Stuart Dunbar, associé chez Baillie Gifford, soulève le problème des données ESG rapportées par les entreprises, tantôt manquantes, tantôt imprécises. (Photo: Baillie Gifford)

Stuart Dunbar, associé chez Baillie Gifford, soulève le problème des données ESG rapportées par les entreprises, tantôt manquantes, tantôt imprécises. (Photo: Baillie Gifford)

Critique sur l’utilisation des scores ESG (environmental, social and governance), Stuart Dunbar, associé chez Baillie Gifford, déplore l’idée que les scores ESG, seuls, ne permettront pas d’atténuer les risques environnementaux et sociaux. Il prône davantage une approche à long terme où l’ESG est une opportunité et non plus un objectif.

Les investissements ESG sont une tendance majeure en ce moment. Quelle lecture en avez-vous?

Stuart Dunbar. – «L’ESG est en train de devenir le défi de l’industrie financière et en particulier de l’industrie de la gestion d’actifs. Ce qui m’inquiète, c’est que nous sommes en train de créer toute une industrie de notation et de métriques pour satisfaire, dans une certaine mesure, les demandes désordonnées des clients. Ce que je veux dire par là, c’est que si quelqu’un vient et dit “je veux un portefeuille à faible teneur en carbone”, il est très facile de mettre en place un portefeuille à faible teneur en carbone. Il suffit de ne pas aller vers les fabricants ou les industries à forte consommation d’énergie. Mais il s’agit là d’un tout petit instantané de la réalité de la transition carbone. Je pense que les approches ESG qui se contentent de prendre des mesures plutôt que de mesurer les progrès sont en fait assez dangereuses, dans le sens où les gens pensent qu’en créant des fonds d’investissement qui se présentent comme verts, respectueux de l’environnement et de la société, mais qui, en fait, ne créent pas nécessairement de changement.

Selon vous, l’ESG se limite donc trop souvent à des indicateurs?

«L’ESG ne peut pas être une série de mesures. L’ESG est un processus qui doit être pensé comme un processus d’amélioration. Il est important de considérer que le jour d’aujourd’hui est toujours la première étape de la transition vers la décarbonation. Ce qui compte, c’est de savoir si nous serons meilleurs demain, si nous ferons mieux la semaine prochaine ou dans un an, cinq ans et dix ans? Il est également important de savoir comment allons-nous y parvenir. De cette façon, il s’agit d’un processus d’amélioration.

Je pense que les approches ESG qui se contentent de prendre des mesures plutôt que de mesurer les progrès sont en fait assez dangereuses.
Stuart Dunbar

Stuart DunbarassociéBaillie Gifford

Les scores ESG ne mesurent-ils pas assez les améliorations?

«Si vous êtes un fournisseur de scores ESG, pour le faire de manière réfléchie, fondamentale et précise, vous devez vous livrer à l’exercice d’analyser individuellement chaque entreprise. En l’occurrence, comprendre où elle en est aujourd’hui, où elle ira demain, comment elle s’inscrit dans un système plus large et complexe de décarbonation. Vous devez mesurer les progrès et non un cliché instantané. Dans le monde de l’évaluation, personne ne veut vraiment effectuer cet exercice, car il demande énormément de ressources, est coûteux et difficile à réaliser.

Pour être clair, ce n’est pas vraiment la faute des fournisseurs de notation ESG, mais plutôt le résultat de leur modèle économique. Ils essaient de traiter de grandes quantités d’informations et d’en tirer quelque chose d’utile à la fin. Mais je dirais qu’il est impossible d’obtenir de bonnes réponses de la sorte, si vous n’analysez pas individuellement la situation de chaque entreprise et les changements qu’elle opère ou non. Je pense donc qu’il est très dangereux de se fier uniquement aux scores ESG.

Dans vos prises de parole publiques, vous mettez aussi en avant les variations de la notion d’ESG.

