(Article modifié le jeudi 11 juillet à 15h avec le démenti de H2O sur la destination de la seule provision dans ses comptes de 2022)
Quel a été le rôle de la société «tête-de-groupe» (désignée comme telle par l’AMF) pendant les investissements et lorsque le scandale a éclaté? La luxembourgeoise H2O AM Holding a-t-elle continué, malgré le scandale révélé à partir de l’été 2019, de payer des dividendes à ses actionnaires – Natixis IM (actionnaire majoritaire 50,01%), Bruno Crastes et Vincent Chailley, les dirigeants à l’origine du scandale (et autres) – sans provisionner aucune suite? Quelles garanties financières ont été accordées aux investisseurs en vue de leur indemnisation par la société holding? C’est pour répondre à ces questions que les avocats du Collectif Porteurs H2O attendent que la justice luxembourgeoise leur donne accès à des documents, aujourd’hui ou dans les jours qui viennent.
Faisons un pas en arrière: quatre ans après la découverte du scandale H2O, en décembre dernier, 6.077 victimes déposent une assignation contre le groupe H2O – H2O AM holding au Luxembourg, H2O AM au Royaume-Uni et H2O AM Europe en France –, accusé d’avoir acquis durant plus de cinq années (de 2015 à 2020) via certains fonds d’investissement H2O (OPCVM) environ 2,34 milliards d’euros de titres de dette privée, illiquide, du groupe Tennor, holding d’investissement du financier allemand Lars Windhorst, avant que le groupe ait par la suite été jugé insolvable en 2021 par un tribunal néerlandais. Aujourd’hui à 9.004 investisseurs – soit 20 à 25% des investisseurs potentiels – le collectif a chiffré le préjudice à 806 millions d’euros, perte de fonds investis, dommages et frais de justice compris.
«Malgré cette assignation et les découvertes du Collectif Porteurs H2O dans ce scandale, l’obstruction du Groupe H2O et son manque de transparence – pourtant sanctionnée par toutes les juridictions françaises saisies du litige (dernière décision en date: ordonnance rendue par la Cour d’appel de Paris le 27 juin) – persistent et obligent notamment les plaignants à poursuivre leur action devant la Cour d’appel luxembourgeoise pour faire disparaître les quelques zones d’ombres qui demeurent sur la gouvernance notamment de la société luxembourgeoise et les garanties financières octroyées aux investisseurs en vue de leur indemnisation future», font valoir les avocats du Collectif.
«Sauve qui peut»
«Aux côtés du groupe H2O, la responsabilité solidaire des autres acteurs impliqués dans ce scandale en raison de leurs pouvoirs de contrôle sur la société H2O AM LLP – auteure des manquements – est recherchée: Natixis IM (actionnaire majoritaire au moment des fraudes et responsable du contrôle de la conformité et de la gestion de H2O AM LLP), Caceis Bank (dépositaire des fonds) et KPMG Audit (commissaire aux comptes). En tout état de cause, la très récente position de l’Autorité des marchés financiers (AMF) dans la fraude liée à la société EuroTitrisation semble confirmer la responsabilité solidaire de l’ensemble des acteurs de la gestion et du contrôle dans le cas d’une telle fraude.»
«Notre action se borne à engager la responsabilité des acteurs de la gestion et du contrôle des OPCVM H2O – soit de la gestion et du contrôle des fonds dans lesquels les victimes ont investi et qui ont été utilisés pour financer Lars Windhorst», dit le collectif.
Interrogée, H2O AM insiste sur la nécessité de faire preuve de vigilance et de discernement vis-à-vis des allégations fournies par le Collectif Porteurs H2O.
H2O AM Holding (Luxembourg) a-t-elle fait remonter des dividendes vers ses actionnaires? Selon les rapports annuels de cette entité luxembourgeoise et nos calculs, elle a versé plus de 1,277 milliard d’euros entre 2012 et 2022. Jusque-là, rien à dire. Le Collectif prend lui 2015 comme année de référence – date des premiers investisseurs avec Lars Windhorst – et arrive au total de 1,21 milliard d’euros entre 2015 et 2022. Là s’éclaire un fait: entre 2015 et 2018, H2O AM Holding a versé 367 millions d’euros de dividendes au total; au moment où le scandale est révélé, en 2019, pour cette seule année, le dividende se monte à 372,3 millions d’euros; et si l’on prend 2019 à 2023, le total monte à 892 millions d’euros. «Les dividendes massifs prélevés après le scandale étaient une forme de ‘sauve qui peut’ pour leurs actionnaires, notamment l’actionnaire majoritaire», relèvent encore les avocats du Collectif.
1,3 milliard d’euros investis au sein du Groupe Tennor
Pour les avocats du Collectif, les règles comptables obligeaient H2O AM Holding à rester plus prudente compte tenu des circonstances et provisionner d’éventuelles poursuites. Aucun dividende n’a été versé en 2020 et un montant de 87 millions d’euros a été provisionné dans les comptes de 2022 pour faire face à la procédure engagée par le régulateur financier britannique, expliquent les avocats du collectif. «En aucun cas, cette provision n’est en lien avec le litige au fond dans lequel se trouve le groupe H2O (et ne serait en tout état de cause pas suffisant)», disent-ils aussi. «Le litige au fond qui a débuté en décembre 2023 ne pouvait en aucun cas être provisionné dès les comptes 2022 et la provision citée par le Collectif concernait le régulateur français», répond H2O.
