Pierre Gramegna, ancien ministre des Finances. (Photo: Mike Zenari/Archives)

Pierre Gramegna, ancien ministre des Finances. (Photo: Mike Zenari/Archives)

La place financière est un élément-clé de l’économie du pays. Comment s’organise-t-elle et comment communique-t-elle avec les autorités pour en assurer la pérennité et la promotion à l’étranger? Voici une cartographie présentant les différents grands intervenants.

Au Luxembourg, la base de la représentation des entreprises est répartie entre trois entités créées par la loi: la Chambre de commerce, qui est en charge de la représentation de toutes les entreprises de tous les secteurs économiques – à l’exception de l’artisanat et de l’agriculture, qui ont chacun leur propre chambre –, la Chambre des métiers et la Landwirtschaftskammer (LWK).

Les entreprises sont tenues d’adhérer à l’une de ces chambres, mais peuvent également s’affilier à des associations patronales et à des associations professionnelles.

Les associations patronales représentent les intérêts d’une profession et peuvent ainsi participer, en direct ou via des sous-organisations sectorielles, aux négociations des conventions collectives de branches. Comme l’ABBL peut le faire pour la convention collective des banques et l’Aca pour la convention des assurances. On en compte cinq dans le giron de la Chambre de commerce: la Fedil pour l’industrie, la CLC (Confédération luxembourgeoise du commerce) pour le commerce, l’Horesca pour les métiers de bouche, et l’ABBL et l’Aca pour les métiers de la banque et de l’assurance. Du côté de la Chambre des métiers, on trouve la Fédération des artisans.

Toutes ces associations font partie de l’UEL (Union des entreprises luxembourgeoises), tout comme la Fédération des artisans. L’UEL regroupe les chambres professionnelles et les organisations d’employeurs du Luxembourg, et représente les entreprises privées, à l’exception du secteur primaire, c’est-à-dire les entreprises dont l’activité consiste en l’exploitation de ressources naturelles.

Associations patronales et associations professionnelles

Les associations professionnelles ne sont pas des associations patronales. À ce titre, elles ne sont pas représentées en tant que telles à la Chambre de commerce et au Conseil économique et social. Dans le secteur financier, la plus connue est l’Alfi, l’Association luxembourgeoise des fonds d’investissement. Sa taille et son importance en font l’équivalent de l’ABBL et de l’Aca. Elle a développé, au fil du temps, des événements qui sont devenus incontournables pour l’industrie, comme la conférence d’automne consacrée à la distribution et la conférence de printemps dédiée à la gestion d’actifs.

Il en existe beaucoup d’autres. Comme la Luxembourg Financial Markets Association (LFMA), la plus ancienne, créée en 1957 sous le nom de Forex Club Luxembourg; l’Alrim, qui réunit les professionnels intéressés par la gestion des risques; la Luxembourg ­Private Equity and Venture Capital Association (LPEA), qui couvre le secteur du private equity; la Luxembourg Alternative Administrators Association (L3A), qui s’est donné pour mission, depuis 2004, de promouvoir les intérêts des acteurs des services à l’industrie des fonds alternatifs, ou encore l’International Capital Market Association (ICMA), qui représente les institutions financières actives sur le marché international des capitaux dans le monde entier.

Ou encore la Finance and Technology Luxembourg (l’Association professionnelle des PSF de support), la Luxembourg Association of Insurance and Reinsurance Companies, l’Association des trésoriers d’entreprise à Luxembourg (Atel), la Luxembourg Association of Family Offices (Lafo)…

Beaucoup de ces associations sont hébergées au sein de la Maison de la Finance au Kirchberg, juste en face du bâtiment de la Chambre de commerce. De quoi faciliter les échanges d’idées. D’ailleurs, certaines peuvent être invitées dans des comités ou des groupes de travail des «grandes» associations que sont l’ABBL, l’Alfi ou l’Aca pour traiter de sujets techniques relevant de leurs compétences.

Ces associations sont là pour à la fois promouvoir et protéger les intérêts d’une profession ou d’un secteur d’activité, informer et conseiller leurs membres ou encore favoriser le networking de leurs membres.

Profusion nécessaire

La multiplication des associations professionnelles témoigne de la bonne santé du secteur financier.

Mais suscite également des interrogations auprès de certains décideurs de la Place, qui se posent des questions sur ce phénomène de croissance. Chronophage, cela occupe de plus en plus de salariés avec des résultats pas forcément tangibles, selon certains commentaires. Notamment de la part de CEO de grandes institutions financières qui y détachent de plus en plus de monde. Selon des critiques qui reviennent souvent, il y en aurait trop et on n’y aborderait ni les sujets qui fâchent, ni les thèmes d’avenir, comme le financement de l’innovation. On y discuterait, mais on n’y agirait pas.

Ce modèle est-il optimal? Il y a des doublons, cela semble évident. Et certains acteurs ont plus de poids que d’autres. Ce qui dépend pour beaucoup de l’activité déployée par leur président en exercice.

Mais tout ce vivier contribue à la nécessaire réflexion pour anticiper ce que sera la finance de demain. Des réflexions qui se poursuivent au sein des groupes de travail de l’ABBL, de l’Alfi ou de l’Aca pour aboutir in fine aux autorités politiques et de contrôle. «S’il n’y avait pas ce tissu associatif, il manquerait vraiment quelque chose au niveau des métiers respectifs», entend-on du côté des associations, qui contribuent à éviter un déficit d’informations venant du terrain et un manque de prise de conscience des problèmes.

