Les «quantitative easing» – ces politiques monétaires accommodantes qui visent à stimuler l’économie sans se servir des instruments classiques des politiques monétaires comme les taux – font partie de l’environnement économique et financier depuis 2008. À tel point que l’on peut parler d’accoutumance, dans la plus mauvaise acception du terme. Le sevrage sera compliqué et tous les observateurs s’accordent pour dire que la BCE comme la Fed marchent sur des œufs lors de leurs réunions de politique monétaire et veulent éviter une surréaction des marchés à toute mesure qui pourrait passer comme annonçant un tapering – traduire par un ralentissement ou une réduction de ces politiques.
On se souvient du précédent de 2013, lorsque le président d’alors de la Fed, Fred Bernanke, avait affiché son intention de réduire le rythme des achats d’obligations. Cette annonce avait fait l’effet d’une bombe auprès des investisseurs, provoquant l’envolée des rendements des bons du Trésor américain et la chute des marchés actions. Et traumatisé les banquiers centraux…
, la BCE a laissé le flou dominer et renvoyé toute décision à 2022. Ainsi, le rythme rapide des achats d’actifs dans le cadre du programme d’achat d’urgence en cas de pandémie (PEPP) sera maintenu au troisième trimestre et quelque peu freiné ensuite sans que l’on ne touche à l’enveloppe prévue. Du côté de la Fed, les taux restent inchangés, tout comme son programme de rachat d’actifs. Et évoque sans insister deux resserrements de taux d’ici fin 2023.
Dans les deux cas, ce sont les partisans du statu quo qui ont eu raison face aux tenants d’un retour à des politiques plus conventionnelles. Les colombes triomphent sur les faucons. Mais leur position s’affaiblit au moment où redémarre l’activité économique et que les valorisations augmentent sur tous les marchés.
Exemples périphériques
Selon Tobias Burggraf, portfolio manager chez Ethenea, «les banques centrales mineures montrent actuellement à quoi pourrait ressembler une sortie de la politique monétaire accommodante sans que cela n’entraîne automatiquement l’effondrement des marchés financiers».
En avril, la Banque du Canada a ouvert le bal en annonçant la réduction de son programme d’achats obligataires d’environ un milliard de dollars canadiens, dont le volume hebdomadaire passerait donc de 4 à 3 milliards (-25%). D’autres réductions d’un milliard à chaque fois devraient suivre dans le sillage des prochaines réunions prévues en juin et septembre. Conformément aux attentes, cette annonce a soutenu le dollar canadien et l’élargissement des spreads des emprunts d’État canadiens face aux bons du Trésor américain.
Mais le «taper tantrum» tant redouté de 2013 ne s’est pas reproduit, il n’y a en effet pas eu de correction massive des emprunts d’État canadiens, constate l’analyste. La Banque d’Angleterre a suivi et a ralenti le rythme de ses achats obligataires, de 4,4 milliards de livres à 3,4 milliards de livres par semaine, en insistant sur le fait que cette mesure ne devait pas être interprétée comme un durcissement de sa politique monétaire. Et, comme gage de bonne foi, la date d’échéance de son programme et le volume total prévu de 895 milliards de livres restent inchangés.
La Banque centrale de Nouvelle-Zélande a joué la carte de la surprise en annonçant qu’elle pourrait relever ses taux directeurs dès le second semestre 2022, sous réserve toutefois que l’économie évolue comme prévu. Sans toucher à ses taux directeurs et au volume de son programme de rachat. Conséquence: le dollar kiwi et les rendements des emprunts se sont inscrits en hausse dans le sillage de cette annonce.
En Australie également, la pression est montée d’un cran en mai quand la banque centrale (RBA) a annoncé la révision à la hausse des perspectives économiques dans son communiqué de politique monétaire, laissant entendre qu’elle pourrait se prononcer sur le cap de sa politique monétaire lors de la réunion de juillet. Si la reprise se confirme, son programme de QE ne serait pas prolongé.
Durcissement en Europe hors de la zone euro
Ce durcissement, Tobias Burggraf le constate en Europe centrale et en Scandinavie. En Hongrie, le vice-président de la banque centrale Barnabás Virág a annoncé à la surprise générale un relèvement des taux dès le mois de juin afin de prévenir un débordement éventuel de l’inflation qui a atteint, à 5,1%, son plus haut niveau depuis des années. La situation est similaire en Pologne et en République tchèque, où l’inflation atteint respectivement 4,3% et 3,1% et où les faucons appellent à un durcissement de la politique monétaire.
Même son de cloche dans les pays scandinaves: la Banque Centrale suédoise a annoncé fin avril qu’elle maintenait son calendrier et mettrait un terme définitivement à son programme de QE à la fin de l’année. La Norges Bank norvégienne, qui n’avait pas mis en place de programme d’achats obligataires, a annoncé qu’elle relèverait ses taux directeurs au second semestre. Enfin, la banque centrale islandaise a durci sa politique monétaire contre toute attente en relevant les taux d’intérêt des dépôts à terme à sept jours de 0,75 à 1%. Elle a justifié cette mesure en évoquant la pression inflationniste croissante couplée à une augmentation des salaires et des prix de l’immobilier.
Pour Tobias Burggraf, les grandes banques centrales devraient aussi s’engager sur la voie d’un ralentissement progressif de leurs politiques non conventionnelles de soutien, ne serait-ce que pour ne pas être contraintes à mettre les deux pieds sur le frein si d’aventure les économies entraient en surchauffe et l’inflation ne se révélait pas être le phénomène temporaire que tout le monde espère.