«Si nous prenons l’aspect environnemental, par exemple, il y a eu un merveilleux débat sur la taxonomie de l’Union européenne. Le nucléaire et le gaz doivent-ils y être inclus? Je pense que ce débat a été très utile, car il a révélé que les gens ont différents niveaux de compréhension sur l’ESG. Pour vous donner une idée de ce que cela signifie, je pense que la réponse est différente selon les endroits. Si le gaz est un investissement vert, alors c’est probablement vrai en Chine parce que les centrales électriques au gaz y remplacent les centrales électriques au charbon. Maintenant, en Europe, nous voulons également cesser d’utiliser des centrales électriques au gaz.

Mais nous devons progresser dans l’intervalle. Et bien sûr, si nous essayons de passer entièrement aux énergies renouvelables, cela a un impact sur la durabilité. Ainsi, l’électricité deviendrait extrêmement chère ou il pourrait en manquer, ce qui créerait du chômage et toutes sortes d’autres conséquences en chaîne. Évidemment, la dépendance au gaz est un sujet très actuel avec les événements en Ukraine. Il n’existe toutefois peut-être pas de bons arguments pour continuer à développer des centrales électriques au gaz en Europe, parce que l’Europe est assez riche et suffisamment technologiquement développée pour passer directement aux énergies renouvelables. Ce que je veux dire, c’est que même cet exemple simple ne peut pas réduire la question à un simple oui ou non ou à une simple mesure d’une production.

Si nous prenons l’aspect environnemental, par exemple, il y a eu un merveilleux débat sur la taxonomie de l’Union européenne. Le nucléaire et le gaz doivent-ils y être inclus? Je pense que ce débat a été très utile, car il a révélé que les gens ont différents niveaux de compréhension sur l’ESG. Pour vous donner une idée de ce que cela signifie, je pense que la réponse est différente selon les endroits.
Stuart Dunbar

Stuart DunbarassociéBaillie Gifford

Sur base de ces constats, comment intégrez-vous les données ESG dans votre travail de recherche en investissement?

«Bien sûr, nous achetons des données de Sustainalytics et de MSCI. Nous les utilisons plutôt comme un mécanisme d’alerte pour des sujets que nous pourrions vouloir approfondir pour des pays, des entreprises ou des secteurs individuels. Il n’y a donc rien de mal à utiliser les scores ESG pour alimenter un processus décisionnel. Le problème ne réside pas tant dans l’existence de ces scores, mais dans l’utilisation qui en est faite. Ainsi, quelqu’un achètera des données un fournisseur d’indices qui utilisera les scores ESG pour créer un portefeuille vert. Puis quelqu’un viendra construire un ETF basé sur l’indice et vous obtiendrez des réponses très, très étranges. Il y a l’exemple où, sur la base de différents fournisseurs, British American Tobacco aura un score ESG plus élevé qu’Orsted – NDLR: une société danoise active dans les énergies renouvelables. Il arrive aussi que BMW obtienne un meilleur résultat que Tesla. On voit donc qu’i y a des résultats pervers.

Qu’est-ce qu’il manque alors pour avoir une approche ESG plus mature?

«Il manque de connaître le but de chaque entreprise. Prenons le cas d’une entreprise qui est à l’avant-garde de nouvelles façons d’améliorer la qualité de vie des personnes souffrant de diabète. Comment mesurer l’amélioration de la qualité de vie d’une personne en sachant quel est son taux de glucose? Vous ne pouvez pas réduire cela à une simple mesure. Ça revient à laisser de côté l’ensemble du débat. Au lieu de cela, les spécialistes ESG examinent les politiques de santé et de sécurité, les politiques d’emploi, les politiques de traitement des eaux usées, toutes ces choses, qui sont très valables, mais qui ne prennent pas du tout en compte l’impact réel qu’une entreprise individuelle a dans le monde réel sur la vie quotidienne des gens. Et je pense que c’est une partie manquante de toute la discussion ESG. Beaucoup de personnes ont du mal à la prendre en compte parce qu’il s’agit plus d’une approche basée sur un commentaire que d’une notation quantitative.»

La seconde partie de cet entretien sera à lire prochainement sur .

Cette interview est issue de la newsletter Paperjam Finance, le rendez-vous bimensuel pour suivre l’actualité financière au Luxembourg.