Que la population dorme tranquille: aucun ennemi n’envahira le Luxembourg sans que nos militaires n’aient été prévenus à la première seconde. Du moins faut-il l’espérer puisque, depuis 2015, les gouvernements successifs ont investi ou annoncé investir jusqu’à 720 millions d’euros: 225 millions d’euros pour , 300 millions d’euros qui doit être lancé cette année par une Vega C d’Arianespace pour fournir 100 images par jour et jusqu’à 195 millions d’euros en dix ans attribués à dans le cadre du plan américano-luxembourgeois qui passe par l’Otan.
C’est la faute à pas de chance. Car, en 2015, quand la Défense commence à se demander s’il ne serait pas prudent de se doter de connectivité sécurisée dans un contexte militaire, d’assistance ou d’aide humanitaire, O3b n’est encore qu’un projet «à vocation humanitaire». Son père spirituel, Greg Wyler, entend offrir aux trois milliards d’êtres humains qui en sont dépourvus – d’où O3b pour «other three billions» – une connectivité qui les sortirait du Moyen-Âge dans lequel ils sont restés malgré eux.
Il faudra un coup de gueule de face à Karim Michel Sebbagh pour que la pépite luxembourgeoise fasse un énorme chèque à plus d’un milliard de dollars et se lance dans l’aventure O3b. Un choix qui plombe encore aujourd’hui son cours de bourse et son endettement… mais qui lui a permis de devenir une entreprise futuriste face à ses compétiteurs pour l’instant dépassés.
GovSat1 dépassé par la technologie
Le 31 janvier 2018, GovSat-1 était lancé vers son orbite depuis le pad 39 de Cap Canaveral, par une Falcon 9 de Space X. Aujourd’hui, l’opérateur peine à convaincre. Certes, son chiffre d’affaires est en progression – à 25 millions d’euros en 2021, dernier bilan disponible – mais LuxGovSat continue à perdre de l’argent (5 millions en 2021 malgré un amortissement réduit de trois millions à la faveur d’un prolongement de trois ans de sa durée de vie espérée). La dette atteignait cette année-là 46 millions d’euros (!).
«L’émergence de nouvelles technologies entraîne des changements rapides dans certains des marchés de l’entreprise. GovSat-1 est un satellite à large faisceau qui n’est pas aussi efficace en bande passante que les satellites HTS commerciaux», peut-on lire dans la partie du rapport annuel qui concerne les risques opérationnels. «Cela risque de créer une pression supplémentaire sur les prix par Mbps. Les clients peuvent être moins disposés à payer une prime croissante pour une capacité sécurisée au niveau Mbps. L’adoption et la disponibilité croissantes de terminaux multibandes (permettant l’utilisation de fréquences commerciales et militaires sur le même terminal) peuvent conduire l’essentiel de la demande de trafic de ces terminaux vers une capacité SFS commerciale moins chère et plus généralement disponible, tandis que la demande de capacité plus sécurisée peut être limitée aux situations critiques seulement.»
1.000 fois plus rapide
Un seul indicateur explique d’ailleurs très bien la différence entre GovSat-1 et les O3b mPower: le premier promet du 50 Mbps maximum selon sa fiche technique, tandis que les seconds sont 100 fois plus rapides (jusqu’à 5.000 Mbps). Au temps des armées qui veulent de l’information instantanée et sûre, qui va se contenter d’un 50 Mbps? Et on ne parle même pas ici de la couverture terrestre, de la possibilité d’adapter en permanence le recours au satellite en fonction des besoins. SES qui tire désormais un quart à un tiers de ses revenus de la demande gouvernementale a aussi intégré la dimension sécuritaire par nature. Le prix? Personne ne veut jamais parler prix, mais une chose est sûre: au fur et à mesure qu’O3b mPower va convaincre, parce que cette petite constellation a beaucoup de qualités par rapport aux constellations à basse orbite aux milliers de satellites des rois de la tech, le prix pourra mieux s’adapter au client.
Du coup, pourquoi un client irait booker des capacités chez LuxGovSat? Le ministre de la Défense, (déi Greng), annoncera aujourd’hui qu’il «en prend» pour 195 millions d’euros maximum de connectivité via O3BmPower au cours des dix prochaines années auprès de SES. Il s’en est fallu d’un cheveu pour que le contrat soit annoncé AVANT que le projet de loi ne soit au minimum déposé, ce qui a été fait le 20 février. Mais l’écologiste n’a pas tellement le choix. D’un côté, le satellite militaire luxembourgeois NAOS n’est pas encore lancé et la date du lancement par une fusée d’Arianespace n’est pas encore tout à fait claire, mais les Américains risqueraient de s’impatienter.
195 millions d’euros pour commencer
En novembre, le ministre et l’ambassadeur des États-Unis au Luxembourg, , ont signé le fameux «Global Commercially Contracted Satellite Communication Support Partnership». Un accord qui prévoit la fourniture de capacités satellitaires, pour l’instant au Luxembourg et aux États-Unis, via la principale agence de logistique et d’approvisionnement de l’Otan (NSPA). Le ministre l’assure dans le pitch du projet de loi: la commande des Américains sera beaucoup plus importante que celle du Luxembourg… même si rien n’est encore signé. Et avec la signature des États-Unis, le ministre espère (prédit?) que d’autres pays en feront autant, procurant à SES de nouveaux revenus tirés de leur nouvelle génération de satellites uniques au monde dont les autres exemplaires doivent être lancés dans le courant de l’année.
Afin de protéger les communications militaires, les deux premiers partenaires de cet accord devront aussi construire ce qu’ils appellent six ou sept «passerelles», dont une le sera au Luxembourg, financée dans l’enveloppe de 195 millions d’euros à hauteur de 15 millions d’euros. Sauf que le ministre reconnaît aussi directement que le Luxembourg n’est pas idéalement placé pour accueillir cette passerelle, celle-ci devra être délocalisée. Probablement chez nos amis belges, peut-on supposer.
Une nouvelle constellation de SES à l’étude
À huit jours des résultats annuels de SES – société cotée – on imagine aussi que l’entreprise a dû particulièrement «apprécier» les dix lignes du projet de loi qui annoncent une nouvelle constellation de 12 à 24 satellites, à l’étude chez SES, pour venir en complément des satellites O3b mPower. Si ces satellites sont parfaits pour couvrir tout le globe entre 52 degrés Nord et 52 degrés Sud, la perspective de voir la Finlande et la Suède rejoindre l’Alliance et le comportement belliqueux de la Russie invite à passer à une couverture de la planète bleue de pôle à pôle, d’où ce besoin d’une nouvelle constellation à plan incliné.
Tout ce qui précède cache pourtant d’autres enjeux. Avec la volonté de l’Otan, manifestée en 2014, de voir ses membres contribuer à hauteur de 2% de leur PIB au budget de l’Alliance d’ici 2024, le ministre a encore de l’argent à dépenser. Et non seulement il aura favorisé des rentrées d’argent bienvenues chez SES, mais il aura accru la contribution du Luxembourg en favorisant l’intégration du champion national SES dans tous les cercles de la commande publique. Le poids lourd du secteur spatial, indifférent aux rumeurs de fusion, peut continuer à se réinventer chaque jour. Ce qui est plutôt une bonne nouvelle. D’autant que le dernier sommet de l’Otan a vu quelques membres, la Pologne, la Lituanie et la Grande-Bretagne entre autres, se dire favorables à un relèvement de ce taux de 2% dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.