Thierry Schuman: «Les défis fondamentaux auxquels doivent faire face les DRH et leurs équipes exigent des stratégies claires.» (Photo: Olivier Minaire / archives)

Thierry Schuman: «Les défis fondamentaux auxquels doivent faire face les DRH et leurs équipes exigent des stratégies claires.» (Photo: Olivier Minaire / archives)

Les DRH sont à envier: alors que la digitalisation menace de faire disparaître bon nombre de fonctions et de professions – mannequins et aides-comptables en tête à 98%, la fonction du DRH est assurée de survie à 99,5% - un score qui se situe même au-delà de celui du CEO (98,5%)! L’humain demeure au centre de l’entreprise – cela n’aura jamais été plus vrai – et cela, tout particulièrement dans le contexte particulier luxembourgeois, mélangeant un marché de l’emploi dynamique, un multiculturalisme exceptionnel, et une économie en progrès et en mutation constante…

Mais cette haute probabilité de survie ne sera assurée que si les DRH savent relever les défis qui se pointent. Sans prétention d’exhaustivité, mais en tenant compte des exigences spécifiques du Luxembourg, je voudrais en relever six:

1 – La digitalisation                              

L’ubiquité de la digitalisation, la connectivité omniprésente révolutionnent les manières de communiquer, de travailler, et notamment de recruter. Finie l’époque où vous passiez une annonce dans le journal, attendiez que les CV rentrent, et faisiez votre choix. Aujourd’hui et plus encore demain, le recrutement sera un processus constant, où vous soignerez votre image d’employeur, étalerez et expliquerez votre «EVP» (Employee Value Proposition), et irez proactivement à la recherche de talents futurs. Vous utiliserez vos propres employés comme relais de recrutement (Facebook), soignerez la manière dont vous traitez les candidats (ou risquez des retours au vitriol sur Glassdoor), et scruterez les réseaux professionnels à la recherche de perles et d’expériences rares (LinkedIn).

2 – Les plans de succession

De plus en plus d’entreprises se trouvent face à un problème de relève: selon une étude KornFerry, seulement 35% des entreprises se déclarent satisfaites de leurs plans de succession et de la qualité du «pipeline»! Recrutons donc nos managers en externe, direz-vous? C’est certes possible – mais il est généralement reconnu que plus de 50% de ces «greffes» de haut niveau ne prennent pas. Si vous y rajoutez des exigences en matière de diversité de genre, d’intelligence collective, ou encore de compétences qu’un régulateur doit approuver, le casse-tête devient vite insoluble.

3 – Les changements démographiques

Selon les publications du Statec, la tranche générationnelle la plus représentée à Luxembourg (données 01.01.2015) est la tranche des 45-49 ans (8% du total de la population); 7,4% de la population se trouvent dans la tranche 50-54 ans, alors que 6,4% de la population résidente ont entre 55 et 59 ans. Ces personnes qui quitteront progressivement le marché du travail seront remplacées par les tranches d’actuellement 15-19 ans (5,6% du total), puis des 10-14 ans (5,4% du total). Ce déclin de population est plus accentué encore sur la population de nationalité luxembourgeoise.

Comme il est peu probable que les gains en productivité suffiront à combler ce déficit, les entreprises devront redoubler de créativité pour attirer les talents et souvent, aller chercher au-delà des frontières. En ce qui concerne les entreprises nécessitant la connaissance de la langue luxembourgeoise, et compte tenu notamment des besoins prévisibles en recrutements de la fonction publique (aux rémunérations parfois largement au-dessus du secteur privé) au sens large, l’option «immigration» ne se pose pas, et le défi sera d’autant plus grand.

4 – Les changements de génération

Beaucoup a été dit et écrit sur la génération Y qui commence à entrer massivement dans les entreprises. Éduqués dans un environnement différent de celui de leurs aînés et par ailleurs souvent alarmiste – ne leur a-t-on pas présagé à longueur de journée un avenir empreint de chômage, de prestations sociales intenables, d’emplois précaires, de logements impayables, de catastrophes climatiques…? - ces jeunes sont résolument optimistes, mais également soucieux de leur qualité de vie, de la réalisation d’une vie riche en-dehors de leur environnement de travail. Leurs attentes par rapport à leur employeur sont diverses et différentes de celles de leurs aînés - nous devrons donc (par exemple) adapter nos politiques compensation & benefits répondant à leurs exigences et des modalités (contractuelles et/ou pratiques) de travail offrant la flexibilité et l’adaptabilité qui leur sont importantes.

5 – Les seniors

Inutile de se voiler la face: il y a un monde entre les déclarations des instances patronales et gouvernementales («la vie professionnelle et la durée de cotisation devront s’allonger afin de garantir la pérennité de notre système de pension»), et le vécu quotidien dans les entreprises, où les seniors sont les premiers à être poussés vers la sortie en cas de réduction des effectifs ou simplement, afin de contrôler l’évolution des coûts, les seniors étant par définition les plus chers.

Nous ne pourrons continuer de cette manière. Les seniors seront de plus en plus présents dans nos entreprises, et nous devrons développer des solutions afin d’utiliser au mieux leurs compétences et expériences sans pour autant négliger le fait qu’à plus de 60 ans, le niveau d’énergie n’est plus le même que 20 ans plus tôt. De plus, les ambitions et souhaits de progresser des plus jeunes ne devront pas se voir bloqués par des seniors occupant des postes qui ne se libèrent plus…

6 – Les exigences RSE

Les RH font partie intégrante d’une politique RSE, car de nombreuses composantes d’une entreprise socialement responsable s’articulent autour de politiques RH: work-life balance, diversité, bien-être au travail, comportements écologiquement responsables, car policy… Les entreprises gagnantes de demain seront celles qui auront su ajouter de la valeur et donner du sens à la vie de leurs clients, de leurs collaborateurs – et les RH devront activement contribuer à la définition et à la mise en place des politiques afférentes.

En résumé, il y a du pain sur la planche! Les défis fondamentaux auxquels doivent faire face les DRH et leurs équipes exigent des stratégies claires, accompagnées des ressources adéquates. Une formation continue d’excellence, le recours à des spécialistes (internes et externes), un rattachement du DRH à un niveau suffisamment élevé pour qu’il puisse avoir un impact sur la stratégie de l’entreprise sont des impératifs à ne pas rater afin de se préparer au mieux. 2020, c’est demain.