La BEI présente les oeuvres réalisées par les artistes qui ont suivi leur programme de développement artistique ces trois dernières années. (Photo: David Laurent / Wili)

La BEI présente les oeuvres réalisées par les artistes qui ont suivi leur programme de développement artistique ces trois dernières années. (Photo: David Laurent / Wili)

La Banque Européenne d’Investissement (BEI) présente les œuvres que la banque a acquises ces trois dernières années suite au programme de développement artistique qu’elle organise chaque année.

La BEI a présenté dans ses locaux le travail des artistes qu’elle a accueillis dans le cadre de son programme de développement artistique (Artists Development Programme-ADP). Suite aux conditions particulières subies ces dernières années liées à la pandémie, cet accrochage est l’occasion d’une minirétrospective des œuvres acquises par la BEI auprès des lauréats ayant participé au programme ces trois dernières années.

Un programme unique

Le programme de développement artistique réalisé par la BEI est un programme de résidence et de mentorat tout à fait unique en son genre. Il agit comme un accélérateur de talents et offre à des artistes européens de moins de 35 ans une occasion unique de réaliser une résidence artistique dans d’excellentes conditions (mise à disposition d’un atelier-logement, frais de voyage pris en charge, allocation de 80€ par jour et 1.500€ complémentaires sur présentation de résultats) et de profiter en plus d’un mentorat par un artiste de renommée internationale. En 2022, c’est l’artiste française Tatiana Trouvé qui a accepté cette mission. Les années précédentes, les artistes ont pu être accompagnés par Darren Almond, Callum Innes ou encore Jorma Puranen, entre autres.

«L’ADP est une occasion privilégiée pour ces jeunes artistes de pouvoir se consacrer entièrement au développement de leur art. 

Delphine Munroresponsable des arts et de la cultureBEI

«L’ADP est une occasion privilégiée pour ces jeunes artistes de pouvoir se consacrer entièrement au développement de leur art pendant un temps au cours duquel nous les accompagnons», explique Delphine Munro, responsable des arts et de la culture à la BEI et coordinatrice de ce programme. «En plus d’une aide financière, la BEI leur met à disposition un espace d’atelier-résidence pendant trois mois. Habituellement, nous le faisons à Neimënster, mais ces dernières années, pour des raisons de disponibilité d’espace, la résidence s’est déroulée à la Cité des Arts à Paris. Ce programme rencontre un grand succès. En 2023, nous avons reçu pas moins de 535 dossiers de candidatures, ce qui est exceptionnel! Les années précédentes, nous étions plutôt autour de 200 à 300 dossiers.»

Des œuvres produites, et acquises

En plus de l’opportunité de recherches et de production, l’autre point fort de ce programme est que la BEI s’engage à acheter des œuvres qui ont été réalisées dans le cadre de cette résidence. C’est donc aussi une occasion unique pour les artistes d’entrer dans une collection publique de grande qualité, et de bénéficier en plus d’une autre source de revenus. «Ces œuvres composent le panorama de la prochaine génération de création artistique européenne. C’est à la fois un travail de défrichage pour la scène artistique européenne et un immense tremplin pour ces jeunes professionnels» assure Delphine Munro.

Les dernières acquisitions (celles de 2020, 2021 et 2022) sont actuellement accrochées au sein de la BEI et sont le travail de Panayiotis Doukanaris, Meta Drčar, Niamh Schmidtke, Alexandra Hunts, Agnieszka Mastalerz, Jošt Franko, Andrej Polukord, Liviu Bulea, Elsa Mencagli, Laure Winants, Pauline-Rose Dumas et Nikolay Karabinovych.

«Lors de cet accrochage, la BEI met en œuvre un travail de réseautage et organise des visites guidées. C’est ainsi l’occasion pour les artistes de rencontrer des professionnels de l’art contemporain et pour les institutions locales de découvrir de nouveaux talents. Par ce biais, les œuvres de certains artistes soutenus par la BEI ont rejoint les collections de la Villa Vauban ou du Musée national d’histoire et d’art», précise Delphine Munro.

