Synonyme de désastre économique et d’échec cuisant pour la Lorraine, le dossier Skylander refait surface au détour d’une procédure judiciaire lancée par des actionnaires s’estimant lésés.
Le projet de construction du SK 105 F, ce petit avion biturbopropulseur de transport passagers et de fret qui devait pouvoir se poser dans des zones difficiles d’accès, avait atterri en 2008 sur l’ancienne base aérienne de l’Otan de Chambley en Lorraine, à l’ouest de l’axe Nancy-Metz. À la clé, 300 emplois directs et 700 indirects pour un territoire rural en quête de dynamisme économique, rappelle l’étude de Colette Renard-Grandmontagne parue dans la Revue géographique de l’Est.
Adoubé par le ministère de l’Aménagement du territoire qui lui verse une prime de 2,5 millions d’euros et promet 60 millions d'investissement, le projet est accueilli avec enthousiasme par les élus régionaux. Serge Bitboul, PDG de Geci International, la holding qui détient SkyAircraft, chargée de la construction de la «Logan des airs», fait état d’un carnet de commande déjà bien rempli – dont 300 engins pour un mystérieux Russe – et annonce la fabrication des premières pièces pour 2010 avec une commercialisation à partir de 2012. Serge Bitboul a «l’ambition de prendre le leadership mondial de ce marché de niche (…) et compte produire 1.500 bipropulseurs entre 2012 et 2028», comme il l’explique à l’époque au site institutionnel Eureka Lorraine.
Des millions d'euros d'argent public
Le président de la Région Lorraine de l’époque, Jean-Pierre Masseret, plonge corps et âme dans le projet et fait voter 21 millions d’«avances remboursables» par le conseil régional afin d’aider la société d’ingénierie à honorer ses engagements. Sans compter les millions déboursés pour aménager l’ancienne base aérienne pour les besoins du projet. La Région prévoit aussi d’entrer au capital de SkyAircraft. Autant d’interventions aujourd’hui examinées à la loupe par la Chambre régionale des comptes, comme le révélait récemment L’Est Républicain.
La chute n’en sera que plus douloureuse. En 2012, des experts mandatés par le gouvernement et la Région arrivent à la conclusion que 200 millions d’euros sont encore nécessaires à la finalisation du projet. Le nouveau ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, menace de couper les robinets si Serge Bitboul ne s’adosse pas à un partenaire industriel. Aucune piste n’aboutit. La liquidation judiciaire de SkyAircraft sera finalement prononcée en avril 2013, laissant 113 salariés sur le carreau.
La Région porte plainte contre X pour escroquerie afin de récupérer ses 21 millions d’euros – elle n’en a obtenu que 4 millions pour l’instant. Le nouvel exécutif de la Région Grand Est dit poursuivre l’action en justice. Le Parquet national financier a de son côté ouvert une autre information judiciaire en 2014 pour abus de marché, sur fond de suspicion de diffusion d’information fausse ou trompeuse, de délit d’initiés, de vol et de recel de vol. Le dossier est toujours en cours d’instruction.
Quatre actionnaires attaquent Geci
C’est dans ce contexte trouble que quatre actionnaires de Geci International viennent à leur tour de lancer une procédure, au civil cette fois, pour diffusion d’informations fausses et trompeuses sur la société. Ils avancent un préjudice financier de 100.000 euros alors qu’ils avaient investi leurs économies dans le projet Skylander. Or la cotation de Geci a été suspendue durant quatre ans. «Ce délai de suspension est le cœur du préjudice subi par mes clients», pointe Johann Lissowski, avocat des plaignants, cité par L’Est Républicain. «Pendant quatre ans, cette société a pu faire ce qu’elle a voulu, elle s’est délestée notamment d’une partie de ses filiales.» Et sa cotation actuelle «n’est en rien comparable à celle d’avant 2012».
Geci International a en effet cédé sa filiale d’ingénierie Gei Systèmes, qui assurait la rentabilité du groupe, au groupe Alten en 2014, rappelle L’Est Républicain. Geci Aviation et SkyAircraft ont disparu. Au bord de la liquidation fin 2013, la holding s’est refait une santé en acquérant deux sociétés d’ingénierie: Eolen en 2015 et Etud Intégral le mois dernier. Elle affichait en 2015 un chiffre d’affaires de 15,54 millions d’euros.