Jana Bahrich de Francis of Delirium, le premier groupe/artiste originaire du Luxembourg à être nommé aux Music Moves Europe Awards, un prix décerné en collaboration avec la Commission européenne.  (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Jana Bahrich de Francis of Delirium, le premier groupe/artiste originaire du Luxembourg à être nommé aux Music Moves Europe Awards, un prix décerné en collaboration avec la Commission européenne.  (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Nomination à un prestigieux prix européen, passage sur les ondes de la BBC, tournées en Grande-Bretagne et aux États-Unis, etc. Le groupe Francis of Delirium possède un potentiel rarement — voire jamais — vu sur la scène musicale luxembourgeoise. 2022 pourrait le confirmer aux yeux du monde. 

Outre une bonne dose de talent et une réussite indéniable dans le monde de la musique, qu’ont en commun Adele, Stromae, Mumford & Sons, Dua Lipa et Rosalía? Avant d’exploser à la face du monde, ils ont tous été lauréats des Music Moves Europe Awards. Un prix créé voici quelques années, en collaboration avec la Commission européenne, afin d’aider certains talents émergents européens à percer sur le plan international. Une récompense décernée chaque année en janvier en marge du festival Eurosonic Noorderslag, à Groningen aux Pays-Bas.

Et cette année, pour la toute première fois, le Luxembourg a la chance de compter un artiste parmi les 15 nommés: Francis of Delirium. Un petit événement en soi pour l’industrie musicale luxembourgeoise.

Une rencontre… au club de musique après l’école

Francis of Delirium est un projet qui, à la base, est un duo mixte plutôt singulier. D’un côté, Jana Bahrich, 20 ans, guitariste et chanteuse. De l’autre, Chris Hewett, originaire de Seattle, près de 30 ans de plus au compteur, batteur du groupe à l’origine, mais que sa petite protégée définit aujourd’hui principalement comme son «coproducteur». Ils se sont rencontrés au… rock club que Chris animait notamment pour ses enfants après les cours. Cela ne s’invente pas. C’est donc là que tout a commencé.

Désormais, ils attendent donc la cérémonie du 20 janvier prochain pour savoir s’ils feront partie des six lauréats de l’édition 2022 de ces Music Moves Europe Awards. Et repartiront des Pays-Bas avec, outre le fait d’avoir inscrit leur nom dans le petit carnet de bon nombre de décideurs musicaux importants, un chèque de 10.000 euros.

Sur BBC Radio 1

«J’avoue que cet argent ne ferait pas de mal. Cela nous permettrait de… changer de voiture», sourit Jana, la jeune chanteuse/leader. «Là, nous tournons dans une Volkswagen Passat. À chaque fois, nous sommes obligés de démonter la batterie pour la faire rentrer… Je rêve d’avoir un van.»

Cela n’a pas empêché Francis of Delirium — qui se présente à trois sur scène avec le batteur Dany Schumacher et le bassiste Jeff Hennico — de tourner en Grande-Bretagne cet automne.

Une dizaine de dates. Rien de trop extravagant, mais suffisant tout de même pour se rendre compte que, de l’autre côté de la Manche, certains connaissaient déjà leurs chansons et étaient même déjà capables de les entonner en même temps que Jana sur scène. Suffisant aussi pour que les morceaux ‘All Love’ et ‘Come Out and Play’ soient programmés sur BBC Radio 1, l’une des radios musicales les plus renommées au monde. Et d’y être interviewée dans l’émission du soir, celle réservée aux nouveaux sons indie.

