Comment positionner le pays pour attirer des talents? François Mousel revient sur les idées échangées sur le sujet lors de la Journée de l'économie. (Photo: Marion Dessard)

Comment positionner le pays pour attirer des talents? François Mousel revient sur les idées échangées sur le sujet lors de la Journée de l'économie. (Photo: Marion Dessard)

Le Luxembourg fait face à de nombreux défis à long terme, dont la compétitivité de son secteur financier depuis l’avènement des fintech et au vu des changements réglementaires ou fiscaux ainsi que la compétitivité de l’économie non financière (industrie et services) à l’aube des évolutions digitales de plus en plus rapides. De plus, se pose de manière générale la question de la diversification de son économie au-delà du secteur financier, qui représente toujours un poids économique important. Dans ce contexte, le pays doit nécessairement s’assurer qu’il dispose du meilleur vivier de talents pour affronter ces défis. Le sujet de cette Journée de l’économie s’est ainsi imposé comme une évidence.

Il faut par ailleurs relever une confusion souvent effectuée: la notion de «talents» ne vise pas uniquement les personnes ayant une formation universitaire, mais toutes les personnes bénéficiant des compétences spécifiques requises dans un domaine bien particulier. Le professeur Paul Evans (Insead) a d’ailleurs fortement insisté sur la valeur excessive qui est portée à la formation universitaire classique entre 18 et 25 ans, poussant un trop grand nombre de jeunes à des formations généralistes théoriques qui ne correspondent pas forcément aux besoins de la vie professionnelle future, plaidant pour davantage encore de formation professionnelle.

Le capital humain, matière première du Luxembourg 

Carlo Thelen (Chambre de commerce) a ouvert son propos introductif en insistant sur le fait qu’une économie aussi ouverte que le Luxembourg nécessitait en permanence un vivier important de talents, relayé dans ce constat par la conclusion du vice-Premier ministre et ministre de l’Économie Étienne Schneider. Ces talents n’étant pas forcément présents sur le sol luxembourgeois. Il était d’ailleurs rassurant d’entendre à ce sujet à la fois le professeur Paul Evans et Jonathan Charloff (OCDE) indiquer que le Luxembourg réussissait bien à attirer des personnes qualifiées provenant de l’extérieur. Jonathan Chaloff a par contre clairement pointé du doigt les domaines sur lesquels le pays doit encore progresser, notamment: assouplir les conditions d’accès pour les travailleurs étrangers dans des domaines clés comme le digital, réviser la procédure d’accueil des salariés-dirigeants et assouplir les modalités en place pour les étudiants non ressortissants européens qui doivent pouvoir rester sur le territoire après leurs études dans l’objectif d’y trouver un emploi.

De plus, il est important que les employeurs du pays considèrent les ressortissants étrangers comme une cible active de recrutement (dans de nombreux pays, les entreprises les recrutent plutôt par accident) et de s’assurer que leur famille soit bien accueillie ou que leur conjoint soit aidé dans leur recherche d’emploi, augmentant de ce fait fortement la chance de les voir s’installer au Luxembourg. Le professeur Dr Rainer Klump, recteur de l’Université du Luxembourg, a quant à lui expliqué l’orientation résolument internationale de l’université qui attire désormais de nombreux étudiants notamment grâce à son caractère multilingue.

Cependant, le développement de talents ne commence pas à l’université, mais le plus tôt possible: à ce sujet, l’intervention de Stéphanie Damgé de Jonk Entrepreneuren (bénéficiaire d’un don de 16.000 euros l’année passée de la part des partenaires de la Journée de l’économie) a été tout à fait parlante, mettant en avant de plus en plus de programmes pratiques développés pour les élèves du primaire ou du secondaire.

