La société Emblem prévoit de diversifier encore davantage les formes et les motifs des faïences décorées qui font la renommée des Émaux de Longwy. (Photo: Manufacture des émaux de Longwy 1798)

La société Emblem prévoit de diversifier encore davantage les formes et les motifs des faïences décorées qui font la renommée des Émaux de Longwy. (Photo: Manufacture des émaux de Longwy 1798)

C'est toute la région de Longwy qui respire après la décision du tribunal de commerce de Briey de confier les rênes des Émaux de Longwy à la société Emblem, le 11 décembre dernier. Le fleuron de l'artisanat local, renommé depuis plusieurs siècles pour ses céramiques colorées à l'émail et à la main, échappe en effet à une liquidation qui menaçait depuis plusieurs années.

Après sa consécration par une visite de l'empereur Napoléon 1er, la manufacture d'abord dédiée aux services de table s'est tournée vers les émaux, qui ont fait connaître Longwy jusqu'aux États-Unis durant l'âge d'or de l'Art Déco dans les années 1920-1930. Abandonnée à contrecœur en 1978 par la famille d'Huart qui la détenait depuis 150 ans, la manufacture a connu plusieurs repreneurs qui n'ont jamais réussi à lui faire retrouver son lustre d'antan.

Le dernier en date, Arnold Kostka, aux commandes de 1991 à 2015, a renouvelé les produits en invitant des signatures contemporaines. La faïencerie affiche un chiffre d'affaires de 3 millions d'euros en 2004 avant de décliner. Les débouchés se tarissent, le marché du luxe devient difficile à accrocher. En 2014, le chiffre d'affaires n'atteint plus que 1,7 million d'euros. La famille Kostka annonce en janvier 2015 la cession de la société à un céramiste français soutenu par un fonds d'investissement. «Nous sommes certes connus, mais nous demeurons trop petits et trop isolés pour développer l’export, qui n’est pas un sport de pauvres», explique alors le patron à la revue Usine nouvelle. Mais la vente capote et la société est placée en redressement judiciaire en juin 2015.

La valeur des Émaux est entre les mains des salariés.

Martin Pietri, PDG de la société Emblem

Sur les 12 repreneurs potentiels qui se sont manifestés à l'automne, seuls trois déposent un dossier auprès du tribunal de commerce de Briey. C'est finalement la société Emblem, la seule à avoir proposé de conserver les 40 employés, qui l'emporte.

«Nous ne sommes pas du tout un fonds d'investissement», garantit Martin Pietri, cofondateur d'Emblem avec Étienne Valat sur leurs deniers personnels et avec le soutien d'investisseurs privés. «Nous sommes une petite holding qui a vocation à progressivement prendre le contrôle d'entreprises dans le secteur de l'ameublement, de la décoration et de l'aménagement intérieur», explique-t-il à Paperjam.lu. Constituée en juillet 2015, Emblem se veut un «petit LVMH du secteur de l'aménagement et de la décoration intérieure». «Nous ne sommes pas là pour faire des coups, mais pour rassembler des entreprises complémentaires, leur donner de la visibilité et assurer leur pérennité.»

La première acquisition d'Emblem en octobre dernier fut Taillardat, un fabricant de meubles d'inspiration 18e siècle construits dans les Vosges avant finitions apportées par un atelier à Orléans. La société, qui a réalisé en 2014 2,7 millions d'euros de chiffre d'affaires, dont 2 millions à l'export, a travaillé avec Sofia Coppola pour son film Marie-Antoinette et fournit les plus grands hôtels et palaces européens en mobilier classique ou revisité.

Et pour Martin Pietri, les Émaux de Longwy, «faisant partie du patrimoine artisanal et artistique français» qui passionne ce descendant des ébénistes Jacob et Jacob-Desmalter, correspondent aussi à cette ambition de réunir des «savoir-faire d'excellence». «Nous avons repris la structure avec l'ensemble des salariés car la valeur des Émaux est entre leurs mains», répète-t-il.

Des marchés internationaux à conquérir

Emblem arrive avec 800.000 euros et une réflexion de fond sur l'avenir de la société. Premier objectif: traverser les frontières. «Il n'y avait plus d'ambition commerciale, la société faisait 90% de son chiffre d'affaires en France, or ce type d'entreprise doit réaliser au moins 50% à l'export pour s'en tirer», constate Martin Pietri. Et cela passera aussi par la recherche d'une boutique ou d'un distributeur au Luxembourg, voisin de Longwy au portefeuille bien garni.

Autre piste de développement: un repositionnement en gamme. «L'image des Émaux a été brouillée avec une politique de descente en gamme qui n'a pas donné les fruits attendus par l'ancienne direction (...). Il ne faut pas essayer de courir après des marchés occupés par d'autres pays européens ou par la Chine.»

Pour le repreneur, la Manufacture des émaux de Longwy 1798 - le nouveau nom de la société - a un «savoir-faire extraordinaire» et donc un coût de fabrication qui impose de viser le «très haut de gamme». Le carnet d'adresses de Taillardat, qui regorge de palaces et de décorateurs de haut niveau, promet des débouchés intéressants. «On veut se mettre au service des décorateurs et leur proposer des motifs sur mesure, qui peuvent être exclusifs pour tel ou tel projet. Il y a vraiment un marché pour les Émaux de Longwy, à condition d'aller chercher ces marchés et de leur proposer les produits qu'ils attendent.» Et ce d'autant plus que la manufacture maîtrise sa production de la conception du moule aux finitions. «Il y a une possibilité incroyable de créer de nouvelles formes et de nouveaux modèles, c'est là-dessus qu'il faut s'appuyer.»

Commercialisation, marketing, création, investissement dans l'outil de production: Emblem a un programme chargé pour les trois années à venir, au terme desquelles la société vise 2,6 millions d'euros de chiffre d'affaires - un retour à l'équilibre - contre 1,8 million aujourd'hui. Un défi pour lequel Martin Pietri se sent épaulé autant par le personnel, «très motivé et attaché à l'entreprise», qui a tout fait pour honorer les commandes du mois de décembre dans les délais malgré les interrogations sur l'avenir de la société, que par «l'écosystème lorrain» - député-maire de Longwy, région, services de l'État... «Cette forte mobilisation est un atout pour la relance des Émaux.»

Une nouvelle page se tourne donc pour la Manufacture des émaux de Longwy 1798, en quête de stabilité et de perspectives lorsque d'autres sociétés ont sombré, comme la Faïencerie de Sarreguemines.

L'année commence toutefois mal pour la société, puisque huit objets, dont deux boules coloniales d'une grande valeur, ont été dérobés lors d'un cambriolage dans la boutique le 28 décembre dernier, rapporte Le Républicain Lorrain. Le montant du butin s'élève à 32.000 euros.