«Cette question, il faut vraiment se la poser lorsque vous regardez le nombre de projets que nous avons dans tout le pays, qu’il s’agisse de projets autoroutiers ou de projets de construction. S’il doit y avoir un congé collectif ou s’il peut y avoir des dérogations. Des dérogations sont accordées par l’ITM, à qui des demandes sont adressées. Mais la question de savoir si c’est encore adapté devra être discutée avec les partenaires sociaux, pour tenter de trouver une autre solution que trois semaines de fermeture complète, comme à présent.»
Il a suffi d’une déclaration du ministre du Travail, (CSV), répondant la semaine dernière, au cœur de la torpeur estivale, à une question posée au micro de nos confrères de RTL, pour mettre le feu aux poudres.
Président de la Fédération des entreprises de construction et de génie civil, , le patron de la société de construction éponyme, en est même tombé de l’armoire depuis son lieu de vacances. Comme tous les professionnels du secteur, Roland Kuhn a profité d’un congé collectif du 26 juillet au 18 août. Il en ira de même cet hiver, entre le 21 décembre et le 8 janvier. Une pratique en vogue depuis la fin des années 1960 au Luxembourg. Et donnant toute satisfaction, au dire de Roland Kuhn. Qui s’en explique.
Qu’est-ce qui vous pousse à défendre le congé collectif?
Roland Kuhn. – «Il y a plusieurs raisons. D’abord, je crois que c’est très important que nos collaborateurs disposent d’un tel congé. Beaucoup de salariés sont originaires du Portugal, il s’agit pour eux d’une possibilité donnée de faire le voyage. Trois semaines en continu, ce n’est pas un luxe. Ce congé réglé par convention collective est d’autant plus précieux qu’il inclut le 15 août, un jour très important aussi pour nos collaborateurs portugais parce que s’y organisent de nombreuses fêtes familiales, par exemple des mariages ou des baptêmes.
Deuxième raison, selon vous?
«La météo. Je ne vous apprends rien, les températures sont souvent très chaudes au mois d’août. On en a la preuve actuellement. Travailler pendant ces phases très chaudes, ce serait une erreur pour la santé des collaborateurs. Ce constat vaut d’ailleurs aussi pour la période hivernale, avec le froid, le gel, le mauvais temps. Dans ces conditions, la qualité de la construction n’est de toute façon pas bonne. Mais revenons à la chaleur… Avec le béton, le ciment, on travaille quand même avec une matière hydraulique. L’évaporation d’eau est importante. Vous devez arroser en permanence, et vous n’avez même pas la même qualité de travail. Vous allez me dire qu’il y a des pays où ces conditions de chaleur sont permanentes, certes. Mais nous sommes au Luxembourg, et le système marche merveilleusement bien. Le congé collectif est très important.
À un moment donné, il faut aussi respecter un peu le cas des petites entreprises.
Vous n’avez pas encore évoqué le point de vue des employeurs…
«Et c’est un aspect prépondérant, car le congé collectif est essentiel aussi pour la gestion des entreprises. On ferme ensemble, on rouvre ensemble, avec un ‘gentleman’s agreement’ qui fait que pendant trois semaines, aucune soumission publique ne sort. Les entreprises respectent cet arrêt, l’État le respecte, les communes le respectent. Et puis… à un moment donné, il faut aussi respecter un peu le cas des petites entreprises. Et nous avons beaucoup, beaucoup, de petites entreprises où le patron fait tout. Il répond aux offres, il contrôle le chantier, il assure la comptabilité… Le congé collectif lui permet à lui, comme aux collaborateurs, de pouvoir partir avec les enfants durant les vacances scolaires. Comme c’est le cas également en hiver, d’ailleurs. Quand j’étais enfant, je partais en vacances sur la côte belge. Seul avec ma mère. Mon père n’était jamais là, il ne nous rejoignait que pour le week-end. Si le congé collectif n’existait pas, que se passerait-il? On partagerait les trois semaines de congé sur trois mois, de mi-juin à mi-septembre. Avec des problèmes en matière d’effectif, car il manquerait toujours quelqu’un. Dans les petites entreprises, ce serait néfaste. Dans tous les cas, des chantiers seraient mis à l’arrêt.
Je vais me faire l’avocat du diable, mais c’est la situation que connaissent toutes les entreprises dans la gestion de leurs congés, quel que soit leur domaine d’activité…
«Le travail dans la construction, c’est surtout un travail d’équipe. Un chef d’équipe, un grutier, des maçons… Si le grutier est absent, croyez-vous qu’une petite entreprise disposera d’un grutier remplaçant? Il est bien plus bénéfique pour tout le monde que l’ensemble de l’équipe parte ensemble en congé.
Pourquoi remettre en cause maintenant quelque chose qui fonctionne bien?
Quid des dérogations?
«Une commission ad hoc réunissant syndicats, patronat et l’Inspection du travail et des mines (ITM) définit qui peut et qui ne peut pas travailler pendant le congé collectif. Les usines comme ArcelorMittal qui effectuent des travaux d’entretien pendant cette période ont bien sûr droit à une dérogation. Il en va de même pour l’entretien des écoles ou pour les grands chantiers d’infrastructure. Le tram, le rond-point Schuman, la démolition du Hamilius… Il y a toujours eu des dérogations, sans que cela ne crée des soucis. Je me pose la question: pourquoi remettre en cause maintenant quelque chose qui fonctionne bien, et dont tout le monde est satisfait? C’est plus rentable d’arrêter tous ensemble et de revenir en étant compétitifs, plutôt que de ne pas s’arrêter et de fonctionner, pendant trois mois, sur trois pattes. Nous ne sommes d’ailleurs pas le seul pays à raisonner de la sorte. La Suisse et la Belgique sont dans le même cas.
Mais vous entendez que le grand public puisse avoir du mal à comprendre, alors que la construction traverse une crise sans précédent et qu’il y a urgence sur le logement…
«Vous oubliez une chose: les salariés ont droit à leur congé et qu’ils les prennent ensemble ou qu’ils les prennent séparément, cela revient finalement au même. Quand les gens ne sont pas là pour travailler, on ne peut pas construire. Je le répète: sans congé collectif, il y aura toujours quelqu’un important dans l’équipe qui ne sera pas là. Et les travaux en pâtiront. Une grande entreprise peut peut-être encore le gérer. Mais les petits artisans?
Les déclarations du ministre vous inquiètent-elles?
«Je ne suis pas du tout inquiet. Si notre ministre nous demande de venir discuter, nous irons discuter. On pèsera le pour, le contre. Nous discuterons, oui, et nous saurons expliquer, persuader. Mais pour moi, il n’y a pas de sujet.»