Jérôme Zahnen (Responsable Private Equity Banque de Luxembourg): «L’investissement dans le private equity implique un engagement ferme sur le long terme.» (Capture d’écran Maison Moderne)

Jérôme Zahnen (Responsable Private Equity Banque de Luxembourg): «L’investissement dans le private equity implique un engagement ferme sur le long terme.» (Capture d’écran Maison Moderne)

Private equity, dette privée, infrastructures… Les actifs non cotés suscitent l’intérêt croissant des familles fortunées, désireuses de diversifier leur portefeuille et d’améliorer leur rendement. Pour les gestionnaires de fortune, le défi est de leur faciliter l’accès à ces opportunités tout en les accompagnant dans leurs démarches d’investissement.

La place qu’occupent les actifs privés au cœur des stratégies d’investissement adoptées par les familles fortunées s’est considérablement renforcée ces dernières années. La clientèle privée a développé un réel attrait pour les actifs non cotés, s’orientant vers le private equity, la dette privée ou encore les infrastructures. Cet engouement peut s’expliquer par diverses tendances à l’œuvre depuis plusieurs années. Tout d’abord, les marchés privés ont connu un important développement depuis 2008. La dette privée, par exemple, a eu une forte accélération en raison d’une sélectivité accrue des banques dans leur choix de financement d’entreprises.

Le private equity, d’autre part, un fort développement, offrant un nombre croissant d’opportunités d’investissement. «On constate une forte diminution du nombre d’acteurs présents en bourse. Actuellement, plus de 80% des entreprises dont les revenus sont supérieurs à 250 millions d’euros ne sont pas cotées», explique Jérôme Zahnen, responsable Private Equity au sein de la Banque de Luxembourg. «Pour les investisseurs, ces entreprises représentent un marché important, qui continue de grandir.»

Le private equity se positionne comme une véritable alternative complémentaire aux actions traditionnelles. D’autant plus que, sur les marchés, on assiste à une concentration de plus en plus importante de la valeur au niveau d’un nombre limité d’acteurs. «Aux États-Unis, environ 30% de la capitalisation du S&P 500, l’indice qui regroupe les 500 plus grandes capitalisations américaines, est captée par les sept principales valorisations», poursuit Jérôme Zahnen.

Diversification et rendement

Face à ces tendances, les investisseurs ont vu dans les marchés privés un levier de diversification, mais aussi une opportunité d’améliorer les rendements de leurs portefeuilles. «L’investissement dans le private equity implique un engagement ferme sur le long terme. Il est dès lors associé à une prime d’illiquidité qui soutient le rendement. On peut aussi y ajouter une prime de risque plus élevée, qui varie en fonction des segments dans lesquels on investit», ajoute Jérôme Zahnen. Ce sont d’abord les acteurs institutionnels, les compagnies d’assurances et les grands fonds de pension qui ont ouvert la voie. Les investisseurs privés leur ont progressivement emboîté le pas, développant un intérêt croissant pour ces actifs alternatifs avec la volonté de bénéficier d’un meilleur couple rendement-risque.

Un accès réservé

L’un des défis des banquiers privés et des gestionnaires de fortune a été d’envisager des approches nouvelles pour permettre à leurs clients d’accéder à ces opportunités d’investissement. Le ticket d’entrée pour investir en direct dans un fonds de private equity demeure élevé. S’exposer à cette classe d’actifs nécessite de disposer d’une surface financière de plusieurs millions d’euros.

Afin de répondre aux souhaits des familles fortunées, les acteurs luxembourgeois de la gestion de fortune développent depuis quelques années des solutions qui contribuent à la démocratisation de cette classe d’actifs. Cela se traduit notamment par la mise en place de véhicules mutualisés. «Avec un fonds de fonds, comme celui que nous avons mis en place depuis dix ans, nous pouvons lever des capitaux auprès de plusieurs clients privés. La démarche permet d’atteindre la taille critique nécessaire pour accéder à des fonds flagship de private equity», explique Jérôme Zahnen. La réglementation luxembourgeoise fixe le seuil d’accès à l’investissement alternatif, en fonction de la résidence principale, à 100.000 euros. Si l’on peut parler de démocratisation, ces solutions restent néanmoins réservées à une clientèle fortunée et avertie.