«Ce qui est d’ailleurs plus scandaleux, c’est que le groupe H2O a – sur son site internet – contesté la position du commissaire aux comptes en affirmant qu’”il est aujourd’hui impossible d'estimer d'éventuelles réclamations judiciaires”. Chacun peut constater qu’il s’agit d’une contrevérité puisque la demande indemnitaire des investisseurs que nous représentons (c’est-à-dire, à notre connaissance, 99,99% des victimes ayant décidé d’agir en justice à date): la réclamation judiciaire existe (elle n’est donc pas «éventuelle») et est précisément chiffrée et connue d’H2O AM depuis la mise en demeure de décembre 2023 à 717 millions d’euros (somme à laquelle s’ajoutent le préjudice moral évalué à 1.000 euros par personne ainsi que différents accessoires et qui sera actualisée pour les futures cohortes de demandeurs intervenant volontairement à la procédure).»
Oui, elle est chiffrée mais seulement depuis fin 2023. Existe-t-il d’autres éléments pour les années 2019 à 2022 incluses? Dans le rapport annuel corrigé de 2022, publié seulement en février 2024, les auditeurs de Mazars expliquaient eux aussi qu’«à la date de notre opinion, la direction n’était pas en mesure d’estimer les potentielles pénalités concernant ces litiges. À la date du rapport, nous n’avons pas reçu d’estimations potentielles pénalités concernant les actions du collectif Porteur H2O, cependant nous ne pouvons pas estimer si celles-ci pourraient être conséquentes et dans ce cas remettre en cause la continuité d’exploitation des filiales H2OM LLP, H2O AM Corporate Member et H2O Europe qui représentent 75% du total de l’actif du groupe.» Pourtant, à l’époque, l’AMF parlait déjà de 1,3 milliard d’euros investis au sein du Groupe Tennor et .
Corrigé parce que la première version publiée par la holding luxembourgeoise, quelques jours plus tôt, ne comportait pas deux des trois pages de l’ex-auditeur – remplacé en juin 2024 – dans les documents déposés au registre du commerce. Que disaient d’autres ces deux pages? Que les comptes de la holding ne donnaient pas une vision « exacte » de la situation financière consolidée de l’entreprise: H2O AM «n’a pas consolidé les comptes annuels (…) selon les mêmes périodes comptables. Le groupe a décidé d’appliquer la consolidation rétroactivement au 1er janvier 2022 alors que le contrôle n’a été pris par H2O AM holding qu’au 1er avril 2022, aucune situation intermédiaire des filiales correspondant à la période d’exercice de la société mère n’a été fournie et aucune comparabilité avec l’exercice précédent n’a été incluse.» «De nombreux postes des comptes consolidés ci-joints auraient été affectés de manière significative. Les incidences sur les comptes consolidés n’ont pu être déterminées», disent encore les auditeurs.
Dans tous les rapports précédents, rien ne figure à la rubrique «provisions pour risques et charges». «Au-delà de l’invalidation par l’auditeur de la valeur des titres Tennor figurant au portefeuille, l’absence de provisionnement suffisant des risques judiciaire induit une distribution de dividendes fictifs (et ce, depuis des années)», ajoutent les avocats du Collectif.
«L’actionnaire majoritaire a littéralement quitté le navire en cédant la majorité qu’il détenait au sein du capital à H2O AM Holding elle-même (réduction de capital de l’actionnaire majoritaire). Ce désengagement partiel a d’ailleurs étrangement été autorisé par l’AMF et la FCA alors qu’il contrevient par nature au principe de protection des investisseurs (on autorise l’actionnaire qui était majoritaire au moment des fautes à partir, alors qu’il est celui qui a bénéficié de plusieurs centaines de millions d’euros de dividendes et à sa responsabilité engagée du fait de son contrôle capitalistique et opérationnel au moment des fautes…)», relèvent encore les avocats du Collectif.
229 millions remboursés
«Les fonds cantonnés (SP) concernent des investissements sur de la dette privée qui ont eu lieu entre 2015 et 2019; la gestion des fonds SP n’a aucune incidence sur la gestion des fonds FCP qui repose sur une gestion active» répond H2O AM, qui poursuit: «En outre, les investisseurs ayant maintenu leurs placements dans les fonds liquides (FCP) – contrairement aux incitations du Collectif – lors de la scission en automne 2020, ont recouvré l’intégralité de leur investissement initial grâce à des performances bien supérieures à l’objectif de chaque FCP, indépendamment de l’estimation retenue pour les fonds cantonnés.»
«Enfin», indique H2O AM, «deux remboursements ont déjà eu lieu en janvier 2023 et début 2024, le montant total s’élève à 229 millions. Notre engagement à mener à bien la liquidation complète des fonds SP reste inchangé tout comme nos efforts pour traiter les porteurs de manière égalitaire.»
Depuis mars 2022, Natixis IM a commencé à sortir de H2O en cédant 26,61 % du capital de la boutique en difficulté immédiatement et doit attendre l’aval des autorités compétentes pour céder les 23,4% résiduels d’ici au minimum quatre ans, et au plus tard dans les six ans. Natixis IM (Luxembourg) a fermé le 1er avril. Mais la boutique d’investissement du groupe BPCE, détenu à 50-50 par la Banque populaire et la Caisse d’épargne, avait déjà rouvert le 1er février: avec un «I» en plus, comme Natixis Investment Managers International, succursale luxembourgeoise de Natixis Investment Managers International (France), elle est l’émanation d’une restructuration du groupe en 2018, Natixis IM ayant apporté une partie de ses activités à Ostrum Asset Management, avant un rebranding. Fin juin, le groupe BPCE a présenté sa nouvelle stratégie, Vision 30.