Adjaoud, de Dress and Co, rue des Capucins. Tous les deux ont d’abord expérimenté la formule «pop-up» avant de pérenniser leur activité dans des locaux commerciaux en location.
«Ce qui m’anime, c’est l’aspect écologique et le fait de lutter contre la fast-fashion et ses dérives», dit Elias, qui a fait le choix de «bannir» certaines marques, telles que H&M ou Zara, de sa boutique et de développer une offre plus «premium» avec des marques telles que Sandro, Maje ou Claudie Pierlot et une attention portée aux dernières tendances et aux pièces vintage originales.
Lui aussi a opté pour la formule dépôt-vente. «Cela implique de se mettre d’accord avec le vendeur et nous arrivons toujours à nous entendre. Pour fixer les prix, je me base aussi sur une sorte d’argus qui existe dans notre milieu», explique-t-il. Suffisant pour en vivre? Pas toujours, à en croire le témoignage du jeune entrepreneur. «Nous arrivons à payer le loyer, c’est déjà ça. Certains mois fonctionnent mieux que d’autres», confie celui qui a aussi fait le choix de proposer quelques pièces neuves, rigoureusement sélectionnées.
Malgré le nombre croissant de boutiques, la patronne de Pardon My Closet parle d’offres qui se complètent. «Certaines boutiques sont davantage orientées sur des pièces vintage, d’autres sur le luxe. Il m’arrive parfois de renvoyer vers d’autres boutiques de seconde main pour certaines pièces spécifiques.» Pour autant, compte tenu de la taille du pays, «ce petit marché pourrait vite être saturé», pense Caroline.
La jeune femme veut cibler une clientèle plus large avec des pièces pour tous types de porte-monnaie. «Je suis davantage axée sur le style que sur la marque. Mon pari, c’est que l’on peut être stylé avec de la seconde main. Il y a aussi une notion de service avec l’envie de faire changer la perception de la mode, de donner une seconde vie à des vêtements.» Et cela se ressent dans l’aménagement de la boutique, où la mise en valeur des pièces, par couleur, est soigneusement pensée.
Si la «passion» et la «conscience écologique» semblent guider les plus jeunes, il s’agit tout de même de pouvoir en vivre… «Nous avons beaucoup de charges, notamment les loyers qui sont plutôt élevés à Luxembourg. Et nous avons forcément des marges moins élevées qu’un commerce lambda. C’est sûr que l’on ne gagnera pas des millions, et la vie est de plus en plus chère. Il faut aussi rappeler que bien qu’il s’agisse de vêtements d’occasion, nous sommes soumis à la TVA», souligne-t-elle.
La concurrence en ligne
Sans compter que désormais, la concurrence se joue aussi en ligne. Même si «l’expérience client n’a rien à voir avec celle en boutique, où il y a un aspect humain, où l’on peut toucher, essayer… Mais nous avons par exemple des clientes qui vont venir essayer une pièce en boutique et finalement l’acheter sur internet, c’est le jeu, et d’une certaine façon, cela se complète aussi», pense la patronne de Pardon My Closet.
Vinted, , notamment grâce à l’intégration de nouveaux marchés et en renforçant ses volets «luxe» et «électronique». Un an après le lancement de la lituanienne, une plateforme similaire avait vu le jour en France en 2009: Vestiaire Collective. Elle visait la rentabilité fin 2024 et ses résultats, qui doivent prochainement être publiés, diront si l’objectif est atteint.

Vestiaire Collective est une plateforme en ligne spécialisée dans la vente et l’achat de vêtements, chaussures et accessoires de mode de seconde main, principalement de marques haut de gamme et de luxe. (Photo: Shutterstock)
Mais plus récemment, quelques géants sont aussi entrés dans la course, comme Zalando qui, en plus de ses articles neufs, propose depuis 2020 des articles de seconde main dans sa catégorie «Pre-Owned», sur 13 marchés, ainsi que dans certains de ses magasins outlet situés en Allemagne. «En proposant cette catégorie, nous comblons le fossé entre l’excitation à l’idée de faire du shopping, la nouveauté et l’expression de soi, tout en favorisant une consommation d’articles de mode plus consciente, avec une simplicité inégalée», explique un des porte-parole de l’enseigne, qui refuse toutefois de donner des éléments chiffrés sur le nombre de pièces vendues ou d’utilisateurs ayant recours à cette nouvelle offre. En guise de tendance, il indique toutefois que «les marques les plus populaires atteignent 50% ou plus des articles vendus dans les 24 heures suivant leur mise en ligne. Pour les marques premium, jusqu’à 90% des articles sont vendus le jour de leur lancement.»
La solution pensée par Zalando permet aussi aux clients de combiner dans une même commande des articles neufs et d’occasion. «L’activité Pre-owned représente une opportunité de marché significative, les clients étant de plus en plus nombreux à rechercher des articles de qualité à des prix réduits tout en adoptant des choix de mode plus durables», ajoute le représentant de la plateforme de mode en ligne qui assure que depuis le lancement de cette offre, «l’intérêt pour cette catégorie n’a cessé de croître, avec une demande soutenue ces deux dernières années et une vitesse de vente qui a doublé.» Ainsi, Zalando compte bien poursuivre le développement de cette offre «hautement pertinente» pour sa clientèle. Ce qui pourrait donner des idées à d’autres géants de la mode en ligne…

Zalando Pre-Owned est une initiative lancée par Zalando en 2020 qui permet aux clients d’acheter et de vendre des vêtements et accessoires de seconde main en excellent état, issus de plus de 3.000 marques, directement sur la plateforme Zalando. (Photo: Zalando SE)
Sans parler de nouveaux concepts pour «consommer» la mode d’une autre façon, comme Le Closet, un service français de location de vêtements par abonnement, lancé en 2014, qui permet aux femmes de renouveler leur garde-robe de manière flexible et écoresponsable. Le concept repose sur l’envoi de box contenant des vêtements et accessoires sélectionnés selon les préférences de l’abonnée. Elles peuvent porter ces pièces aussi longtemps qu’elles le souhaitent. Une fois les articles retournés, une nouvelle box est envoyée, permettant un renouvellement continu de la garde-robe sans achat. Ce modèle veut permettre aux clientes de varier leur style sans accumulation excessive de vêtements, tout en ayant accès à des pièces de qualité.