Bref, les associations professionnelles sont indispensables au bon fonctionnement du tout. Elles faciliteraient ainsi la vie du ministère et des autorités de surveillance qui aiment avoir sur tous les sujets la «voix du secteur». Un consensus que toutes ces strates filtrent et affinent.

Le lien avec le politique

Comment toutes ces associations font-elles remonter leurs préoccupations auprès du pouvoir politique? Principalement via Profil, une association qui a pour vocation, sinon de fédérer toutes les autres, d’en réunir un certain nombre et de porter leurs préoccupations jusqu’au ministère des Finances, histoire d’orienter la promotion de la Place dans la bonne direction. Et c’est pour valider ces stratégies que le ministère (80%), en partenariat avec Profil (20%), a créé le GIR (groupement d’intérêt économique) Luxembourg for Finance qui œuvre à la promotion à l’étranger. ­Nicolas Mackel, son actuel directeur, insiste pourtant sur le fait que son agence n’est pas une agence de promotion, mais une agence en charge du développement commercial de la Place. Mais les frontières entre ces activités sont floues et perméables. D’ailleurs, Luxembourg for Finance était la cheville ouvrière derrière la campagne de communication pour la Place: Eis Finanzplaz. Une campagne par ailleurs à destination des résidents.

La remarquable résilience de l’économie luxembourgeoise face à la pandémie s’explique en grande partie par le dynamisme de notre place financière.
Pierre Gramegna

Pierre GramegnaAncien ministre des Finances

Le ministère est également à l’origine du Haut Comité de la place financière. Un organe public-privé où sont invités des représentants des administrations – notamment l’Administration des contributions directes, mais pas uniquement –, la Banque centrale du Luxembourg et des professionnels de la finance, de l’audit et du droit. Sa vocation est de définir une stratégie pour la Place et, en tant qu’instance de concertation, de réfléchir à la mise en place d’un cadre réglementaire adapté. Au sein même du ministère, la direction du développement et de la promotion de la place financière – présidée par Tom Théobald – fait le lien entre tous ces acteurs et centralise toutes les réflexions.

Est-ce pour autant que les professionnels de la Place ont l’oreille des politiques? Pas sûr. Les professionnels de la finance se sentent mal-aimés et estiment avoir perdu le contact avec les politiques.

Première raison avancée à ce phénomène de désamour: le sujet passionne peu. Prenez le Parlement européen: sur six députés luxembourgeois, seuls trois siègent à la commission des affaires économiques et monétaires. Et tous en tant que membres suppléants… Il est vrai que dans ce Parlement, les positions politiques doivent prendre le pas sur les intérêts nationaux. Mais cela fait grincer quelques dents.

Deuxième raison évoquée: les politiques ne cherchent pas le contact parce que la Place est mal-aimée. Quel intérêt à fréquenter des banquiers et des financiers qui, dans leur grande majorité, n’ont de toute façon pas le droit de vote car non-nationaux ou non-résidents?

Troisième raison: les professionnels eux-mêmes ne savent pas capter l’intérêt des politiques. De façon positive, un bon lobbyiste doit être en contact permanent avec tous les politiques – les députés d’aujourd’hui ont de fortes chances d’être les ministres de demain… – et il doit informer, expliquer les effets d’un texte sur un secteur, qu’il doit connaître sur le bout des doigts, et les conséquences potentielles à plus ou moins long terme. Mais est-ce toujours bien fait?

Le Big 3

L’Alfi a, sur la Place, la réputation d’être l’association la plus professionnelle. Notamment parce qu’elle a, dans ses divers comités et groupes de travail, des personnalités «de terrain» – auditeurs, avocats, promoteurs… –, qui ont un contact direct avec le client. Cette expérience leur permet de faire remonter rapidement les problèmes rencontrés par les clients ou leurs demandes. Qu’ils transmettent alors au ministère ou aux régulateurs. Un lobbying efficace.

Avec assurance

L’Aca est également très efficace en matière de lobbying. Le secteur de l’assurance au Luxembourg est double. D’un côté, on trouve les grandes firmes internationales, et de l’autre, les grandes sociétés luxembourgeoises. Des entreprises familiales où les actionnaires ont un accès privilégié aux décideurs politiques. Ce qui permet de régler pas mal de choses… Pour le reste, l’Aca a très peu de comités. Il n’y a, après tout, que deux matières à traiter: la vie et la non-vie. Des comités très techniques où l’on tombe rapidement d’accord. Les remontées se font donc aussi très vite.

Bon fonds

Si l’ABBL reste très influente et a également encore un peu l’oreille des politiques, sa grande taille la rend moins réactive que ses deux homologues. Elle doit s’occuper de plusieurs métiers – le retail banking, le private banking, le commercial banking, le corporate banking, la banque dépositaire –, dont les préoc­cupations varient. Plus compliqué, elle doit gérer les différentes sensibilités – susceptibilités – nationales de ses membres. La recherche de l’unanimité est d’autant plus compliquée que les sujets à traiter sont sensibles, comme la lutte contre le blanchiment, par exemple. À l’ABBL, c’est donc la culture du compromis qui règne.

Approche sectorielle

Viennent ensuite des associations sectorielles, plus petites. Elles sont en général bien organisées, très professionnelles. Les rapports interpersonnels comptent pour beaucoup dans leur fonctionnement et l’implication de leur président est centrale. S’il est peu impliqué, l’association fonctionnera mal.

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de Paperjam du mois d’octobre 2022  parue le 21 septembre 2022. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam. 

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