Un des moments saillants du 25 février dernier fut celui organisé autour de workshops auxquels les participants ont pu prendre part. Trois ateliers ont ainsi permis un libre échange sur des sujets profondément liés à la thématique générale de la Journée de l’économie:

  • Le Luxembourg est-il prêt pour accueillir les talents? avec Michiel Roumieux (PwC Luxembourg) et Valérie Massin (ArcelorMittal);
  • Développer les initiatives pour accompagner les flux migratoires au Luxembourg, en compagnie de Michel Beine (Université du Luxembourg) et Bénédicte Burioni (PwC Luxembourg);
  • Former les talents digitaux à Luxembourg, modéré par Christian Scharff (PwC Luxembourg) et Nico Binsfeld (House of Training).

Ils ont été à l’origine de débats riches et intenses.

La guerre des talents à l’ère digitale

Arrêtons-nous un instant sur les talents digitaux. Certains chiffres marquants ont permis de comprendre l’intérêt vital de recruter ou former des talents dans ce domaine: 750.000 postes seront à pourvoir dans le digital en Europe d’ici 2020, 59% des entreprises au Luxembourg ont du mal à recruter des compétences dans le digital, voire 77% des entreprises considèrent qu’elles n’ont pas les bonnes compétences en interne pour aborder leur transformation digitale. Ces indications, révélées par Christian Scharff (PwC Luxembourg) lors du workshop qu’il a co-animé avec Nico Binsfeld (House of Training), ont permis d’illustrer la nécessité pour chaque entreprise de créer une stratégie de recrutement des talents pour l’ère digitale ainsi qu’une stratégie de sensibilisation des dirigeants d’entreprise aux opportunités qu’offrent les technologies digitales.

Une constat partagé plus tard dans la journée par Michel Beine (Université du Luxembourg) et Nico Binsfeld, (House of Training) qui insistèrent sur une meilleure coopération entre acteurs publics et privés dans la mise en place d’une offre de formations diplômantes efficaces et rapides pour pallier les besoins d’emplois dans le digital du pays.

Soulignons dans ce contexte l’école WebForce3 qui prépare des développeurs-intégrateurs web immédiatement opérationnels, grâce à une formation intensive de 490 heures en trois mois et demi et qui a ouvert le 30 novembre 2015, dans les locaux du Technoport d’Esch-sur-Alzette. Cette ouverture a pu se concrétiser grâce à un partenariat conclu entre l’Agence pour le développement de l’emploi (Adem) et la société NumericAll (représentée par son CEO, Yves Lepage) qui gère l’école WebForce3 à Luxembourg. NumericAll consolide une pédagogie qui a prouvé depuis deux ans son efficacité à développer des compétences opérationnelles, le savoir-faire de l’Adem pour identifier des candidats passionnés d’informatique et motivés par l’opportunité des métiers du code, et des liens forts avec les entreprises ayant besoin de ces compétences. C’est l’exemple type de la nouvelle génération de formations: flexibles, rapides, et résolument orientées «résultat», parfaitement adaptée pour l’insertion sur le marché du travail.

Rendre le Luxembourg visible

Comme mentionné plus tôt, le Luxembourg attire déjà les talents au-delà de ses frontières. Situé à la 3e position de l’Index global compétitivité et talents publié par l’Insead (Global Talent Competitiveness Index ou GTCI), le pays a fortement augmenté son attrait, surtout si l’on regarde six années en arrière, puisqu’en 2010 il ne se positionnait qu’à la 16e position. Cependant si cette 3e position est très bonne, Paul Evans a souligné dans son intervention qu’au regard de son PIB, sa compétitivité devrait être nettement plus élevée, un signe des «rentes réglementaires» du passé.

Quel est alors le principal défi auquel le Luxembourg devra faire face pour encore mieux attirer et retenir les talents dans le futur? De manière provocatrice Paul Evans lancera: «In the competition among large cities, you are not on the map», indiquant ainsi que la visibilité du Luxembourg reste très en retrait quand on compare avec d’autres villes internationales, comme Londres, Paris, mais aussi Copenhague, Dubai ou Singapour. Un enseignement essentiel que John Parkhouse, CEO de PwC Luxembourg, a clairement résumé en insistant sur le fait que si le pays a réussi depuis longtemps à accueillir les entreprises sur base d’un cadre réglementaire attractif, il est temps à présent de pouvoir dire qu’il fait bon travailler et vivre au Luxembourg.

