La Cour de justice met en garde la Cour de cassation grecque quant aux intentions éventuellement malhonnêtes de la maison mère qui aurait pu tenter de se soustraire à ses obligations financières. (Photo: Sébastien Goossens / Archives)

La Cour de justice met en garde la Cour de cassation grecque quant aux intentions éventuellement malhonnêtes de la maison mère qui aurait pu tenter de se soustraire à ses obligations financières. (Photo: Sébastien Goossens / Archives)

La Cour de justice de l’UE a tranché, jeudi, dans une affaire opposant les salariés d’une filiale mise en liquidation à son entreprise mère, une société de construction maritime et ferroviaire grecque.

La troisième chambre de la Cour s’est penchée sur le sort de 160 salariés pris dans le feu de la restructuration d’Ellinika Nafpigeia, une entreprise du secteur public grec née en 1985 et active dans la construction de navires de guerre et de commerce, la réparation de navires, la construction et la réparation de sous-marins ainsi que la construction et la réparation de véhicules ferroviaires. Une entreprise privatisée en 2002 et soumise à une interdiction de réduction de son personnel jusqu’en septembre 2008.

Quatre ans après la privatisation, Ellinika Nafpigeia a transféré les activités de construction et de livraison de véhicules ferroviaires dans une filiale, Etaireia Trochaiou Ylikou Ellados (ΕΤΥΕ), la dotant des infrastructures et services nécessaires à son fonctionnement à partir des ressources de la maison mère. Les deux sociétés ont finalement signé un accord-cadre prévoyant la liquidation d’ETYE, étant convenu qu’Ellinika Nafpigeia prendrait en charge l’équivalent du coût estimé du licenciement des salariés.

La Cour de cassation grecque divisée

Entre-temps, les actions d’ETYE ont été transférées à deux sociétés allemandes, Industriebeteiligungsgesellschaft mbH (ΙΝΤΕΙ) et Industriegesellschaft Waggonbau Ammendorf mbH (ΙGWA), donnant lieu à un accord collectif d’entreprise concernant les salariés. Mais ETYE n’a pas survécu longtemps: sa faillite fut prononcée en 2010.

Les salariés ont alors saisi la justice afin qu’Ellinika Nafpigeia leur verse les indemnités légales de licenciement. Ils ont obtenu gain de cause en première instance puis en appel, les juges considérant qu’ETYE n’avait jamais été une entité autonome puisqu’elle dépendait de la maison mère pour fonctionner, que ce soit au niveau de la production, des services administratifs ou de la gestion financière.

Un désaccord au sein de la Cour de cassation grecque a amené celle-ci à poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’UE: la directive 2001/23 relative au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements s’applique-t-elle dans ce cas précis?

La directive s’applique même en cas de liquidation

«Il ne résulte d’aucune disposition de la directive 2001/23 que le législateur de l’Union a entendu subordonner l’applicabilité de ladite directive à la pérennité du cessionnaire au-delà d’un terme particulier», analyse la Cour.

En outre, la justice grecque s’est interrogée sur l’objectif final de la liquidation qui serait de «dissimuler [la] véritable intention [de la maison mère] qui serait de faciliter la liquidation de l’entité transférée sans avoir à en assumer les répercussions financières». La Cour de justice délivre alors quelques critères à vérifier par la justice grecque pour s’en assurer, notamment l’exigence de stabilité des activités cédées et leur autonomie réelle.

La Cour livre donc l’interprétation à retenir de la directive 2001/23: celle-ci s’applique bien au transfert d’une unité de production lorsque, d’une part, le cédant et/ou le cessionnaire agissent en vue de la poursuite de l’activité économique cédée, mais également en vue de la disparition ultérieure du cessionnaire lui-même dans le cadre d’une liquidation. Et ce à la condition que l’unité en cause ne soit pas totalement autonome puisque n’ayant pas la capacité d’atteindre son objet économique sans recourir aux facteurs de production provenant de tiers.

La Cour de cassation grecque doit également vérifier que la maison mère et sa filiale n’ont pas tenté de contourner frauduleusement et abusivement la législation afin de se soustraire à leurs obligations.