Un processus de vérification, avec reconnaissance faciale, «invasif»? Ce sont les accusations portées par l’organisation Noyb (pour «Ma vie privée est None Of Your Business»), fondée par l’activiste autrichien pour la protection des données Max Schrems, contre Ryanair.
«Après avoir réservé un vol Ryanair par l’intermédiaire de l’agence de voyages en ligne eDreams, la plaignante a reçu un mail de Ryanair lui demandant d’effectuer un “processus de vérification”», détaille Noyb dans un article. «Elle avait le choix entre vérifier par reconnaissance faciale ou se rendre au comptoir d’enregistrement de l’aéroport plus de deux heures avant le départ. La personne n’aurait pas pu embarquer sur le vol si elle avait refusé d’obéir à ces instructions. Elle a même dû s’acquitter de charges pour le “processus de vérification”.»
Selon Noyb, «il n’y a aucune justification raisonnable à la mise en œuvre de ce système par Ryanair. Au contraire, il semble que la compagnie viole volontairement le droit de ses clients à la protection de leurs données afin d’obtenir un avantage concurrentiel déloyal par rapport aux autres canaux de réservation». La plateforme autrichienne a donc déposé, ce jeudi 27 juillet.
Contactée, la compagnie aérienne rétorque: «Ryanair n’a aucune relation commerciale avec les OTA (agences de voyages en ligne), qui ne sont pas autorisées à vendre nos vols. Les OTA récupèrent l’inventaire de Ryanair et, dans de nombreux cas, vendent à tort nos vols et services auxiliaires avec des majorations cachées et fournissent des informations (contact client, détails de paiement) incorrectes». C’est pourquoi «tous les clients qui réservent via un OTA sont tenus de suivre un processus de vérification. Ils peuvent choisir la vérification biométrique ou remplir un formulaire de vérification numérique, processus qui sont tous deux entièrement conformes au Règlement général sur la protection des données (RGPD)».
Un processus de vérification détaillé dans les conditions de vente
Les de l’agence de voyages en ligne espagnole eDreams précisent que: «Si vous sélectionnez un billet d’avion avec une compagnie aérienne low cost, eDreams effectuera l’achat dudit billet en votre nom et vous recevrez un mail de confirmation directement de la compagnie aérienne low cost. Votre contrat sera conclu avec la compagnie aérienne low cost concernée et soumis aux termes et conditions de celle-ci.»
Et dans ses , Ryanair détaille: «La vérification peut être effectuée en ligne ici jusqu’à 120 minutes avant le départ. Dans le cas où vous ne compléteriez pas la vérification en ligne, vous pourrez également le faire au comptoir de l’aéroport concerné 60 minutes avant le départ. Dans ce cas, les passagers seront facturés pour les frais d’enregistrement à l’aéroport.» La de Ryanair indique alors que l’enregistrement à l’aéroport coûte 55 euros.
«Si vous choisissez la vérification en ligne, deux options sont disponibles: la vérification express et la vérification standard», peut-on encore lire dans les conditions de vente de la compagnie aérienne. «La vérification express exige que vous effectuiez les étapes suivantes:
1. payer les frais de 0,59 euro
3. fournir une photographie de vos documents de voyage (c.-à-d. passeport ou carte d’identité);
4. fournir une photo de votre visage pour vérifier les documents de voyage que vous avez fournis à l’étape 3;
5. effectuer une vérification en direct de votre visage en réalisant certaines actions que l’on vous demandera de faire; et
6. fournir votre adresse e-mail personnelle.»
Alors qu’avec la vérification standard, les étapes sont les suivantes:
«1. fournir un formulaire de Vérification dûment signé et rempli ;
2. fournir votre code de référence de réservation (PNR) et le(s) nom(s) du ou des passager(s);
3. fournir une photographie de vos documents de voyage (c.-à-d. passeport ou carte d’identité); et
4. fournir votre adresse e-mail personnelle.»
Une pratique «discriminatoire», pour eDreams
Pour eDreams, ce n’est «que le dernier ajout à une longue liste de pratiques anticonsommateurs que [Ryanair] a conçues pour exploiter et tirer profit des voyageurs. Leur décision d’introduire un processus dit de vérification, qui entraîne un coût supplémentaire pour les voyageurs et implique la collecte de données personnelles sensibles, est à la fois injustifiée et discriminatoire.»
D’autres compagnies, avec lesquelles travaille eDreams, imposent-elles des vérifications similaires? «Cette décision sans précédent de Ryanair se distingue comme la première du genre dans notre industrie», répond alors l’agence en ligne, qui affirme proposer les vols de 700 compagnies aériennes mondiales.
eDreams ajoute: «En tant qu’agence de voyages, nous possédons le droit de vendre au détail le contenu des compagnies aériennes, y compris celui de Ryanair.»
Ce conflit entre Ryanair et les agences en ligne dure depuis des années. En avril, le tribunal fédéral suisse avait, selon plusieurs médias, donné raison à Lastminute, l’autorisant à vendre des vols Ryanair à ses clients. Tandis que le tribunal de Barcelone avait donné raison à la compagnie irlandaise en juin dans son litige contre les agences de voyages en ligne et leurs pratiques «préjudiciables».
Pas de plaintes au Luxembourg
Au Luxembourg, le Centre européen des consommateurs (CEC) «n’a enregistré aucune plainte concernant Ryanair ou toute autre compagnie aérienne» relative à un processus de vérification qui serait considéré comme abusif, affirme le juriste Cédric Arnasalon.
Et si cela arrivait? «Les consommateurs devraient bénéficier d’un traitement équitable lors de leurs réservations, que ce soit sur une plateforme en ligne ou directement sur le site de la compagnie aérienne. La reconnaissance faciale, en tant que moyen de vérification, soulève des questions quant à sa nécessité et à sa conformité avec les dispositions légales de protection des données personnelles», analyse le juriste.
«Ce processus utilisant des données biométriques sensibles comme la reconnaissance faciale nécessiterait une base légale appropriée en vertu du RGPD. De plus, il est essentiel de s’assurer que toute mesure de sécurité mise en place par une compagnie aérienne est proportionnée et justifiée, conformément aux principes énoncés par la législation européenne en matière de protection des données.»
Contactée, la Commission nationale pour la protection des données (CNPD) n’avait pas encore commenté au moment de la publication de l’article.