Quelques coups de cœur

Parmi nos œuvres coup de cœur, celles de Panayiotis Doukanaris. Ce chypriote interroge de manière très personnelle une notion universelle, celle du temps et d’un état post-traumatique. À travers la fragilité du textile qu’il déconstruit fil à fil, il révèle une grande vulnérabilité liée à certains de ses phobies et traumatismes. Il se réapproprie également d’une manière singulière la toile du peintre et suggère sa vision de la peinture. «Ces peintures ne représentent pas le drame directement, mais le temps que j’ai passé à leur donner corps, à défaire puis à recomposer la trame, un cheminement qui permet de transmettre, de révéler et qui interroge directement ce qu’est un tableau», a expliqué Panayiotis Doukanaris.

L’approche artistique d’Elsa Mencagli est toute autre, bien qu’elle concerne également un évènement dramatique: l’accident cérébral qui a touché sa mère et lui a fait perdre l’usage de la parole articulée et compréhensible. «Cet accident violent qui m’a touché personnellement m’a poussé à réfléchir sur la communication verbale et non verbale», explique l’artiste. Pour appréhender cette thématique complexe, elle a réalisé de nombreuses recherches et s’est rapprochée du corps médical qui entourait sa mère. Dans l’une des œuvres exposées à la BEI, elle présente la parole selon une approche musicale, la mettant en espace telle une partition où le difficile dialogue est rendu visible. «Chaque élément verbal est signifié par un élément en céramique fait à la main, dont la forme est unique comme l’est l’intonation de la voix qui est façonnée par le corps.» Cette recherche l’a plongé dans la complexité du langage, les méandres de notre cerveau et l’importance de la mélodie dans le langage parlé. L’air entre ces billes de céramique devient des respirations, les nœuds des fils qui structurent l’ensemble une représentation de l’interaction entre les deux protagonistes. Une œuvre très intime, puissante, et pourtant si fragile et légère.

Pauline-Rose Dumas développe, elle, un univers complètement différent. Designer textile de formation, elle a récemment appris le travail de la forge. L’artisanat est au cœur de sa démarche et elle mêle de manière très habile ces deux disciplines que sont l’art textile et l’art du fer dans des installations singulières, à la fois fortes et fragiles. À la BEI, on découvre entre autres un tableau-sculpture, Between lines, composé d’éléments issus du monde de la couture, tels que les aiguilles ou les mètres rubans, mais figés dans le fer. Elle a disposé ces différents éléments sur une grille, comme une carte mentale, sous laquelle est tendu un patron en papier, «pour mettre à plat mon système de pensée et montrer deux moments de la création», précise Pauline-Rose Dumas.

Enfin, la BEI a choisi d’inviter plus spécifiquement cette année un artiste ukrainien. C’est Nikolay Karabinovych qui a été sélectionné. À la suite de sa résidence, il présente un ensemble de petits collages proche de l’esprit de Marcel Broodthaers, où le langage est détourné par de petits gestes simples, dans un esprit provocant.

Nikolay Karabinovych devant ses nouveaux collages. (Photo: David Laurent/Wili)

Nikolay Karabinovych devant ses nouveaux collages. (Photo: David Laurent/Wili)

Mais il faut surtout retenir la très belle vidéo qu’il a réalisée avec sa mère. Organiste professionnelle, elle a fui en Israël. C’est là, dans un paysage désertique, que son fils l’a filmé, en train de jouer sur un orgue imaginaire son morceau préféré, un concerto de Francis Poulenc. Mais pour le spectateur, seuls le bruit du vent et des bruits d’arrière-fond sont audibles. Par ce simple déplacement, l’artiste souligne avec force la passion de sa mère pour son art, son musèlement dû à la guerre, et la grande tendresse et amour filial qu’il lui porte.

Exposition à découvrir uniquement dans le cadre de visites guidées de groupes organisées jusqu’au milieu de cet été.