Jacques Chahine, président Sicav Digital Funds. (Photo: Maison moderne / archives)

Jacques Chahine, président Sicav Digital Funds. (Photo: Maison moderne / archives)

Le ton du candidat Trump a changé complètement le jour même de son élection pour redevenir tout à fait rassurant. Passage de pouvoir dans la sérénité et début de retrait ou d’édulcoration des propositions excessives. Il aura remarqué que la loi ObamaCare contenait quelques bons éléments que l’on ne pouvait pas effacer, comme l’obligation d’assurer des sujets avec des antécédents médicaux. L’ensemble des propositions politiques, qui devaient être implémentées le lendemain de l’élection, devront être réévaluées à la lumière de la constitution et des réalités politiques et sociales. Par contre, le programme économique du candidat intéresse particulièrement les marchés et peut faire bouger l’économie dans un sens ou un autre.

Son programme prévoit d’énormes investissements dans les infrastructures et la défense. Il inclut la baisse du taux marginal de l’impôt de 39,6% à 33% et promet de verrouiller les niches fiscales (bon courage!). Il veut éliminer l’impôt sur les successions, qui s’applique déjà au-delà de 5 ou 10M$ pour un couple. Le taux nominal de l’impôt sur les sociétés sous Trump devrait passer de 35% à 15%, ce qui marquera une amnistie sur les énormes profits parqués à l’étranger. Le financement de ces largesses n’est pas prévu et s’appuie sur une profession de foi que la relance de l’économie fera le job. C’est clairement un programme pour les riches qui sont déjà immensément riches et qui est la source des inégalités et du ralentissement économique.

Le programme du candidat inclut la fermeture des frontières et la dénonciation de divers traités commerciaux. La promesse de revoir les accords commerciaux internationaux est le sujet qui inquiète le Mexique, les pays émergents, la Chine et peut avoir un impact en Europe. Les marchés financiers ont réagi cette semaine à ce scénario économique.

Le cours des financières s’envole

Contrairement aux attentes de fin de monde si Trump était élu, les marchés ont vu le réalisme du candidat élu et son programme pro-business. La hausse des actions dans le monde a été de 3% sur la semaine, mais 8% au niveau des financières. La hausse brutale des taux d’intérêt à long terme et la promesse de revoir la législation restrictive Dodd-Frank ont boosté le secteur. À l’inverse, l’immobilier, les télécoms et les utilities, qui dépendent fortement des taux, ont reculé dans la foulée. Le secteur informatique a été plutôt délaissé, les énormes groupes comme Google, Amazon, Facebook, Apple ont plutôt baissé car ils sont exposés aux mesures de rétorsion en cas de restriction du commerce international. L’indice Russell 2000 des petites et moyennes capitalisations a gagné 10,2% dans la semaine, ses sociétés étant tournées essentiellement vers le marché intérieur.

L’impact le plus significatif de l’élection du président Trump a été le krach obligataire, sur l’ensemble de la courbe des taux. Le taux à 10 ans a gaillardement dépassé les 2% et le 30 ans touche maintenant 3% alors qu’il était à 2,16% au lendemain du Brexit. Cela fait un drawdown de 16,5% sur le cours du titre. Alors qu’en cas de remous sur les marchés financiers, la Fed aurait reculé sa hausse des taux de décembre, il y a maintenant une quasi-certitude qu’elle devra le faire et de façon plus rapide que graduelle, si on se réfère à la courbe des taux. Les anticipations de hausse de l’inflation sont apparues, car les programmes de relance de Trump vont ajouter une tension sur le marché de l’emploi qui était déjà en bonne posture.

Envolée de la courbe des taux

Malgré l’inaction de la BCE et de ses taux, la courbe des taux s’est également tendue en Europe, le 10 ans allemand qui était négatif à un moment est à +0,3% et le 30 ans est passé de 0,34 à 0,95%. Cela reste des taux ridiculement bas, mais la crainte est de les voir progresser rapidement.

Si le marché actions américain a absorbé sans sourciller l’énorme choc obligataire, nous ne sommes pas certains que le réveil ne soit pas très douloureux car d’ores et déjà nos modèles d’évaluation du marché américain donnent un objectif de cours à 1.990 points pour le S&P500 pour des taux à 3% et une clôture à 2.164. La justification d’un tel cours est une profession de foi sur l’accélération anticipée de la croissance par le président Trump, donc des profits des sociétés. Le cours constaté induit déjà une accélération de plus de 1% du PIB, soit un retour aux 3% contre les 2% actuels.

L’économie européenne ne pourra pas être immunisée contre un choc économique aux USA, et notamment l’économie allemande fortement exportatrice. L’envolée des taux américains a eu pour effet de dévaluer l’euro par rapport au dollar qui s’est apprécié contre toutes les devises, et risque de créer des crises graves de liquidités dans les pays émergents. Déjà, la devise mexicaine a dévalué de 17% depuis le début de l’année et la devise brésilienne accuse le coup.

Il est donc impératif, non seulement de garder, mais renforcer la coopération entre les deux blocs européen et américain pour éviter une crise systémique. La relance des infrastructures américaines est porteuse d’un potentiel d’exportation de biens et services qui sont l’apanage de l’Europe.

Pour le moment, le problème le plus urgent pour l’Europe est de faire face au Brexit qui ne finit pas de faire des vagues où la meilleure solution est un retour par un chemin détourné du Royaume-Uni dans le giron de l’Europe, du type association à la norvégienne sauvant la face à tout le monde. Le Luxembourg est bien placé pour profiter du Brexit en tant que place financière. Si on ne voit pas les grandes banques débarquer en masse dans le Grand-Duché, des fonctions entières de back/middle-offices pourraient s’y implanter dans un cadre très favorable et une expertise incontestée. Le Luxembourg affirme sa réputation de grande stabilité et de liberté dans la conduite des affaires et ses excellents infrastructures et potentiels de développement immobilier permettent d’accueillir la finance et les groupes internationaux.