Le Tribunal de l’UE a renversé l’analyse de la Commission européenne réduisant la taxe hongroise sur la publicité à une aide d’État. (Photo: Sebastien Goossens/Archives/Maison Moderne)

Le Tribunal de l’UE a renversé l’analyse de la Commission européenne réduisant la taxe hongroise sur la publicité à une aide d’État. (Photo: Sebastien Goossens/Archives/Maison Moderne)

Le Tribunal de l’UE a annulé la décision de la Commission européenne qui avait sanctionné la taxe sur la publicité hongroise, la considérant comme une aide d’État.

Deuxième revers pour la Commission européenne devant la justice européenne en une semaine. La Cour de justice avait sur saisine de l’Autriche alors que la Commission n’avait pas donné suite aux réclamations de plusieurs États membres à l’encontre du mécanisme discriminatoire pour les conducteurs étrangers circulant sur les routes fédérales allemandes.

Cette fois, c’est l’analyse de la Commission en matière d’aides d’État qui a été renversée par le Tribunal de l’UE. En cause: la taxe sur la publicité introduite par la Hongrie en juin 2014. Une taxe grevant les recettes liées à la diffusion de publicités et qui touche les journaux, les médias audiovisuels et les afficheurs.

Le législateur hongrois avait ainsi appliqué des taux progressifs allant de 0 à 50% par tranche de chiffre d’affaires, la première tranche imposable démarrant à 500 millions de forints hongrois (environ 1.562.000 euros). La Hongrie a par la suite remplacé ce barème à taux progressifs de six taux par un barème à deux taux: 0% pour la tranche de base d’imposition inférieure à 100 millions de forints hongrois (environ 312.000 euros) et un autre de 5,3% pour la tranche supérieure à cette somme.

Les assujettis à la taxe sur la publicité, dont le bénéfice avant impôt sur les sociétés de l’exercice 2013 était nul ou négatif, pouvaient déduire de leur base d’imposition de 2014 au titre de cette taxe 50% des pertes reportées des exercices précédents.

Des «erreurs» de la Commission

La Commission considérait que «les mesures qui allégeaient les charges normalement supportées par les entreprises apportaient, tout comme les prestations positives, un avantage», rappelle le Tribunal. «La taxation à un taux considérablement inférieur aurait allégé les charges des entreprises ayant un chiffre d’affaires modeste par rapport aux charges des entreprises dont le chiffre d’affaires est élevé et aurait fourni ainsi un avantage aux petites entreprises par rapport aux entreprises plus grandes.»

De même, la possibilité offerte aux entreprises n’ayant pas généré de bénéfices en 2013 de déduire 50% des pertes reportées de la base d’imposition constituait également un avantage selon la Commission, car elle diminuait la charge fiscale de ces entreprises par rapport à celles qui n’étaient pas susceptibles de bénéficier de cette déduction.

Le Tribunal estime que la Commission a commis des «erreurs» d’appréciation quant à la finalité de la taxe hongroise.

«La Commission a précisément estimé qu’une logique redistributive traduite par une structure d’imposition progressive était incompatible avec un impôt sur le chiffre d’affaires», note le Tribunal, alors qu’il considère au contraire cette taxation progressive comme «cohérente avec l’objectif des autorités hongroises». «Il est raisonnable de présumer que l’entreprise qui réalise un chiffre d’affaires élevé peut, grâce à différentes économies d’échelle, avoir des coûts proportionnellement moindres que celle qui réalise un chiffre d’affaires plus modeste – parce que les coûts unitaires fixes (bâtiments, impôts fonciers, matériel, frais de personnel par exemple) et les coûts unitaires variables (approvisionnements en matières premières par exemple) diminuent avec le volume d’activité – et qu’elle peut jouir ainsi d’un revenu disponible proportionnellement plus important qui la rend apte à payer proportionnellement plus au titre d’un impôt sur le chiffre d’affaires», argumente le Tribunal.

Il existe des impôts dont la nature n’empêche pas qu’ils soient assortis de dispositifs de modulation, pouvant aller jusqu’à des exonérations, sans pour autant que lesdits dispositifs conduisent à l’octroi d’avantages sélectifs.

Tribunal de l’UE

Le Tribunal égraine une série d’arrêts de la Cour de justice de l’UE concernant la définition et les formes que peuvent prendre des avantages sélectifs. «Il existe des impôts dont la nature n’empêche pas qu’ils soient assortis de dispositifs de modulation, pouvant aller jusqu’à des exonérations, sans pour autant que lesdits dispositifs conduisent à l’octroi d’avantages sélectifs», affirme le Tribunal.

Le Tribunal précise encore la façon d’analyser les structures d’imposition progressives. Si la Commission indique elle-même dans sa communication relative à l’aide d’État que «le caractère progressif d’un impôt sur le revenu peut être justifié par la logique redistributive accompagnant un tel impôt», elle a adopté une interprétation limitative selon le Tribunal. «Rien ne permet de limiter, comme le fait la Commission (…), ce type d’appréciation à des impôts sur le revenu ou visant la compensation et la dissuasion de certains effets négatifs susceptibles d’être engendrés par l’activité concernée et de l’exclure pour des impôts visant l’activité des entreprises, et non leur revenu net ou leur bénéfice.»

Le Tribunal conclut donc que «s’agissant d’un impôt sur le chiffre d’affaires, un critère de modulation prenant la forme d’une taxation progressive à partir d’un certain seuil, même élevé, qui peut correspondre au souhait de ne taxer l’activité d’une entreprise que lorsque cette activité atteint une importance certaine n’implique pas, à lui seul, l’existence d’un avantage sélectif». Les juges du Kirchberg estiment également que la Commission n’a pas démontré l’existence d’un avantage sélectif à travers des exemples factuels.

Le critère de distinction retenu par les autorités hongroises est objectif.

Tribunal de l’UE

Quant à la déductibilité de 50% des pertes de l’année précédente, le Tribunal retient que «le critère de distinction retenu par les autorités hongroises de ne pas avoir généré de bénéfice en 2013 est objectif». «Au regard de l’objectif du législateur hongrois d’instaurer une taxation sectorielle respectant une logique redistributive, ce critère, qui a pour objet d’assurer pour la première année d’introduction de la taxe sur la publicité une pression fiscale modérée pour les assujettis en situation défavorable, établit une différence de traitement entre des entreprises qui ne sont pas dans une situation similaire: d’une part, celles ayant fait des bénéfices en 2013 et, d’autre part, celles n’en ayant pas fait la même année», note le Tribunal, ce qui exclut de fait l’idée d’une discrimination entre entreprises similaires.

Le Tribunal annule donc la décision de la Commission dans son intégralité. Tout comme il avait retoqué en mai dernier sa décision considérant comme une aide d’État un impôt polonais dans le secteur de la vente au détail de marchandises également sur base d’une imposition progressive ().