Faire les bons choix

«À partir de ce véhicule, il s’agit ensuite d’opérer une sélection parmi l’offre disponible, poursuit le responsable Private Equity au sein de la Banque de Luxembourg. Il existe aujourd’hui des milliers de fonds, portés par une grande variété de gestionnaires, avec de fortes disparités en matière de performances. Pour bien investir, il faut donc disposer des compétences nécessaires pour mener des analyses précises.»

Face à ces opportunités, il est aussi essentiel d’apporter un conseil avisé à cette clientèle attirée par cette classe d’actifs. Il est notamment primordial de s’assurer que l’investisseur dispose d’une bonne compréhension du fonctionnement de ces produits afin de lui permettre de déterminer comment construire son portefeuille dans la durée. «Pour cela, il faut notamment considérer le profil de risque, la surface patrimoniale et les besoins en liquidité, ajoute Jérôme Zahnen. Les actifs privés sont avant tout un levier de diversification, dont l’allocation ne devrait représenter au maximum que 30% du portefeuille d’investissement. L’allocation cible devrait s’établir entre 10 et 20%.»

Accroissement des levées de fonds

Si la clientèle privée considère avec un intérêt croissant l’investissement alternatif, les gestionnaires de fonds, ces dernières années, multiplient les démarches en vue de mobiliser les capitaux des familles fortunées. Les besoins en levée de fonds, au regard des tendances du marché, ont tendance à s’accroître.

Or, les investisseurs institutionnels, présents depuis plusieurs années sur ce segment, ont le plus souvent atteint leur objectif cible en matière de diversification. La clientèle privée, dont le patrimoine global continue de croître, est dès lors de plus en plus sollicitée pour répondre aux besoins du marché.

Par ailleurs, l’Union européenne souhaite aussi faciliter la mobilisation des capitaux privés en vue de financer les besoins de l’économie réelle. C’est dans ce contexte qu’elle a mis en place le «Fonds européen d’investissement à long terme (Eltif)», dont la nouvelle mouture est entrée en vigueur depuis janvier 2024. Ce véhicule, s’il s’adresse à des investisseurs avertis, doit contribuer à démocratiser, à travers un assouplissement des règles, l’accès à l’investissement dans des actifs privés.

L’émergence des fonds ouverts

 L’investissement dans des actifs privés, des entreprises non cotées, ou encore dans l’immobilier, s’opère de manière générale à partir de fonds fermés. Ces fonds lèvent un montant fixe de capital pendant leur période de collecte, puis se ferment ensuite à de nouveaux investisseurs, pour opérer durant une durée déterminée, souvent de dix ans. Pendant ce temps, le capital est déployé dans des investissements à long terme, et les rendements sont distribués aux investisseurs à mesure que les actifs sont cédés, généralement vers la fin de la vie du fonds.

À côté de ces véhicules, d’autres fonds, appelés «Evergreen», semblent émerger dans le domaine du private equity. Il s’agit de véhicules d’investissement ouverts, qui n’ont pas de date de fin prédéterminée. Avec des engagements initiaux minimaux plus faibles et la possibilité de souscrire au fonds sur une base périodique, ils sont plus accessibles à un groupe plus large d’investisseurs. Ceux-ci bénéficient d’une plus grande flexibilité, avec des possibilités d’entrer et de sortir plus facilement. Les cibles d’investissement de ces fonds sont davantage diversifiées. Avec une croissance à long terme, pouvant conduire à des profits plus élevés au fil du temps. Si la flexibilité des fonds Evergreen est attrayante, elle a ses limites.

Il est en effet important de prendre en compte la nature des actifs sous-jacents. Un immeuble est, au demeurant, un actif illiquide. L’investissement réalisé au niveau d’une entreprise n’est pas facilement récupérable. Pour les gestionnaires, le recours à des fonds Evergreen implique de prendre en considération un juste équilibre entre flexibilité et illiquidité, pour fixer des règles claires vis-à-vis des investisseurs.

Cet article a été rédigé pour le supplément  de l’édition de  parue le 29 janvier. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam. 

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