Le modèle luxembourgeois en crise
J’aimerais distinguer le dialogue social au niveau national de celui au niveau des entreprises.
Je constate avec satisfaction que les partenaires sociaux, au niveau des entreprises, dans le cadre des discussions sur la négociation ou la renégociation des conventions collectives de travail, parviennent, en général, à un accord. Il est vrai, parfois après un passage à l’Office national de conciliation.
Le bon fonctionnement du dialogue social au niveau de l’entreprise s’explique par les relations de proximité avec les délégués du personnel et par la profonde connaissance du terrain. On sait de quoi on parle, on connaît les possibilités, mais aussi les limites de la discussion sur l’amélioration, parfois aussi sur la mise en question de certaines pratiques en rapport avec les conditions de travail et de rémunération.
Reste le problème de la surenchère syndicale, surtout à l’approche des élections sociales. La surenchère qui s’exprime par des revendications extrêmes, déconnectées de la réalité et n’ayant aucune chance d’aboutir.
Dans ces circonstances, il est indiqué de faire appel au réalisme, je dirais même au bon sens, afin de retrouver le chemin d’un dialogue serein et constructif.
Puis le dialogue social au niveau national.
Il a bien fonctionné pendant les années de crise sidérurgique. C’était moins vrai par après.
L’objet du dialogue social, dans les années 90 et plus encore dans les années 2000, ce n’était plus le redressement d’un secteur, mais le maintien de la compétitivité des entreprises, surtout de celles opérant à l’échelle internationale.
Si les considérations liées à la compétitivité ont toujours été présentes au Luxembourg, étant donné la faiblesse du marché domestique et la dépendance de l’économie des exportations, leur place a cependant augmenté dans les années récentes.
Je fais référence à la création de l’Observatoire de la compétitivité en 2003, au rapport du professeur Lionel Fontagné en 2004, rapport intitulé «Une paille dans l’acier», ou encore à l’élaboration, dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, de plusieurs plans nationaux de réformes.
Ainsi, la tripartite a commencé à expliciter des objectifs macroéconomiques telles la croissance, la compétitivité ou encore la modération salariale.
Je rappelle l’accord tripartite de 1998 et la conclusion d’un plan d’action national en faveur de l’emploi, celui de 2006 faisant le constat d’un déséquilibre des finances publiques et d’un niveau d’inflation trop élevé.
Cet accord a débouché sur des mesures censées stimuler la croissance économique et limiter l’inflation à travers une modulation de l’indexation des salaires.
Viennent ensuite les négociations de 2010 et de 2012 qui, à chaque fois, se sont terminées par un échec.
Il mènerait évidemment trop loin de vouloir analyser les causes profondes de l’échec du dialogue social au niveau national.
Mais le fait que les organisations syndicales sont souvent crispées sur des positions trop idéologiques peut constituer un élément d’explication.
En effet, si les syndicats mettent en doute les règles de fonctionnement de l’économie de marché, mettent en doute la mondialisation des échanges commerciaux, il sera difficile de se concerter avec eux sur les questions d’ordre macroéconomique.
Bref, l’expérience du passé m’a fait comprendre que le modèle luxembourgeois est entré en crise et qu’il est nécessaire d’établir un nouveau pacte social et économique fondé sur la confiance et le progrès.
Relations entre gouvernement et patronat
Au Luxembourg, les représentants des entreprises sont perçus comme des interlocuteurs incontournables du gouvernement, au même titre que les syndicats de travailleurs.
Le fait que les patrons aient un avis sur la politique économique et budgétaire liée à la défense de leurs intérêts est perçu comme quelque chose de tout à fait normal.
Cela tient à la petite taille du pays qui favorise la concertation entre responsables politiques et économiques.
Les relations entre gouvernement et patronat, hélas, sont moins évidentes dès qu’on aborde les sujets relevant de la politique sociale.
Un constat d’abord: sur une longue période, on constate au Luxembourg une forte progression du niveau de vie, une réduction des inégalités de revenus et de la pauvreté - bien que certains nous veulent faire croire le contraire.
Hélas, depuis la fin des années 1990, le système de redistribution des revenus connaît un certain nombre de difficultés: poids des prélèvements obligatoires, difficultés financières au niveau de l’État central, difficultés financières de la protection sociale liées au vieillissement de la population et la progression des dépenses de santé.
Le ralentissement économique y contribue.
Afin de rendre le système de la redistribution plus efficient et résoudre le problème du déficit, le patronat revendique, depuis des années, des réformes: réforme des systèmes de retraite, réforme des systèmes de santé et réforme des services publics.
Force est de constater que nos propositions, parfois aussi nos revendications, ne sont pas suffisamment prises en compte.
Oui, une certaine frustration se fait sentir de temps à autre au sein du monde patronal par rapport au monde politique.
Pour illustrer mon propos, je peux mentionner les dossiers actuellement sous revue au sein du Comité permanent du travail et de l’emploi, comme l’organisation du travail, mais aussi les dossiers concernant la réduction de l’absentéisme abusif ou encore la formation des salaires - pour ne pas parler de l’indexation automatique des salaires.
Je me rappelle aussi du dossier des pensions qui, en 2002, a fait l’objet du fameux «Rentendesch». Mais au lieu de déboucher sur des solutions pour garantir le financement du système à long terme, le gouvernement, appuyé par les syndicats, a décidé d’ajouter aux prestations en place d’autres prestations telles la «Mammerent».
Et - une fois n’est pas coutume - si patronat et syndicats adoptent une position commune, opposée à celle du gouvernement, c’est l’incompréhension totale dans le chef de ce dernier.
Je me souviens du dossier de la réforme de l’assurance maladie du milieu des années 90, où le gouvernement a dû céder sur ses exigences, mais a accusé le patronat d’avoir forgé une alliance contre-nature avec les syndicats.
En référence à Charles de Montesquieu, je rappelle que «le mieux est l’ennemi du bien».
Ceci se vérifie aussi dans le domaine social, où la recherche de la perfection est parfois un vice majeur qui peut nuire au but que l’on poursuit.
En effet, trop de protection sociale tue l’emploi, trop d’impôts tue l’emploi, une législation trop protectrice du travail tue l’emploi.
Je tiens, partant, à rappeler au gouvernement que la dynamique de notre marché du travail et les avantages attendus d’une politique de protection des salariés ne valent que pour autant que les entreprises aient les moyens de financer l’emploi.