Vincent Hein souligne la poursuite de la vigueur du marché de l’emploi. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Vincent Hein souligne la poursuite de la vigueur du marché de l’emploi. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

La Fondation Idea vient de publier, ce jeudi 16 juin, son dernier tableau de bord en date. Un état des lieux économique et social tout en nuances. Entre des risques émanant de la guerre en Ukraine et des éléments positifs qui reflètent la bonne tenue du pays. Tour d’horizon avec Vincent Hein, co-auteur du document et senior economist chez Idea.

Que faut-il comprendre en lisant le «doute» dans le titre «L’ombre d’un doute»?

Vincent Hein. – «Même si des risques sont tangibles et importants, ils n’entraîneront pas forcément un scénario des plus noirs, d’où l’idée de doute. Car si l’on considère la photographie de la première partie de l’année, l’économie luxembourgeoise est restée sur une bonne dynamique.

Comment interprétez-vous les risques qui planent justement sur l’économie du pays?

«Il faut tout d’abord se poser la question de l’impact du contexte géopolitique et donc de la guerre en Ukraine. L’inflation est l’impact le plus visible actuellement et pour lequel des mesures exceptionnelles ont été prises par le gouvernement, en accord avec les partenaires sociaux, pour créer un choc de confiance. Ceci dit, le contexte géopolitique n’impacte pas, à ce stade, des secteurs qui étaient dans une bonne phase de reprise post-Covid durant le premier trimestre. Je pense, par exemple, à la construction, à la restauration, aux services à la personne. En revanche, la guerre en Ukraine entraîne bel et bien des effets sur l’inflation et une incertitude en lien avec les sanctions qui sont prises, en particulier quant à l’approvisionnement en gaz.

L’intervention du gouvernement est importante dans un tel contexte, comme ce fut le cas durant la phase aiguë de la pandémie. Ce choc de confiance, qui est voulu, est de nature à rassurer les agents économiques, même si notre tableau de bord nous montre également que la confiance des consommateurs est en repli. J’ajoute que les indicateurs sont moins bons au niveau des marchés financiers, ce qui n’est pas anodin pour un pays comme le Luxembourg qui compte une place financière majeure.

Depuis début 2022, l’emploi non marchand a ralenti et le secteur privé a pris le relais dans la création d’emplois.
Vincent Hein

Vincent HeinSenior EconomistFondation Idea

Le marché de l’emploi maintient sa dynamique. Faut-il craindre un changement de tempo pour la deuxième partie de l’année?

«Nous sommes en effet toujours dans une dynamique que l’on pourrait presque qualifier de surchauffe. La barre significative des 500.000 emplois a été dépassée, avec une création de plus de 17.000 emplois en comparaison annuelle. Le ralentissement est possible au deuxième semestre, mais pour l’instant, nous ne percevons pas de signaux en ce sens.

Durant la crise du Covid-19, le Luxembourg avait été l’un des rares pays à continuer à créer de l’emploi, surtout sous l’effet du secteur non marchand. Or, depuis début 2022, l’emploi non marchand a ralenti et le secteur privé a pris le relais. Si le marché du travail était gelé jusqu’à la fin de l’année, nous aurions tout de même obtenu une croissance de 2,7%, ce qui est révélateur de la tenue de l’économie luxembourgeoise.

Le tableau de bord indique une baisse des crédits immobiliers consentis aux ménages depuis douze mois…

«Les volumes ont en effet baissé de 20% depuis douze mois. Dans le même temps, les taux d’intérêt sur les crédits immobiliers ont commencé à augmenter et les prix ont poursuivi leur hausse, même si l’on observe un début de ralentissement. L’un des scenarii en vue est une hausse du prix du crédit et un ralentissement des prix de vente. Ce qui ne règleraient pas la problématique du coût du logement puisque les mensualités des prêts augmenteraient.

Nous observons par ailleurs un tassement des crédits aux entreprises, ce qui traduit probablement la forte incertitude ambiante, avec le risque de voir des projets d’investissements reportés.


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Le Statec a présenté récemment trois scenarii d’évolution du PIB pour les prochains mois, dont deux plus pessimistes sous l’effet d’une prolongation de la guerre et de l’inflation prolongée. Sur quel scenario tablez-vous?

«Nous voyons d’ores et déjà des éléments des trois scenarii s’entremêler, avec des indicateurs dynamiques présents dans le scenario central du Statec, des éléments de guerre prolongée et des éléments d’inflation persistante. Les données nous montrent une propagation de l’inflation, qui était au départ mue par l’énergie vers les biens industriels (hors énergie), l’alimentation et les services.


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Mais, en même temps, nous dressons le constat d’un premier trimestre en croissance, avec des effets positifs qui se font ressentir sur les finances publiques. Le premier semestre de l’année arrive à son terme et force est de constater que nous avons une base positive pour 2022.

Au vu de ces différents éléments, il reste difficile de faire un pari. Le retour à la normale continue pourtant de s’éloigner, y compris en matière d’intervention publique, qui restera forte pour contrer l’inflation et encourager l’investissement des entreprises.»