Après les États-Unis, l’Europe? Apparu outre-Atlantique, le phénomène du «revenge quitting» est pris suffisamment au sérieux pour s’imposer dans les débats du moment sur les dynamiques professionnelles, à la croisée des frustrations individuelles dans les équipes et des attentes grandissantes vis-à-vis des entreprises.
Les jambes à son cou
Contrairement au «quiet quitting» (ces salariés qui se contentent d’effectuer le strict minimum lorsqu’ils sont au travail), ici on ne traîne pas les pieds, on prend ses jambes à son cou. Le concept désigne la décision d’un employé d’abandonner son poste, non pas seulement pour explorer de nouvelles opportunités, mais pour adresser un message à son employeur, avec fin de non-recevoir. Pratiquement du jour au lendemain. Et en cherchant à faire le maximum de bruit autour de son cas.
Ce type de démission est motivé, selon les premières enquêtes sur le sujet aux États-Unis, par un profond sentiment d’injustice, un manque de reconnaissance (avéré ou ressenti) ou encore un environnement de travail jugé toxique. Il s’accompagne généralement d’une intervention publique, comme des critiques relayées sur les réseaux sociaux.
Autres «vengeances» possibles: avant de refermer une dernière fois le capot de son notebook, le salarié démissionnaire efface purement et simplement les données de l’entreprise auxquelles il a accès. Ou modifie, sans en avertir personne, les mots de passe des logiciels et autres réseaux sociaux.
Droit de critique
Sur la question du dénigrement de son employeur, «les salariés peuvent en principe exprimer ouvertement leur avis en tous lieux et par tous moyens qu’ils jugent adéquats», explique l’avocat spécialiste du droit du travail, Me . «Ils possèdent un droit de critique à l’égard de leur employeur, limité uniquement par des justifications liées à leur fonction et à des abus potentiels, tels que des propos diffamatoires ou menaçants.»
«Malgré la reconnaissance de ce droit, des difficultés pratiques apparaissent de plus en plus avec l’essor des nouvelles technologies et des réseaux sociaux tels que Facebook ou WhatsApp, qui facilitent la diffusion d’opinions», poursuit Me Guy Castegnaro, détaillant: «Le droit de critique ne peut cependant pas permettre à un salarié de tenir des propos irrespectueux et injurieux tant envers l’employeur qu’envers d’autres salariés, comme l’ont précisé les tribunaux luxembourgeois. À l’opposé, un salarié est en principe en droit de critiquer la politique de management, voire l’organisation interne de son employeur, aussi bien en interne qu’en externe, sans devoir craindre des représailles de la part de ce dernier, à condition que ses propos ne soient pas dénigrants et préjudiciables à l’employeur.»
Loyauté
Quant aux données effacées et autres mots de passe détournés, «chaque salarié a une obligation de loyauté vis-à-vis de son employeur qui se poursuit au-delà de la fin du contrat de travail», insiste l’avocat. En conséquence, de tels agissements «peuvent constituer une faute grave qui permettra à l’employeur de résilier le contrat de travail avec effet immédiat lorsque le salarié se trouve encore en préavis de licenciement ou de démission».
Si le salarié est déjà parti, comme dans le cas du «revenge quitting», «l’employeur pourra l’assigner en justice pour les dommages éventuellement causés par les manipulations abusives du salarié en question. Il est cependant rare que de nos jours un employeur ne soit pas en mesure de récupérer les données effacées ou d’accéder aux fichiers professionnels du salarié, donc le dommage est en principe limité.»
Au Luxembourg, près d’un employé sur trois (30%) insatisfait de sa situation dans l’entreprise qui le paie n’écarterait pas l’idée d’une démission, prévenait le Statec dans une note d’analyse au printemps dernier. Selon cette même note, ce sont même 12% de l’ensemble des salariés du pays qui seraient prêts à franchir le pas. Et combien, en plus, prêts à se «venger»?