Julie Dickson, equity and multi-asset investment director chez Capital Group, rappelle que, lorsqu’un nouveau cycle de vie des marchés s’enclenche, le travail d’un gestionnaire d’actifs n’est pas d’annoncer les thèmes à venir, mais bien d’identifier les nouveaux gagnants.  (Photo: Micha Theiner)

Julie Dickson, equity and multi-asset investment director chez Capital Group, rappelle que, lorsqu’un nouveau cycle de vie des marchés s’enclenche, le travail d’un gestionnaire d’actifs n’est pas d’annoncer les thèmes à venir, mais bien d’identifier les nouveaux gagnants.  (Photo: Micha Theiner)

De nombreux investisseurs en valeurs boursières se concentrent sur la probabilité d’une récession à venir. Consciente des défis, Julie Dickson, equity and multi-asset investment director, expose les raisons de maintenir une vision à long terme tout en identifiant de nouvelles opportunités. 

Les marchés des actions entrent dans une phase de bear market. Comment se matérialise ce phénomène actuellement?

Julie Dickson. – «Une partie de la correction à laquelle nous avons assisté cette année a réellement commencé l’année dernière. Depuis 2008 et en particulier pendant les restrictions sanitaires, les entreprises à forte croissance ont obtenu des résultats exceptionnels, alimentés par un environnement de taux d’intérêt incroyablement bas et durables, où le capital était bon marché. Par conséquent, emprunter et investir dans la croissance a été très accessible pour de nombreuses entreprises. La demande pour les plateformes numériques et en ligne a explosé, elle s’est développée de manière spectaculaire, en particulier ces deux dernières années.

À la fin de l’année dernière, nous avons constaté une rotation de ce phénomène, matérialisée par des inquiétudes sur certaines de ces valeurs. Ensuite, en tant qu’investisseurs, nous nous sommes inquiétés de l’arrivée de l’inflation à la suite de la pandémie, de l’arrivée d’une hausse potentielle des taux d’intérêt et de la valeur forte du dollar. De facto, nous nous attendions naturellement à ce que des valeurs commencent à se retourner à un moment donné, comme cela se passe généralement lorsqu’elles atteignent un plafond psychologique de valorisation. À ce moment-là, nous devons alors nous interroger s’il y a eu une dégradation structurelle des perspectives de bénéfices, des actifs ou de la politique de dividendes.

Nous nous attendions naturellement à ce que des valeurs commencent à se retourner à un moment donné, comme cela se passe généralement lorsqu’elles atteignent un plafond psychologique de valorisation.
Julie Dickson

Julie Dicksonequity and multi-asset investment directorCapital Group

La récession se profile progressivement comme un thème majeur. Pourtant, les perturbations et les crises ont toujours fait partie de la vie des marchés. Y a-t-il des raisons d’être plus pessimistes aujourd’hui?

«Je suis dans le secteur de la gestion d’actifs depuis près de 30 ans. Et vous savez, les crises vont et viennent. Il y a toujours eu des problèmes et les marchés ont toujours trouvé un moyen de se rétablir. Le défi se pose plutôt au niveau des entreprises qui ont connu une croissance très rapide à la suite de la pandémie et qui doivent la maintenir. Elles vont revenir à une situation plus normale à long terme, qu’elles avaient avant la pandémie. Certaines des sociétés Internet entrent dans cette catégorie.

Ce n’est pas notre travail d’annoncer le thème, quel qu’il soit, pour les six à huit mois ou les deux années à venir. Notre travail consiste à rechercher les entreprises qui vont s’en sortir et qui continueront à prospérer dans cinq ou dix ans. Finalement, les crises ne constituent pas uniquement un défi au niveau des rendements pour les investisseurs. Elles ouvrent aussi le marché à des opportunités d’investissement.

C’est donc le moment d’identifier de nouvelles opportunités d’investissement.

«Lorsque les marchés se corrigent, vous trouvez parfois des opportunités. C’est le cas des entreprises qui se portaient très bien et qui connaissent soudain une perte de 10% de leur prix, alors que rien n’a structurellement changé et qu’elles sont toujours en situation de croissance. C’est dans de tels cas de figure que les opportunités se présentent. Le contexte comporte des défis, mais aussi des opportunités très importantes. Et le fait d’avoir une vision d’investissement à long terme nous a permis de traverser les tempêtes plutôt bien. C’est sans compter que nous ne sommes pas obligés de toujours passer des ordres. La volatilité est si élevée que maintenant, la rotation dans nos portefeuilles d’actions est en moyenne d’environ 25%. En situation de crise ou de haute volatilité, nous pouvons donc très facilement lever le pied et prendre le temps de comprendre ce qui se passe dans la dynamique des entreprises et dans le contexte du marché.

Lorsque les marchés se corrigent, vous trouvez parfois des opportunités.
Julie Dickson

Julie Dicksonequity and multi-asset investment directorCapital Group

Les marchés des actions entrent dans un nouveau cycle de vie. Quel sera ce cycle? Sera-t-il celui de la démondialisation?

«Nous entrons clairement dans un nouveau cycle de taux d’intérêt bien plus élevés qu’au cours des 14 dernières années. En ce sens, il y a donc bien un nouveau cycle. En revanche, ce cycle variera d’une région à une autre du globe. La fin du cycle économique aux États-Unis est différente de celui du Royaume-Uni ou encore de l’Europe continentale, de la Chine et des marchés émergents. Mon impression est qu’il y a moins de synchronisation qu’avant. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une question de démondialisation, mais plutôt d’une différenciation entre les différentes économies et la dynamique de l’offre et de la demande qu’elles connaissent.