Sasha Baillie (cheffe de cabinet adjointe du vice-Premier ministre et présidente du comité interministériel Nation Branding) a révélé dans son intervention les résultats du travail du gouvernement en termes de nation branding relevant ainsi le manque de visibilité du Luxembourg. Il s’agit en premier lieu d’identifier les valeurs de la marque Luxembourg. Un travail conclu depuis peu: trois marqueurs fondamentaux (ouverture, fiabilité et dynamisme) ont ainsi été identifiés. Selon Sasha Baillie, il est temps à présent de les traduire en actions concrètes qui permettront à chacun, acteur public, privé, individu ou entreprise, de porter les valeurs du Luxembourg au quotidien. Sasha Baillie a ainsi évoqué des exemples concrets à ce sujet, comme la formation des agents publics au contact des citoyens (résidents ou étrangers), un projet pilote en cours au ministère du Tourisme, mais aussi de salariés du secteur privé en rapport avec les voyageurs étrangers comme l’aéroport de Luxembourg. 

Paul Evans quant à lui insistera sur la stratégie de «spécialisation» du gouvernement en matière de développement du secteur non financier, à savoir la mise en place de clusters économiques qui permettront de mettre en relation les entreprises, la recherche et le développement pilotés par l’Université du Luxembourg et les centres de recherche (comme le List ou le LIH) et les talents du monde entier dans des domaines bien spécifiques et porteurs. Paul Evans appuiera encore son propos sur la formation des jeunes luxembourgeois à l’international, et surtout en Asie qui concentre actuellement toute l’attention en termes d’affaires. Des études scientifiques montrant clairement la corrélation entre exposition à l’étranger et capacité d’innovation et d’adaptabilité à des situations professionnelles complexes.

Des défis structurels à ne pas perdre de vue

Le panel de discussion final, animé par la journaliste Daniela Vincenti (EurActiv) a encore fait ressortir un certain nombre de défis structurels qu’il faudra surmonter:

  • Le clivage entre le secteur public (les Luxembourgeois étant largement prépondérants dans l’administration du pays) et le secteur privé (largement dominé par les salariés non luxembourgeois, résidents ou frontaliers) pouvant mener, selon Jonathan Chaloff, à une «Dubaisation» du Luxembourg;
  • L’efficacité du système d’éducation (notamment primaire et secondaire), c’est-à-dire la relation entre son coût et sa capacité à s’adapter à la nouvelle donne en matière de formation;
  • Le développement lent en matière d’infrastructures, notamment à rayonnement international (où la Philharmonie ou la Rockhal seront quand même citées comme exemples positifs).

Autres défis supplémentaires: l’implosion possible de l’espace «Schengen» en Europe suite à la crise migratoire (soulignée par Carlo Thelen, et qui aurait un effet dévastateur pour le Luxembourg), mais aussi l’acceptation, par la population luxembourgeoise, d’une immigration de plus en plus nombreuse et de plus en plus internationale. Comme le référendum de 2015 l’a clairement montré, les efforts en matière d’intégration doivent devenir une priorité du gouvernement afin d’éviter des tensions importantes. Défis dont le gouvernement actuel est clairement conscient, comme l’a montré le discours final d’Étienne Schneider, et dans lequel de nombreuses pistes d’action ont été évoquées.

Si, bien évidemment, des réponses définitives n’ont pas pu être trouvées, la Journée de l’économie 2016 aura permis de remplir à nouveau son rôle de catalyseur/stimulateur d’idées et d’échanges. Le rendez-vous est ainsi pris pour la prochaine édition en 2017!