2017. Un couple de Mamer déclare, dans le cadre de l’impôt de solidarité sur la fortune, détenir des parts dans deux sociétés civiles immobilières (SCI), détenant elles-mêmes des biens immobiliers, et s’acquitte de plus de 25.000 euros d’impôts. Un an plus tard, forts de la convention fiscale entre la France et le Luxembourg du 1er avril 1958 qui prévoit, selon eux, la taxation de ces éléments de fortune au Luxembourg, ils signalent ce qu’ils pensent être une erreur dans leur déclaration et réclament un dégrèvement.
Six ans plus tard, ce 2 avril, la Cour de cassation, en France, les a déboutés de leur demande. Dans son arrêt, la Cour considère: «En ce qui concerne les impôts sur la fortune, si la fortune consiste en biens immobiliers et accessoires, l’impôt ne peut être perçu que dans l’État contractant qui est autorisé à imposer le revenu qui provient de ces biens.» L’institution précise que «selon l’article 3.4 (de la convention), les gains d’une entité dont les actifs sont constitués pour plus de 50% par des biens immobiliers situés dans un État contractant ne sont imposables que dans cet État. Il en résulte que les parts de SCI ayant leur siège social en France et propriétaires de biens immobiliers situés en France doivent être regardées comme des biens immobiliers.»
La Cour indique aussi, sur la base de l’article 3.3 de la convention entre les deux pays, que «les gains tirés de l’exploitation ou de l’aliénation d’immeubles réalisés au travers de sociétés qui, quelle que soit leur forme juridique, n’ont pas de personnalité distincte de celles de leurs membres pour l’application des impôts visés par la convention, ne sont imposables que dans l’État où ces immeubles sont situés.»
Même chose, dit la Cour, pour «les gains provenant de l’aliénation d’actions, parts ou autres droits dans une société, une fiducie ou toute autre institution ou entité, dont l’actif ou les biens sont constitués pour plus de cinquante pour cent de leur valeur ou tirent plus de cinquante pour cent de leur valeur – directement ou indirectement par l’interposition d’une ou plusieurs autres sociétés, fiducies, institutions ou entités – de biens immobiliers situés dans un État contractant ou de droit portant sur de tels biens ne sont imposables que dans cet État.»
Une approche économique
«Jusqu’à présent, une interprétation de droit civil permettait aux contribuables d’échapper à l’IFI en interposant des sociétés. Désormais, la Haute Cour adopte une approche économique, en ligne avec la position du Conseil d’État français et de l’administration fiscale», analyse un avocat français, Stéphane Broquet, sur Linkedin.
Dans un billet de blog, Me Philippe Laurens, un des premiers à s’être exprimé au sujet de cet arrêt, explique qu’«historiquement, les parts sociales étaient qualifiées de biens mobiliers en droit interne comme en droit conventionnel par la Cour de cassation. La Cour de cassation opère un revirement qui nécessitera d’analyser avec précision les schémas existants de détention immobilière à l’international par un accompagnement juridique rigoureux.»
Cette nouvelle interprétation «soulève, sur un plan juridique, diverses difficultés majeures au regard de la sécurité juridique. Qu’en serait-il pour une SCI ayant opté à l’ISF? Et pour une SCI dont un associé intermédié entre elle et le résident luxembourgeois aurait la charge de l’impôt sur le revenu?» L’avocat ajoute que les fonds immobiliers — tels que les organismes de placement collectif immobilier (OPCI), les sociétés civiles de placement immobilier (SCPI), les unités de compte immobilières des contrats d’assurance-vie ou encore les trusts — souvent considérés comme de simples investissements financiers, entreront désormais dans le champ d’application de l’impôt sur la fortune, ce qui ne concernera pas uniquement les résidents fiscaux luxembourgeois.
Les Soparfi aussi potentiellement concernées
Un changement qui pourrait aussi affecter les Soparfi qui détiennent des SCI, ajoute encore l’avocat. Si au Luxembourg, des actions ou parts de sociétés ne sont pas considérées comme des biens immobiliers (même si ces sociétés détiennent des immeubles), la France, elle, peut les considérer comme des droits immobiliers, surtout si l’actif de la société est composé en majorité d’immeubles. Pour rester sous le régime luxembourgeois, selon lui, il faut que la société luxembourgeoise ait une véritable substance (activités réelles, locaux, personnel…), et que le montage ne soit pas purement artificiel pour éviter l’impôt en France.
Pour le cabinet français Prax, «seule la fraction représentative d’actifs immobiliers situés en France est taxable, impliquant une méthodologie rigoureuse de la détermination et de justification de la valeur déclarée», écrit-il dans une analyse. «Les difficultés d’accès à l’information détaillée peuvent conduire à des redressements fiscaux, si la valorisation ne peut être étayée avec précision (…) Les droits issus de contrats de crédit-bail immobilier sont également soumis à l’impôt sur la fortune immobilière: le preneur du crédit-bail doit déclarer le droit réel immobilier représenté par son contrat à valeur vénale effective, complexifiant encore les obligations déclaratives.» Le cabinet français pointe aussi les interrogations au sujet des dettes déductibles «un casse-tête déclaratif». «Toute faiblesse sur ce point constitue un risque de redressement non négligeable lors de contrôles fiscaux éventuels.»
Dernier point, selon Me Laurens: les montages de titrisation immobilière (via obligations) échappent à cette requalification, car les investisseurs ne détiennent pas directement des actions ou parts, mais seulement des obligations financières, qui restent clairement des biens mobiliers.
D’autres s’interrogent, sans vouloir être cités, sur la conséquence de la cession des parts de la société luxembourgeoise: est-ce que ce qui était considéré comme une plus-value mobilière, imposable au Luxembourg (souvent non imposée), pourrait être requalifiée comme une vente indirecte d’immeuble situé en France et sa plus-value être taxée au titre du droit de regard français?