Jacques Santer, ministre d’État honoraire, a été deux fois député européen et une fois président de la Commission européenne. (photo: Jessica Theis / archives)

Jacques Santer, ministre d’État honoraire, a été deux fois député européen et une fois président de la Commission européenne. (photo: Jessica Theis / archives)

Au Luxembourg, l’histoire nationale et européenne se confondent souvent. Et les destins des uns et des autres s’entrecroisent. Jacques Santer aurait pu connaître une longévité historique à la tête de l’exécutif luxembourgeois: président du parti chrétien social entre 1974 et 1982, il est désigné Premier ministre en 1984, succédant à Pierre Werner, lequel avait occupé la fonction pendant 20 années (entre 1959 et 1974, puis entre 1979 et 1984).

Le parti chrétien social remporte ensuite les élections de juin 1989 puis celles de juin 1994, avec, à chaque fois, le parti socialiste comme partenaire de coalition. Mais lorsque le 13 juillet 1994, le gouvernement Santer-Poos, troisième du nom, est assermenté, le destin européen du Premier ministre est déjà scellé et ses heures à l’Hôtel de Bourgogne comptées.

Car quelques jours plus tôt, le chancelier allemand de l’époque, Helmuth Kohl, avait fait comprendre à Jacques Santer que les 11 autres États membres de l’Union européenne étaient unanimes pour le désigner comme successeur de Jacques Delors en tant que nouveau président de la Commission européenne.

Un «second choix»?

M. Santer, qui avait déjà goûté à des fonctions européennes (pendant que le CSV siégeait dans l’opposition au Grand-Duché, il fut eurodéputé à Strasbourg de 1974 à 1979, et même vice-président entre 1975 et 1977) venait alors d’échouer dans une mission de médiation qui était censée désigner ce futur président de la Commission. Trois candidats s’étaient déclarés: les Premiers ministres belge (Jean-Luc Dehaene) et néerlandais (Ruud Lubbers), tous deux démocrates-chrétiens, et le conservateur britannique, Sir Leon Brittan alors commissaire à la Concurrence. Mais il n’avait pas été possible, au début de l’été, de trouver un consensus sur l’un d’eux.

C’est le 7 juillet que M. Kohl annonce à Jacques Santer, qui est en train de mettre la dernière main à l’accord de coalition nationale avec les socialistes, que les portes de la Commission lui sont grandes ouvertes et qu’il lui était difficile de refuser cette proposition.

Aussi, lorsque le Grand-Duc Jean procède à son assermentation le 13 juillet, il sait déjà que ce n’est que provisoire. Deux jours plus tard, le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, réuni à Bruxelles, désigne officiellement le Premier ministre luxembourgeois à la présidence de la Commission, son mandat devant commencer en février 1995.

La semaine suivante, d’une courte tête (260 voix pour, 238 contre et 29 abstentions), il obtient le feu vert du Parlement européen. C’est déjà le signe d’une certaine méfiance, alors que d’aucuns estiment que la nomination de M. Santer constitue un «second choix».

Démission collective

Si la Commission Santer joue un rôle important dans de nombreux dossiers (préparation du passage à la monnaie unique; financement de l’Europe; politique sociale; préparation de l’élargissement de l’UE…), elle retient surtout les mémoires par la grave crise qui l’a frappée, notamment en relation avec les méthodes de gestion financière et administrative de l’institution et de ses services.

Le Parlement européen refuse même, fin 1998, de donner quitus à la Commission pour l’exercice budgétaire 1996. Dans la foulée, deux de ses commissaires sont pris dans la tourmente: la Française Édith Cresson, pour des actes de favoritisme, et l’Espagnol Manuel Marin, pour des fraudes avérées dans l’aide humanitaire.

Une situation intenable qui pousse Jacques Santer à présenter la démission collective de «sa» commission le 15 mars 1999, neuf mois avant la fin de son mandat, évitant une plus que probable motion de censure votée par le Parlement européen.

Jacques Santer annonce la démission de la Commission (Image: INA)
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L’un des derniers actes de la Commission Santer est la création, en juin 1999, d’un Office européen de lutte anti-fraude (Olaf), afin de lutter contre toute fraude portant atteinte à la bonne gestion financière du budget.

De Bruxelles à Strasbourg

Cette sortie de route spectaculaire de l’ancien Premier ministre ne plombe en rien sa carrière. Pendant que Jean-Claude Juncker prend ses aises dans un costume de Premier ministre qu’il ne lâchera, contraint et forcé, qu’en 2013, Jacques Santer se présente aux élections européennes de juin 1999 et est élu! Il y siègera à Strasbourg jusqu’en 2004.

Entre février 2002 et juin 2003, il est l’un des 105 membres de la Convention sur l’avenir de l’Europe qui se chargent de rédiger le Traité établissant une Constitution pour l’Europe.

Aujourd’hui âgé de 77 ans, Jacques Santer est encore présent dans le paysage politique luxembourgeois, même s’il n’y a plus aucune fonction. Il préside néanmoins le conseil d’administration de la Fondation Mudam, ainsi que de CLT-Ufa. Il est également à la tête du comité des sages de l’asbl Don en confiance, créée en 2011.