Pouvez-vous nous rappeler dans quel contexte et sous l’impulsion de quels acteurs est né le Luxembourg Green Exchange (LGX), en 2016?
Laetitia Hamon. – «Le Luxembourg Green Exchange est né à un moment où les discussions sur la finance durable étaient nombreuses. Les Objectifs de développement durable des Nations unies venaient d’être adoptés, en 2015. La COP21 venait par ailleurs d’aboutir sur les accords de Paris. Il y avait donc une réelle émulation autour de ces questions, et un grand nombre d’initiatives ont été lancées par plusieurs institutions d’envergure. Je n’y étais pas encore active, mais c’est à ce moment-là que les équipes de la Bourse de Luxembourg ont commencé à se demander comment elles pourraient appliquer ces différents principes à leur activité, apporter leur pierre à l’édifice de la durabilité. C’est ainsi qu’a été mis sur pied le Luxembourg Green Exchange, en l’espace de seulement neuf mois. Cette création en un temps record est une belle démonstration de la capacité non seulement de la Bourse, mais aussi du Luxembourg dans sa totalité, à faire preuve d’agilité.
Après cinq années de fonctionnement, quel bilan peut-on tirer de cette initiative?
«Le bilan est largement positif. Les obligations vertes, sur lesquelles nous nous sommes concentrés dès le départ, ont connu un réel succès. 1.300 obligations lancées par 230 émetteurs sont désormais enregistrées sur la plateforme, pour un montant total de 678 milliards d’euros. Le LGX a désormais acquis un rayonnement international pour cette activité obligataire, même si nous avons, depuis, lancé également d’autres produits et initiatives. Nous avons aussi reçu de nombreux prix qui attestent de la valeur de notre travail en matière de finance durable, et qui contribuent également à ce que notre expertise soit reconnue à l’étranger.
Vous l’avez dit, les obligations vertes sont votre cœur de métier. Quels sont les critères à respecter pour qu’une obligation soit répertoriée sur la plateforme LGX?
«Les exigences sont différentes en fonction du type d’obligation dont on parle. En ce qui concerne les obligations GSS (green, social & sustainable), nous veillons tout d’abord à nous assurer que l’argent qui est levé est destiné à être consacré à des projets verts ou sociaux. Nous vérifions aussi que les projets choisis sont alignés avec un standard international reconnu, en faisant appel à un avis extérieur. Enfin, la façon dont sont alloués les fonds doit nous être précisément décrite à travers le reporting, afin d’évaluer l’impact réel qu’ont les moyens financiers qui ont été investis. En ce qui concerne les SLB (sustainability-linked bonds), les documents demandés diffèrent quelque peu. Mais la volonté reste la même: il s’agit de fixer des objectifs et de vérifier si ceux-ci sont atteints grâce aux fonds qui ont été levés.
Qu’en est-il des fonds d’investissement? Comment s’est développée l’activité en la matière, et comment vérifier que l’argent investi a bien l’impact voulu?
«Des fonds d’investissement durables sont également cotés à la Bourse de Luxembourg. Ceux qui correspondent aux articles 8 et 9 de la SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) sont affichés sur la plateforme du LGX. Après, c’est le rôle de chaque investisseur de faire sa due diligence par rapport à chaque fonds. Nous ne pouvons pas, pour le moment, offrir de garantie particulière quant au caractère intrinsèquement durable du fonds. Cette réglementation s’attache en effet au reporting, à la transparence des informations fournies par rapport au fonds, mais elle n’assure pas, en soi, la durabilité des investissements. Il faudra encore faire un peu évoluer le cadre légal, au niveau européen, pour que des assurances réelles puissent être fournies aux investisseurs en ce qui concerne les fonds d’investissement durables.
Puisque vous évoquez la réglementation, pensez-vous qu’elle ait eu un rôle déterminant dans l’évolution de la finance verte au cours des dernières années?
«Pour moi, le développement considérable de la réglementation au cours des dernières années est en effet très positif pour l’industrie financière, notamment au Luxembourg. Sans cela, nous n’en serions pas où nous en sommes aujourd’hui, et ce pour une raison très simple: la réglementation impose à l’ensemble des acteurs du secteur financier, mais aussi aux sociétés qui composent le tissu économique global, d’aller dans le même sens, c’est-à-dire vers une plus grande durabilité des investissements.
Diriez-vous que le Luxembourg Green Exchange a joué un rôle moteur dans la croissance de la place financière luxembourgeoise au cours des dernières années?
«Je vais paraître très humble en disant cela, mais oui! À travers notre activité, nous avons démontré que même de petites sociétés privées, au Luxembourg comme ailleurs dans le monde, peuvent faire bouger les lignes. Nous avons insufflé cet état d’esprit au Luxembourg, et c’est un point très positif.
Avec le Luxembourg Green Exchange, le Grand-Duché a pris une longueur d’avance en matière de finance verte. L’objectif, aujourd’hui, est de la conserver. Comment procédez-vous pour y parvenir?
