La cantine à l’ancienne a vécu. De plus en plus d’entreprises intègrent la restauration dans leur politique RH afin de renforcer leur attractivité. (Photo: Shutterstock)

La cantine à l’ancienne a vécu. De plus en plus d’entreprises intègrent la restauration dans leur politique RH afin de renforcer leur attractivité. (Photo: Shutterstock)

Devenue partie prenante de la stratégie «well-being» des employeurs, la restauration d’entreprise n’en finit plus de se réinventer, encouragée par les leçons de la crise sanitaire et les attentes nouvelles en matière alimentaire. Illustration par le menu, en trois services.

Entrée: du côté du prestataire…

Une soixantaine de clients, environ 80 points de vente. Via la société , l’un des trois piliers de ses activités avec le nettoyage et une offre soins et santé, fait partie de la poignée d’acteurs locaux de la restauration d’entreprise. Un domaine qui, longtemps, a promené derrière lui «une image pas sexy», comme le résume le head of operations Food services du groupe, Thomas Didier. «Mais aujourd’hui, avec l’ensemble de ce qui a été fait sur la diversification, sur le sourcing, sur le fait de travailler du frais, il y a un vrai gage de qualité.»

Pour le dire différemment: la cantine à papa, c’est terminé. Et si les lignes avaient commencé à bouger avant la pandémie, la crise sanitaire et ses retombées ont contribué à accélérer le mouvement. Prenons l’exemple du télétravail. «Un jour par salarié, c’est moins 20% de business», calcule Thomas Didier. «Pour combler ces 20% perdus, il a fallu trouver une agilité opérationnelle et RH de nos ressources, ainsi que des relais de croissance.»

Ces derniers se sont traduits par «de nouveaux services, prenant en compte les nouvelles attentes et les nouveaux comportements des consommateurs». Avec une tendance prononcée: la soif de proximité. «Avant le Covid, on parlait beaucoup de bio. La gen Z, notamment, y était particulièrement attachée. En sortie de Covid, la part belle a été faite au local. La quête de sens était prédominante à la fois pour nos salariés et pour nos clients.»

Naturellement, le bio n’a pas été écarté. «Mais on en fait un peu moins, ou en tout cas de manière plus raisonnée.» Illustration: «On avait du bio, mais qui venait du bout du monde. Même chose avec un poisson certifié MSC pêché en Atlantique, mais qui partait en Chine pour la transformation avant de revenir. Ça, on a arrêté.»

Compass Group (116 millions d’euros de chiffre d’affaires, 2.000 collaborateurs, dont 800 affectés à Eurest) l’assure: «On était prêts, parce que cela faisait partie de notre feuille de route et de notre stratégie. On est un groupe mondial avec l’ensemble du conseil d’administration et un siège au Luxembourg, ce qui nous permet d’aller chercher nos achats à Luxembourg, de prendre nos décisions à Luxembourg, et d’avoir vraiment la granularité du tissu économique local. Donc, finalement, sur cette question du bio et du local, c’était juste replacer correctement certains curseurs», situe le head of operations Food services.

Dans sa démarche de transformation, le groupe (600.000 employés dans 45 pays) s’est autorisé à revenir sur ses pas quand la direction prise conduisait à «quelques impasses». Sur le recours au tout-technologique par exemple. «On a peut-être un peu trop poussé en ce sens. La technologie doit être au service de l’utilisateur pour lui faire gagner du temps ou pour lui faciliter la vie, néanmoins le consommateur veut absolument une interaction humaine dans nos restaurants.»

Des innovations ont quand même trouvé leur place, comme les frigos connectés ou ces épiceries miniatures que sont les micro-markets permettant d’effectuer de menus achats avant de quitter le bureau. «Cela nous a permis peut-être de toucher des clients plus petits, sur lesquels on n’avait pas un seuil de rentabilité suffisant pour installer un restaurant», explique Thomas Didier.

