Le Concours national d’éloquence Tony Pemmers, organisé par la CJBL et le Paperjam + Delano Club, en partenariat avec BGL BNP Paribas, a eu lieu le 29 juin. 10 jeunes avocats ont eu 8 minutes pour développer une plaidoirie originale, et convaincre le jury.

Demandant autant de verve et de précision que de bons arguments et un vocabulaire ciselé, la plaidoirie est un exercice oratoire subtil. , organisé par la CJBL et le Paperjam + Delano Club, en partenariat avec BGL BNP Paribas, a mis en évidence les talents de 10 jeunes membres du Barreau luxembourgeois, le 29 juin.

Dans le jury, figuraient cette année Francis Delaporte (président de la Cour administrative, vice-président de la Cour constitutionnelle et président du jury), la ministre de la Justice (déi Gréng), (président de la Cour supérieure de justice),  (founder et executive chairman de Maison Moderne), ainsi que Pierre-Emmanuel Roux (associate chez Wildgen et lauréat de l’édition 2020 du concours).


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Paperjam vous propose de redécouvrir ces plaidoiries, ainsi que les textes des avocats.

Ibrahim Dème a étudié le droit en France, à Metz et Nancy, avant de suivre le cours complémentaire en droit luxembourgeois. Il est, depuis le 1er avril 2021, stagiaire judiciaire au sein de l’étude Lextrust.

Sa plaidoirie avait pour titre: «La vérité, elle est toujours belle et terrible, c’est pourquoi il faut l’aborder avec beaucoup de précautions.»

«Monsieur le président,

Mesdames, messieurs les membres du jury,

Chères consœurs, chers confrères,

Avant de commencer mon exposé, je voudrais d’abord poser une question: Est-ce que certains dans cette salle pensent que toute vérité est bonne à dire? Ou est-ce qu’il y en a parmi vous qui pensent qu’un bon mensonge vaut mieux qu’une mauvaise vérité?

Je voudrais profiter de la tribune qui m’est offerte aujourd’hui pour faire un zoom sur trois séquences médiatiques en France à propos de la vérité qui ont défrayé la chronique.

D’abord en 1986, avec le fameux nuage radioactif de Tchernobyl, puis en 2010 avec le scandale du Mediator, et enfin, plus récemment, en 2020, avec l’épidémie de coronavirus.

Lorsqu’il y a eu l’explosion de la centrale de Tchernobyl, le directeur du service de protection contre la radioactivité, le docteur Pierre Pellerin, a déclaré qu’il n’y avait pas de risques pour la santé publique en France des suites de Tchernobyl malgré l’augmentation de la radioactivité mesurée dans l’air.

Immédiatement, cette déclaration est reprise par les médias, qui racontent que ‘le nuage s’est arrêté aux frontières’.

La présentatrice du journal météo de TF1, Brigitte Simonetta, annonce le 30 avril 1986 que les prévisions météorologiques permettent de dire que le nuage ne devrait pas survoler la France grâce à la présence d’un anticyclone.

Les médias ont cru bon à travers cette annonce de faire croire à la France que sa population serait épargnée des conséquences de l’explosion et des effets néfastes du nuage radioactif.

Mais la vérité, c’est que l’explosion de Tchernobyl a affecté tant la France que les autres pays de l’Europe à des niveaux encore détectables aujourd’hui.

Après le mensonge sur les conséquences de l’explosion de Tchernobyl, nous avons assisté au scandale du Mediator, qui a amorcé au début des années 2010.

Ce scandale illustre parfaitement la vigilance que nous devons toutes et tous avoir à l’égard du mensonge.

Pendant 33 ans, le Mediator était commercialisé par les laboratoires Servier, en ayant bénéficié d’une autorisation de mise sur le marché.

Pour vous expliquer un peu le contexte, le Mediator était un médicament qui était autorisé chez les personnes en surcharge pondérale atteintes de diabète de type 2.

Toutefois, ce traitement aux propriétés anorexigènes (qui diminuent l’appétit) a surtout été détourné et prescrit comme coupe-faim à 5 millions de personnes de façon volontaire et dans l’unique dessein de faire du profit.

Le Mediator a entraîné le décès de 1.000 à 2.000 personnes en France à cause de son risque augmenté de valvulopathies cardiaques.