«Nous avons commencé avec notre plateforme d’affichage des obligations vertes et durables. Mais depuis notre lancement, nous avons créé beaucoup d’autres produits et initiatives. Tout d’abord, en 2020, notre LGX Academy a été mise sur pied. Elle doit servir à améliorer l’éducation, la formation par rapport à la finance verte, car il reste énormément de travail à faire en la matière. Ce travail doit notamment être mené par rapport aux jeunes qui sont aujourd’hui en formation. Par ailleurs, nous avons également créé notre LGX DataHub. Il s’agit d’un outil crucial, car il nous permet de récupérer toutes les informations nécessaires, non seulement sur les obligations affichées au LGX, mais aussi sur celles qui sont cotées ailleurs. Des informations sur plus de 5.800 obligations vertes, sociales et durables à travers le monde sont ainsi centralisées dans cette base de données. Les données que nous y retrouvons sont très précises et nous donnent notamment la possibilité de savoir si les objectifs fixés par les obligations ont été atteints. Enfin, l’an dernier, nous avons également déployé les LGX Assistance Services, qui visent à accompagner les émetteurs, notamment dans les pays émergents qui souhaitent se lancer dans ce secteur de la finance durable. Au final, notre volonté est de répondre le mieux possible aux défis de l’industrie. C’est la raison pour laquelle nous restons en contact permanent non seulement avec les acteurs du marché local, mais aussi avec ceux qui évoluent à l’international. Avec ces atouts, mais aussi avec l’aide de notre équipe dédiée à ce sujet, nous pensons avoir toutes les armes pour maintenir notre leadership en matière de finance durable.
Quels sont les nouveaux projets sur lesquels vous travaillez en ce moment? Dans quel sens va se développer le Luxembourg Green Exchange au cours des prochaines années?
«Nous avons plusieurs projets en cours. Tout d’abord, nous sommes très actifs sur le développement des marchés émergents. C’était l’une des recommandations de la COP26, et c’est un sujet qui nous tient particulièrement à cœur, car les pays émergents sont les plus impactés par le changement climatique, et ils devraient l’être plus encore à l’avenir. En début d’année, nous avons par exemple signé un MoU avec la Bourse du Cap-Vert concernant le développement de BluX, une plateforme financière qui se concentre sur les obligations ‘bleues’, par exemple pour financer la protection des ressources marines. Nous avons également signé , et, tout dernièrement, . Le but est notamment de mettre à leur disposition les services de notre académie pour développer ces places financières et leur faire prendre le virage de la durabilité. Au-delà de l’activité du LGX, nous cherchons aussi à pousser la Bourse de Luxembourg dans une direction plus verte. Nous le faisons en nous interrogeant de manière plus systématique sur l’identité de leurs émetteurs, leur alignement par rapport à certains scénarios climatiques, ainsi que sur leur contribution positive ou négative aux Objectifs de développement durable. Aujourd’hui, nous cherchons à mettre en place un système permettant d’analyser de façon structurelle notre exposition aux risques ESG, au risque qu’ils présentent par rapport à la réputation des sociétés, etc. En définitive, nous souhaitons abolir la différence entre la finance durable et la finance classique, car elle n’a désormais plus de raison d’être.
Nous souhaitons abolir la différence entre la finance durable et la finance classique, car elle n’a désormais plus de raison d’être.
Certains nourrissent toujours une méfiance importante par rapport aux investissements verts. Comment les rassurer? Comment se prémunir durablement contre le risque de greenwashing?
«La chance que nous avons, c’est que les obligations sont des instruments financiers relativement simples: on lève de l’argent, avec lequel on finance des projets. C’est très différent de l’univers des fonds ou des dérivatifs, qui sont tout de suite plus complexes. On est dans un monde très clair, avec peu d’intermédiaires. Grâce à notre DataHub, nous pouvons donc savoir très facilement si une obligation censée investir dans les panneaux solaires, par exemple, l’a réellement fait. En fixant des objectifs et en vérifiant systématiquement s’ils ont été atteints, nous pouvons donc offrir de solides garanties aux investisseurs. Pour nous, c’est extrêmement important. Malheureusement, c’est par contre plus difficile à mettre en place en ce qui concerne les fonds. La SFDR constitue un premier pas pour nous permettre d’avoir plus de visibilité sur les investissements réalisés à travers des fonds, mais la vérification est encore délicate à mettre en œuvre pour l’instant. Je ne doute toutefois pas que la Commission européenne, dans un second temps, mettra en œuvre les outils légaux nécessaires pour pouvoir contrôler plus efficacement le caractère durable des fonds d’investissement.
La réglementation, justement, sera-t-elle encore amenée à évoluer dans les quelques années à venir?
«Je pense qu’il faudra d’abord digérer les différentes nouveautés réglementaires qui sont en cours d’implémentation. Avec la SFDR et la taxonomie verte, nous sommes déjà partis jusqu’en 2024, au moins. Il faut donc laisser un peu de temps aux acteurs pour que tout cela se mette en place. En outre, il ne faut pas oublier qu’en dehors de ces réglementations, la plupart des textes légaux encadrant les instruments financiers traditionnels – Ucits, etc. – ont également été revus au cours des derniers mois, ou vont bientôt l’être, pour intégrer des critères durables. Il s’agit donc d’une évolution énorme, qui a de nombreuses implications et ne peut pas être effective en quelques mois à peine.
En dehors des aspects légaux, pensez-vous que les mentalités aient, elles aussi, bien évolué sur le sujet de la finance durable au cours des dernières années?
«Tout à fait. Il y a 15 ans, quand j’ai commencé à travailler dans ce secteur, nombreux étaient les experts du monde financier à regarder de haut la finance durable, à la considérer comme un phénomène marginal. Aujourd’hui, les mentalités ont clairement changé, même au Luxembourg, et plus personne ne met ce sujet de côté. Le changement de génération a certainement eu un effet positif à cet égard. Je pense que, désormais, tout le monde veut rendre son activité plus durable. Par contre, il est clair que de nombreux acteurs ne savent pas encore très bien comment s’y prendre et peuvent donc encore commettre des erreurs, sans qu’elles soient forcément volontaires. C’est aussi notre rôle de les guider…»
Cette interview a été rédigée pour paru le 27 avril 2022 avec Le contenu du supplément est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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