Des clients, à l’en croire, dont le niveau d’exigence a copieusement augmenté: «Aujourd’hui, dans les cahiers des charges, on évoque 20 millions d’autres choses avant de parler de gamme alimentaire. Le curseur, il est avant. Sur le local, donc, sur le responsable, sur le ‘sustainable’. Ça, ça ‘pousse’ depuis une grosse année. C’est le critère le plus important parfois.» Une approche environnementale que les employeurs épinglent volontiers à leur CV: «La restauration fait partie des facteurs qu’ils vont mettre dans leur politique RH pour attirer la gen Z et apporter de la qualité de vie au travail. Auparavant, il y avait quelques précurseurs comme Ferrero ou PwC, mais c’était sporadique, seules quelques sociétés étaient visionnaires. Là, on sent que le pas est franchi partout.»

Bientôt quatre ans après le coup d’envoi de la crise sanitaire, Compass Group affirme en tout cas être retombé sur ses deux pieds: «À ma nomination à la tête des opérations ‘sortie de Covid’, il y avait encore des impacts. On faisait 35 millions de chiffre d’affaires lorsque j’ai pris mes fonctions. Cette année, le budget est de 65,5 millions.»

Plat: du côté de l’employeur…

Encore un mot sur le Covid. Cette fois pour se replacer de la rue des Girondins, à Luxembourg, vers un bâtiment construit sur le site de la Poudrerie, à Kockelscheuer. Le transfert s’était opéré début mai 2020, dans la foulée du confinement. Drôle de manière d’inaugurer Saveurs, le restaurant d’entreprise étoffant les 8.000 mètres carrés du nouvel équipement. «À l’ouverture, le fonctionnement n’était possible qu’en take-out. Et cela a bien marché, car les gens en avaient marre d’être seuls à la maison ou de ne pas pouvoir aller au resto. Certains venaient spécialement pour manger. Finalement, cela a été une bonne publicité pour Saveurs dès le départ», relate l’administrateur délégué et partenaire de Schroeder & Associés, .

Comme un clin d’œil, les deux premières lettres de Saveurs reprennent les initiales du bureau. Un choix en concertation avec les 450 salariés. De même, la délégation du personnel a été associée au processus de décision s’agissant du prestataire. In fine, Schroeder & Associés s’est rapproché d’äResto (plus de 250 collaborateurs), une société tombée il y a deux ans dans l’escarcelle du groupe hôtelier , fondé par Christophe Diederich en 2014. «Un peu plus cher que d’autres prestataires, mais on a regardé la qualité plutôt que les prix», assure Thierry Flies.

Aux balbutiements du projet, l’idée portée par Schroeder & Associés auprès du cabinet , à l’origine du bâtiment, était celle «d’une cantine pouvant accueillir des all staff meetings», se remémore le dirigeant. «Mais on s’est posé la question: ‘À quoi bon, alors qu’on en organise un ou deux par an?’ C’était du gâchis. On a revu les choses avec l’ambition d’en faire certes un lieu de restauration, mais aussi de rencontres. Après la première esquisse, appel a été fait à une consultante externe. Heureusement, car on a pu profiter d’autres réflexions.» C’est le cabinet Sandra Leidner Conceptstudio, , qui a pris la main.

Le restaurant Saveurs profite aux 450 collaborateurs du bureau d’ingénieurs Schroeder & Associés, depuis le transfert du siège social à Kockelscheuer. (Photo: Schroeder & Associés)

Le restaurant Saveurs profite aux 450 collaborateurs du bureau d’ingénieurs Schroeder & Associés, depuis le transfert du siège social à Kockelscheuer. (Photo: Schroeder & Associés)

Le restaurant d’entreprise faisait partie «des prérequis» dans le processus d’implantation à Kockelscheuer, «parce qu’on se trouve à l’écart». Trois menus (dont un végétarien) sont proposés chaque jour, ainsi qu’un bar à salades et des plats froids. La plage horaire est confortable, avec un service assuré de 11h30 à 14h. En dehors de ce temps du midi, l’endroit est accessible le matin dès 7h, pour fermer ses portes à 17h. L’alcool est proscrit jusqu’à 16h. Au-delà, une bière au comptoir est possible.