En tournée aux États-Unis et sur les radars de Pitchfork, Stereogum…

La prochaine étape? Après le passage par Groningen en janvier, une deuxième tournée d’une dizaine de dates en Angleterre est programmée en février. Avant un départ pour les États-Unis où Jana et ses acolytes assureront, en mars et avril, la première partie d’un groupe de rock à la réputation déjà bien établie, The Districts. Et ce, à travers tout le pays pour une petite trentaine de concerts. Avec en bouquet final, une participation à un festival à Atlanta aux côtés de Green Day, Nine Inch Nails, Chvrches, Biffy Clyro…

Une tournée américaine qui pourrait bien attirer l’œil des nombreux blogs musicaux US. Pitchfork, NPR, Stereogum, The Fader, Line of Best Fit, Paste Magazine, Consequence of Sound, etc. Ils sont nombreux, en effet, les médias de référence à avoir déjà parlé de Jana et sa bande, ces derniers mois, mettant ainsi en avant les mini-albums «All Change» et «Wading», ou le morceau ‘All love’.

Stereogum a ainsi même placé, voici quelques jours,  et Francis of Delirium dans , aux côtés d’une ribambelle d’autres talents émergents tels les rockeurs new-yorkais de Geese ou la déjà star Olivia Rodrigo. Une situation assez inédite pour un artiste luxembourgeois – comme beaucoup de choses touchant à ce groupe, vous l’aurez déjà compris.

Citoyenne du monde

Ce début de (bonne) réputation en terre américaine, c’est avant tout à sa musique que Francis of Delirium le doit. Une musique, résolument rock, qui a déjà pas mal évolué depuis les débuts du groupe en 2019. Un peu à l’image d’une Jana Bahrich née en… Belgique, de parents — professeurs — canadiens, ayant ensuite séjourné au Canada et en Suisse, mais qui ne se sent vraiment chez elle que lorsqu’elle se trouve au Luxembourg. Un pays où elle habite depuis 2014.

La rockeuse, née en Belgique de parents canadiens, qui se sent avant tout Luxembourgeoise.  (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

La rockeuse, née en Belgique de parents canadiens, qui se sent avant tout Luxembourgeoise.  (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Quand on lui demande de définir sa musique, elle aime parler de «pop music. Mais une pop music habillée de grunge ou de sonorités rock indépendant.» Cela se tient. Et sonne en tout cas parfaitement dans l’air du temps. En l’écoutant, on pense ainsi en premier lieu à l’incroyable Australienne Courtney Barnett. Et dans l’esprit, cela colle avec les Snail Mail, Soccer Mommy, Phoebe Bridgers, Japanese Breakfast, Julien Baker, etc., dont raffole la presse anglo-saxonne.

Chez CAA, comme Brad Pitt, Beyoncé…

Depuis le premier concert au Screaming Fields Festival en juillet 2019, il n’y a pas que le son de Francis of Delirium qui a changé. L’entourage du groupe aussi. Désormais, Jana Bahrich peut notamment compter sur deux managers— dont un bosse toujours au sein du célèbre label 4AD (Pixies, Bon Iver, The National…)—, mais aussi un «PR» («press relation») situé aux États-Unis. Recruté directement par la chanteuse— il s’occupait d’une artiste qui lui plaisait, alors elle l’a contacté directement, au culot—, c’est ce dernier qui a mis les médias branchés américains sur la piste du combo luxembourgeois.

Et puis, à côté, le groupe possède désormais un booker (ou «tourneur» en français, c’est lui qui organise les tournées) pour le territoire américain. Et pas n’importe qui, puisqu’il s’occupe également de très grosses pointures (Tame Impala, The National, etc.) et fait partie de la CAA (Creative Artists Agency), l’agence de représentation considérée comme n°1 dans le monde (Brad Pitt, Beyoncé, Leonardo DiCaprio… sont, par exemple, chez eux).

, expliquait voici quelques jours à Paperjam de l’Atelier. Difficile de lui donner tort au vu de tout ce qui précède. Rarement (voire jamais), on a vu une artiste musicale luxembourgeoise dans une situation aussi favorable pour tenter une percée à l’international.

Reste à espérer que 2022 — une année qui devrait être marquée par le premier album du groupe — parviendra à concrétiser ces espoirs.