Qu’en est-il de la stratégie consistant à s’en tenir aux actions d’entreprises qui présentent les meilleurs fondamentaux? Les marchés reflètent-ils toujours les fondamentaux des entreprises ou y a-t-il une décorrélation entre les deux?

«Chaque fois qu’un mouvement majeur s’opère sur les marchés, il existe à la fois le risque et l’opportunité que le prix soit en déconnexion avec le marché. Lorsque les marchés ont tendance à être guidés par les sentiments, tels que ces deux dernières semaines, tels que fin février dernier et tels qu’en en mars 2020, cela présente des défis, d’une part, car les prix sur les marchés ne reflètent pas la force fondamentale des entreprises dans certains cas. D’autre part, la situation présente des opportunités, car les marchés ne reflètent pas la force fondamentale de certaines entreprises.

C’est dans les périodes de haute volatilité que les points d’entrée sur le marché sont plus intéressants et plus nombreux. Les entreprises qui versent des dividendes deviennent beaucoup plus attrayantes, à la fois parce qu’elles commencent à croitre beaucoup plus et qu’elles fournissent désormais des rendements vraiment solides. Des rendements qui continuent d’augmenter créent un environnement propice aux dividendes. Les sociétés qui versent des dividendes ont tendance à être moins volatiles et à fournir un rendement un peu plus élevé, même lorsque les prix baissent. En particulier les sociétés qui ont été capables de distribuer et de faire croitre leurs dividendes au cours des deux ou trois dernières années dans les secteurs les plus durement touchés sont vraiment intéressantes à nos yeux.

Des rendements qui continuent d’augmenter créent un environnement propice aux dividendes.
Julie Dickson

Julie Dicksonequity and multi-asset investment directorCapital Group

Votre approche d’investissement n’a donc pas vraiment changé?

«D’un point de vue à long terme, nous n’avons rien changé. Nous faisons toujours de l’analyse fondamentale et de l’investissement à long terme. Nous n’investissons que dans des sociétés pour lesquelles nous avons une conviction, quoi qu’il se passe sur les marchés. La seule chose qui change, c’est le prix que vous payez pour cela.

Considérez-vous sinon que la stratégie axée sur les actions de type «value» et «growth» soit toujours pertinente?

«Nous n’analysons pas les marchés dans une perspective de croissance et de valeur, mais plutôt sous l’angle de la croissance et du revenu. Il y a énormément de sociétés en croissance qui sont soit chères, soit bon marché, mais qui ne versent aucun dividende. D’autres sociétés qui payent des dividendes sont très chères. Par contre, il y a celles qui sont considérées comme des entreprises à forte croissance et qui payent des dividendes.

Avec le nouveau cycle de vie des marchés boursiers, y a-t-il une région géographique sur laquelle vous vous concentrez pour identifier les nouveaux gagnants?

«Nous ne divisons pas du tout l’univers d’investissement en fonction de la géographie, à moins que cela n’ait un sens pour une industrie spécifique comme en Chine. La plupart des sociétés dans lesquelles nous investissons sont soit régionales, soit mondiales. Cela fait presque 14 ans que nous avons abandonné l’approche géographique de l’investissement. Et peu importe que la tendance soit à la démondialisation, le marché regorge d’entreprises mondiales et multinationales. Par conséquent, regarder où elles sont basées est nettement moins pertinent que de regarder où elles génèrent réellement des revenus. La croissance des revenus par zone géographique est plus importante que le domicile d’une entreprise.

Peu importe que la tendance soit à la démondialisation, le marché regorge d’entreprises mondiales et multinationales.
Julie Dickson

Julie Dicksonequity and multi-asset investment directorCapital Group

Si l’approche géographique n’est pas pertinente, qu’en est-il de l’approche sectorielle?

«Nos décisions d’investissement sont “bottom-up”. Nos gestionnaires sélectionnent eux-mêmes les entreprises dans lesquelles ils veulent investir. Ils ont connaissance des choix de leurs collègues, mais cela ne les influence pas. Il est de leur ressort de décider des valeurs pour atteindre les objectifs que nous leur avons fixés pour leurs fonds. Personne ne leur dicte une quelconque pondération sectorielle, c’est entièrement à la discrétion de chaque gestionnaire de portefeuille. Ainsi, les secteurs en portefeuille résultent de la conviction individuelle de chaque gestionnaire.

En raison du bear market en cours, des investisseurs ne pourraient-ils pas opter pour un repli vers le private equity?

«S’il y a bien une chose que j’ai apprise au cours des 20 dernières années, c’est qu’avec l’augmentation des flux d’informations, il ne reste plus grand-chose à analyser. Vous absorbez ainsi toutes les informations et devez rapidement prendre une décision. Le private equity est par contre un domaine dans lequel il y a moins de liquidité, nécessitant donc davantage de recherches. C’est sans compter qu’il y a nettement moins d’informations disponibles dans ce domaine. Je ne perçois donc pas la fin des marchés boursiers. Tout au contraire, les corrections récentes constituent même un point d’entrée intéressant sur les marchés des actions. Mais ce n’est pas non plus le moment de se retirer. Il est important de rester investi, avec une vision à long terme.»