La ministre des Finances, Yuriko Backes (DP), aura fort à faire ce vendredi matin pour répondre aux questions des députés de la commission spéciale «tripartite» au sujet des zones d’ombre du mécanisme de report de l’indexation. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne/Archives)

La ministre des Finances, Yuriko Backes (DP), aura fort à faire ce vendredi matin pour répondre aux questions des députés de la commission spéciale «tripartite» au sujet des zones d’ombre du mécanisme de report de l’indexation. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne/Archives)

Les entreprises devront-elles payer l’équivalent de plusieurs indexations de salaires le 1er avril 2024? Quel dispositif de compensation est prévu en cas de report d’une indexation supplémentaire? Les interrogations restent nombreuses concernant le Solidaritéitspak. Face aux députés, la ministre des Finances tentera d’y répondre ce vendredi matin.

La ministre des Finances, (DP), aura fort à faire, vendredi matin, face aux députés de la commission spéciale «tripartite». Tout au long de la semaine, ceux-ci se sont réunis afin d’analyser les mesures envisagées pour faire face à la hausse des prix de l’énergie suite à l’accord trouvé lors de la dernière tripartite. Ils ont, dans ce cadre, reçu à tour de rôle les différentes chambres professionnelles. Et le moins que l’on puisse dire est que des interrogations essentielles subsistent concernant le dispositif de report de l’indexation des salaires et de compensation de celui-ci.

Le Solidaritéitspak se décompose en quatre projets de loi. Les textes  et prévoient deux régimes d’aides aux entreprises (l’un dans le contexte du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, l’autre envisageant un système de prêts garantis par l’État, le tout pour un milliard d’euros de budget). Le projet  se concentre sur les aides au logement.

Mais c’est le projet  qui est à la source de la partie la plus polémique, à savoir le report de l’indexation des salaires en cas de franchissement de plus d’une tranche indiciaire en l’espace de 12 mois et son système de compensation, via notamment le crédit impôt énergie (CIE).

Inflation galopante

De fait, au-delà des , des zones de flou subsistent sur des points essentiels de ce dispositif. Le projet de loi prévoit – puisqu’une indexation a déjà eu lieu le 1er avril 2022 – de reporter la prochaine indexation prévue en 2022 de 12 mois, soit au 1er avril 2023. Puis, en cas de franchissement d’une autre tranche indiciaire dans les 12 mois suivant cette date, que celle-ci soit aussi reportée 12 mois plus tard, soit au 1er avril 2024.


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Problème: les prévisions du Statec en matière d’inflation se sont nettement dégradées depuis la tripartite. La tranche indiciaire qui devait être franchie en août le sera finalement en juin. Une deuxième tranche devrait ensuite être franchie lors du premier trimestre 2023 – dont l’indexation sera alors reportée au 1er avril 2024.

Surtout, dans le climat d’incertitude actuel, tout laisse à penser que le phénomène s’aggravera et que d’autres tranches indiciaires seront déclenchées d’ici le 1er avril 2024. Le Conseil d’État lui-même s’en inquiète: «Les auteurs [du projet de loi] semblent être convaincus qu’‘il ne pourra pas y avoir plus de trois adaptations des salaires sur la période du 1er avril 2022 au 1er avril 2024’», note-t-il. Or, «il se peut qu’en réalité, plusieurs adaptations soient susceptibles d’avoir lieu au 1er avril 2024.»

2 milliards au 1er avril 2024

Même analyse du côté de la Chambre de commerce, qui «incite le gouvernement à ne pas sous-estimer la possibilité qu’au moins une tranche indiciaire supplémentaire puisse être déclenchée en 2023». Car les conséquences seraient loin d’être négligeables, constate cette dernière: «L’application d’une seule tranche indiciaire au 1er avril 2024, telle qu’actuellement prévu, soit une indexation de 2,5%, représente un coût de près de 910 millions d’euros, et une tranche d’indexation cumulée de 7,5% coûterait 2.728,86 millions d’euros.»

La Chambre des salariés (où le syndicat OGBL – qui a refusé de signer l’accord tripartite – est majoritaire) demande ainsi au gouvernement d’«expliquer à l’opinion publique comment deux tranches cumulées (voire davantage) pourraient royalement être payées par les entreprises au 1er avril 2024, alors qu’elles se sont déclarées incapables d’en payer deux sur la même année 2022».

Compenser les prochains reports

Une telle hypothèse, si elle a de quoi interroger sur la viabilité du système, n’est pourtant pas abordée par le législateur. «Ni l’accord du 31 mars 2022 ni le projet de loi sous avis ne tiennent expressément compte d’une telle éventualité», s’alarme ainsi la Chambre des fonctionnaires. Lors d’une commission précédente, des députés, de l’opposition comme de la majorité, se sont aussi inquiétés d’un tel potentiel embouteillage de tranches indiciaires au 1er avril 2024 et ont demandé des clarifications.

Autre point à éclaircir: le système de compensation mis en place par le projet de loi ne compense que le report de la prochaine indexation à venir. Le Conseil d’État tient d’ailleurs à «attire[r] l’attention des auteurs sur [c]e fait», remarquant que «la loi en projet ne contient pas de dispositif destiné à compenser d’éventuelles tranches indiciaires à échoir ultérieurement». La Chambre des salariés déplore quant à elle que le dispositif «omet[te] toute mention relative au système de compensation de toute perte potentielle supplémentaire de pouvoir d’achat du fait du report de 12 mois d’une tranche additionnelle».

À voter avant le 1 er juillet

prévoyait bien de convoquer à nouveau une tripartite en cas de dégradation de la situation économique ou de déclenchement d’une tranche indiciaire supplémentaire, ce qui paraît désormais inévitable. Mais le législateur n’a quant à lui rien prévu. La Chambre des fonctionnaires insiste d’ailleurs pour qu’une disposition dans ce sens soit insérée au sein du projet de loi.

Avec une inflation galopante en perspective, la ministre des Finances ne pourra pas éviter de telles questions, d’autant plus prégnantes désormais. Mais les enjeux sont si importants qu’il semble déjà que seule la convocation d’une nouvelle tripartite pourra à terme y répondre. Il faudra toutefois passer outre pour ce projet de loi. De fait, en cas de déclenchement d’une nouvelle tranche indiciaire en juin, la nouvelle indexation aura lieu le 1er juillet. La nouvelle loi devra donc être votée d’ici là pour permettre un éventuel report de l’index.