À l’arrivée, l’enseigne Saveurs n’est pas sans conséquences sur le rythme des salariés, à qui il est demandé d’accomplir leurs heures sur une plage comprise entre 5h et 22h, avec présence obligatoire entre 10h et 15h. D’une durée de 1 heure avant le déménagement, le temps de la pause déjeuner a été ramené à 30 minutes à Kockelscheuer. «Parce que plus personne ne perd de temps pour aller chercher son repas. Cela plaît aux employés, ils ont ainsi la possibilité de rentrer chez eux une demi-heure plus tôt en fin de journée.»

Autre aménagement: la disparition des chèques-repas. La somme qui leur était allouée jusque-là est en revanche affectée sur le badge cantine: «C’est une incitation, mais aussi une manière de promouvoir l’échange entre collaborateurs», justifie Thierry Flies, qui note que «cet outil de restauration est un outil pour briser les silos et faire communiquer entre elles les différentes unités. Si on se connaît bien dans le privé, on fonctionne bien dans le professionnel.»

Dessert: du côté du start-upper…

Pour apprendre à se connaître, il y a bien sûr la machine à café. De plus en plus, il y a aussi le frigo connecté. L’appareil n’est pas bien compliqué à comprendre: il fonctionne comme un distributeur en libre-service, si ce n’est que des puces RFID permettent au prestataire assurant son approvisionnement de gérer les stocks en temps réel.

Reste à décider ce qu’on lui met dans le ventre… Ancien consultant en performance opérationnelle chez , Anthony Piccininno a choisi d’y placer du vert, via la start-up Bright Canteen, dont il est le general manager et le cofondateur. «Lorsque j’ai démissionné, c’était pour exercer un métier davantage en adéquation avec mes valeurs, notamment la défense de l’environnement et la promotion de l’agriculture biologique», récapitule-t-il.

Il a franchi le pas en rejoignant le réseau de magasins Biocoop, spécialisé dans la vente de produits biologiques, locaux et de saison, issus du commerce équitable (c’est l’engagement de départ). Après deux années de portage de projet, il a ouvert en 2020 une adresse à Thionville, côté français, sur la zone commerciale du Linkling. «Une super expérience, une super aventure, avec l’idée, non pas de tourner la page, mais plutôt de diversifier les activités et de continuer à entreprendre. C’est ça la nature des entrepreneurs: ne jamais s’arrêter.»

Avec la start-up Bright Canteen, lancée il y a quelques semaines, Anthony Piccininno se positionne donc sur le marché du frigo connecté «sain». On y trouvera du soda par exemple, pas d’inquiétude, mais pas celui de la marque d’Atlanta. «En l’occurrence une limonade bien moins chargée en sucres, et sans édulcorants ni additifs. Le quidam ayant l’habitude de boire son coca se dira peut-être: ‘Finalement, cette limonade n’est pas plus mal…’»

C’est un peu le rôle qu’il s’imagine: «Dans plein d’endroits différents, un besoin existe en matière de restauration facile, accessible, avec une couche de qualité. Nous, on se veut force de proposition et on se voit comme des messagers du ‘bien-manger’ et d’un mode de vie healthy.»

Bright Canteen assume la promesse de produits provenant «majoritairement de France et du Luxembourg», en sollicitant «les PME les plus proches». «Mais on n’a pas tout autour de nous, donc on se tourne également vers des industriels de l’agroalimentaire bio. Qui restent eux aussi des PME, ce ne sont pas des multinationales.»

Un peu d’éthique dans le frigo, donc, pour ce nouveau venu entré fin 2023 en phase de prospection, «avec une réponse du terrain plutôt bonne et intéressante». «La demande n’est pas majoritaire, mais elle existe. C’est comme moi avec Biocoop: je représente un faible pourcentage de parts de marché comparé à Leclerc ou Carrefour. Mais manger correctement, c’est une tendance générale, cette question se pose de plus en plus. Surtout dans les territoires aisés.»