Marie Kokiopoulos a choisi de parler de son trouble pour aider les personnes qui se trouvent dans cette même situation. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Marie Kokiopoulos a choisi de parler de son trouble pour aider les personnes qui se trouvent dans cette même situation. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Pour certaines person­­nes, le fait de s’alimenter peut devenir problématique. Marie Kokiopoulos a vécu cette épreuve, avant de la surmonter.

Manger, dormir, respirer… Ces actes paraissent tout à fait naturels et ne posent pas de problème à la plupart d’entre nous, mais pour certaines personnes, ils prennent une tout autre ampleur. Marie ­Kokiopoulos a souffert pendant toute son adolescence et une partie de sa vie de jeune adulte de troubles alimentaires compulsifs. «Cela a commencé quand j’avais 13 ans, explique la jeune femme aujour­d’hui âgée de 27 ans. Alors que je pratiquais du sport à haut niveau, mon entraîneur m’a suggéré de perdre quelques kilos. J’ai décidé de faire un régime, et c’est là que tout a commencé.»  Elle n’hésite alors pas à réduire ses prises ali­mentaires et à surveiller la composition de ses repas. «Cela me semblait normal, puisque notre société nous donne à voir ces images de corps pres­que maigres, une vision du corps tout à fait normalisée. Mais cela a déclenché chez moi un trouble psychologi­que.» Suite à ce premier régime, l’attitude inverse s’impose à elle: elle commence à avoir des envies de nourriture compulsives, des fringales qu’elle doit absolument assouvir. «Je n’arrivais pas à me contrôler, et il m’était impossible de m’arrêter. Je mangeais certains aliments, salés ou sucrés, en très grande quantité, et, bien sûr, il ne s’agissait pas de brocolis…»

Plus qu’un simple effet yo-yo

Avec ces épisodes compulsifs, Marie prend du poids. Et se lance de nouveau dans un régime pour compenser. «Je suis tombée dans le piège de ce fameux effet yo-yo bien connu des personnes qui pratiquent les régimes. On perd du poids, puis on en reprend, un peu plus à chaque fois, et ainsi de suite.» Mais pour Marie, il s’agit de bien plus qu’un effet yo-yo, elle souffre d’un véritable trouble lié à l’alimentation. «J’avais honte de mes fringales. Je cachais des aliments et je ne mangeais jamais de manière compulsive en face de quelqu’un.» Comme elle continue à pratiquer son sport de manière intensive, ses prises de poids ne sont pas alarmantes, et ses proches et amis ne se doutent de rien. Cela a un effet pervers, car cette consommation abusive de nourriture lui procure un sentiment de bien-être sur le moment. «C’est comme un état euphorique. On ressent une très forte sensation de satisfaction, comme un pic de dopamine.» Du coup, toutes ses pensées sont obnubilées par cette relation à la nourriture. «J’y pensais tout le temps ! Cela occupait sans cesse mon esprit, et ma journée était organisée autour de ça. Quand j’avais prévu d’aller au restaurant avec des amis, par exemple, je regardais le menu trois jours à l’avance, et je m’imaginais ce que j’allais manger. Mais une fois sur place, pour ne pas éveiller les soupçons, je surveillais chacune de mes bouchées. Quand les autres arrêtaient de manger, je les imitais. Mais après être sortie de table et avoir quitté mes amis, je partais me cacher pour continuer à manger à toute vitesse des produits que j’allais acheter à la station-­service.»

J’ai appris à me réali­menter en écoutant les besoins de mon corps
 Marie Kokiopoulos 

 Marie Kokiopoulos 

Honte et culpabilité

La jeune femme se rend bien compte qu’elle a un problème, mais elle n’ose en parler à personne. «J’avais honte, je culpa­bilisais, mais je n’arrivais pas à m’arrêter. J’avais peur d’être jugée, d’embêter les autres avec mes problèmes ‘de riche’, car je considérais cela comme un luxe de pouvoir s’offrir autant de nourriture.» Malheureusement, cette addiction se poursuit à l’université. «Cette période a été terrible pour moi, car il m’était très facile de commander de la nourriture en livraison que je pouvais manger seule dans ma chambre d’étudiante.» Puis, un jour, elle trouve le courage d’en parler à ses parents et se rend chez une psychologue qui lui diagnostique une dépression. «Malheureusement, cette personne n’était pas spécialisée dans les troubles alimentaires et ne s’est pas rendu compte de ce que j’avais. Je n’étais pas boulimique et ne me faisais pas vomir, par exemple, puisque je voulais me punir moi-même en devenant grosse. Et ce n’était pas un manque de caractère ou une preuve de faiblesse, car je suis très disciplinée et déterminée dans la vie de tous les jours. J’étais vraiment malade, psychologiquement malade.»

 En 2019, Marie Kokiopoulos décide d’arrêter les régimes, terminer cette vie obsessionnelle autour de la nourriture.  (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

 En 2019, Marie Kokiopoulos décide d’arrêter les régimes, terminer cette vie obsessionnelle autour de la nourriture.  (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

​Arrêter cette obsession

En 2019, Marie décide que cela suffit. Fini les régimes, fini cette vie obsessionnelle autour de la nourriture. «J’étais épuisée mentalement. Cette obsession me prenait toute mon énergie. J’ai alors commencé à accepter mon corps tel qu’il était, avec ses kilos en trop, et je n’ai plus fait de régime. J’ai appris à me réalimenter, comme une enfant, en ne me refusant rien, mais en écoutant les besoins de mon corps.»

Aujourd’hui, Marie a choisi de parler de son trouble pour aider les personnes qui pourraient se trouver dans cette même situation. «Pendant le premier confinement, j’ai senti que mes pensées compulsives commençaient à revenir. Cela a tiré une sonnette d’alarme en moi, et j’ai décidé d’en parler publiquement.» Elle choisit alors de faire une vidéo où elle témoigne de son parcours et crée la plateforme Mokuchsdag sur Facebook. «J’aurais adoré pouvoir entendre ce témoignage quand j’avais 13 ans. Je pense que je ne serais pas entrée dans cette spirale infernale si ça avait été le cas.» C’est aussi pour expliquer son parcours dans sa langue maternelle, le luxembourgeois, qu’elle a créé la plateforme. «C’est un problème très intime et le fait de ne pas pouvoir trouver d’infos dans ma langue maternelle m’a beaucoup manqué.»

Marie s’estime désormais tirée d’affaire et conseille à tous ceux qui rencontrent ce problème de ne pas en avoir honte et d’aller chercher de l’aide auprès de leur entourage et de professionnels spécialisés. «Il n’est jamais trop tard, et il ne faut pas accepter cela comme une fatalité. Ce n’est pas un manque de caractère, mais bien un trouble psychique. Il ne faut pas en avoir honte, cela arrive à beaucoup de personnes.»