Si les laboratoires Servier avaient joué la transparence depuis le début, en choisissant de dire la vérité sur les réels effets secondaires du médicament, qu’ils connaissaient parfaitement, ce sont 1.000 à 2.000 personnes qui auraient pu être sauvées et être parmi nous à l’heure où je vous parle.

Pour celles et ceux qui ne le savent pas, la valvulopathie cardiaque est une maladie des valves cardiaques qui désigne divers dysfonctionnements des valves cardiaques. En temps normal, les valvules du cœur aident à maîtriser le débit de sang dans les cavités du cœur. En cas de valvulopathie, il peut arriver qu’une valvule ne se ferme pas correctement ou ne s’ouvre pas complètement. Ces défaillances affectent le débit sanguin et peuvent forcer le cœur à travailler plus fort à chaque battement.

Mais le mérite de la vérité, c’est d’être un idéal de justice.

Madame le Ministre de la Justice pourra en témoigner, le but même d’une enquête judiciaire, et d’une instruction, c’est de contribuer à la manifestation de la vérité.

C’est pourquoi le juge d’instruction a cette lourde tâche de devoir instruire à charge et à décharge.

Après 11 ans de bataille judiciaire, le verdict tombe enfin le 29 mars 2021. Le Tribunal de Paris a rendu son jugement et a condamné les laboratoires Servier à 2,7 millions d’euros d’amende pour tromperie aggravée en ayant ‘sciemment dissimulé les propriétés coupe-faim et les dangereux effets secondaires du médicament’.

J’introduisais mes propos au début de mon exposé par la question de savoir s’il y en avait parmi vous qui pensent que toute vérité était bonne à dire.

Le scandale du Mediator me permet de répondre à cette question, par l’affirmative.

Car, lorsque le mensonge devient dangereux, toute vérité devient bonne à dire.

De même lorsque la vérité, aussi terrible soit-elle, peut sauver des vies, rien d’autre ne doit compter, hormis la vérité.

Quand on assiste à de tels mensonges, semblables à ceux du scandale du Mediator, venant des laboratoires pharmaceutiques avec l’aval des autorités chargées de délivrer les autorisations de mise sur le marché, ceux-là même qui doivent veiller sur notre santé et sur nos vies, et quand on voit les conséquences tragiques que ces mensonges peuvent avoir sur nos vies, on comprend rapidement que, si la vérité peut être terrible, ce n’est pas par elle-même, car l’une des sources de nuisance de la vérité, c’est d’avoir été précédée d’un mensonge.

Pour finir avec mes illustrations, je voudrais vous parler de l’épidémie du coronavirus et de la prétendue inutilité du port du masque chirurgical.

Rappelez-vous la porte-parole du gouvernement français Sibeth Ndiaye lorsqu’elle affirmait, lors d’une annonce faite le 20 mars 2020 sur l’antenne de RMC, l’idée selon laquelle la généralisation du port du masque n’était pas nécessaire pour lutter contre la propagation de l’épidémie du coronavirus.

Sibeth Ndiaye disait que l’utilisation du masque devait obéir à des gestes techniques précis, au risque de provoquer l’effet inverse, et d’être même contre-productif.

Cette déclaration faisait écho aux propos du directeur général de la Santé, Jérôme Salomon.

En réalité, au lieu de jouer la transparence sur la pénurie de masques et d’expliquer que le peu de stock disponible serait, légitimement, réservé aux soignants, le gouvernement d’Édouard Philippe avait choisi de ne pas informer les Français, et d’utiliser de faux arguments sanitaires.

C’est là que la vérité devient terrible, car d’ordinaire belle et constituant un idéal, le mensonge la transforme en une vérité terrible, de sorte qu’elle devra être annoncée avec prudence et précaution.

Car, après la désinformation, on assiste finalement à la volte-face du gouvernement: le directeur général de la Santé, qui affirmait jadis que la généralisation du port du masque n’était pas nécessaire pour le grand public, va finir par enjoindre à l’ensemble de la population de porter un masque.

Je voudrais terminer mes propos par ceci: ‘Il vaut mieux être abattu par la vérité que d’être torturé par le mensonge.’»