Le logement, que l’on soit locataire ou propriétaire, semble ne plus quitter le sommet du hit-parade des inquiétudes des résidents luxembourgeois. En effet, 80% des ménages se disaient concernés par la charge financière de leur logement… en 2012.
«Le taux est sans doute encore un peu plus élevé actuellement», dit-on au Statec, qui avait réalisé cette étude consacrée au coût du logement. Déjà, l’inquiétude était croissante puisque, si 26% des ménages avouaient que la charge du logement n’était pas importante du tout à leurs yeux en 2003, ils n’étaient déjà plus que 17% en 2012. Dans le même temps, le taux de familles qui estimaient cette même charge comme importante avait bondi de 27% en 2003 à 38% en 2012.
Un phénomène plus compréhensible au regard du poids du logement dans le budget moyen des ménages. Il n’a en effet jamais cessé d’augmenter. Les chiffres fournis par Ioana Salagean, économiste et statisticienne au Statec, le démontrent. En 1998, le poids du logement était de 27,35%, avant de passer le cap des 30% en 2005 et d’atteindre 36,5% en 2017.
Le logement accroît le risque de pauvreté
L’analyse fine révèle une autre réalité: c’est auprès des ménages les plus défavorisés que le poids du logement est le plus lourd et a le plus augmenté ces dernières années. Entre 2012 et 2017, il a grimpé de 20% pour les plus défavorisés (groupe Q1, la société étant composée de cinq groupes) et de seulement 7% pour les plus nantis (Q5), selon une étude du Statec datant du mois d’août. Dans ce groupe Q1, le logement représente 42% des dépenses, soit presque trois fois plus que pour les plus aisés (14,5%).
Première conséquence de ce phénomène, le taux de risque de pauvreté gonfle si on tient compte des dépenses liées au logement dans le calcul. En 2017, selon le Statec, 15,8% de la population était en risque de pauvreté. Mais ce taux s’élève à 24% si on déduit le coût du logement du revenu disponible. Et plus personne n’est épargné par ce risque, sauf les pensionnés et les propriétaires ayant fini de rembourser leur bien.
Les prix devenant de plus en plus inaccessibles, on observe clairement un marquage socio-spatial plus important.
La seconde conséquence est que cette hausse de la charge du logement impacte la structuration de l’espace. «Les prix devenant de plus en plus inaccessibles, on observe clairement un marquage socio-spatial plus important, relève Antoine Paccoud, géographe social attaché au Liser et spécialiste des questions de développement urbain et de mobilité. La carte du pays qui croise le taux d’étrangers et les revenus par rapport aux moyennes nationales est éloquente. On voit clairement un premier cercle avec la capitale et des communes proches, où on retrouve une population surtout constituée d’étrangers avec des revenus élevés. Il y a ensuite un second cercle, assez large puisqu’allant d’Ell à Dahlem et de Clemency à Bech, occupé surtout par des Luxembourgeois aisés. On voit ensuite des points qui correspondent aux villes plus importantes, avec un nombre d’étrangers supérieur à celui des Luxembourgeois et des revenus inférieurs à la moyenne nationale. Puis, enfin, les campagnes, la principale partie du nord du pays, avec des Luxembourgeois, mais moins aisés que la moyenne nationale.»
Gentrification nationale
Le Luxembourg n’échappe donc pas au phénomène de gentrification sur une partie de son territoire – c’est-à-dire, quand une certaine population en remplace une autre, poussée au-delà, comme cela se voit à Londres.
«On peut avoir le sentiment que ce qui se passe ailleurs à l’échelle d’une ville se produit au Luxembourg au niveau du pays tout entier, et s’accélère», indique Antoine Paccoud. Avec le risque de voir certains profils et métiers éloignés de certaines zones, dont la capitale et sa ceinture. Luxembourg-ville en est le meilleur exemple. Mais d’autres lieux pourraient aussi être gentrifiés à terme. «Notamment Esch, sous l’impulsion du développement de Belval, qui abrite une population bien différente de la classe ouvrière.»
Pour s’opposer à cette fracture sociale de plus en plus béante, la solution est de proposer plus de logements sociaux et de logements à un prix abordable. «Oui, mais le vrai problème est surtout de savoir à qui attribuer ces logements, sur base de quels critères. Au Luxembourg, presque tout le monde peut introduire un dossier auprès du Fonds du logement ou de la SNHBM. Les personnes qui en auraient le plus besoin sont mal identifiées et donc mal connues; souvent, elles n’ont d’ailleurs pas les connaissances pour demander un logement social...», souligne pour sa part Julien Licheron, du Liser.
Une population résidente, mais étrangère, et qui, donc, ne vote pas. D’où aussi un moindre empressement des politiques à tourner les yeux vers elle. Du moins, jusqu’à présent, .

Antoine Paccoud: «On peut avoir le sentiment que ce qui se passe ailleurs à l’échelle d’une ville se produit au Luxembourg au niveau du pays tout entier, et s’accélère.» (Source: Statec)