Serge Allegrezza, directeur du Statec. (Photo: Maison moderne / archives)

Serge Allegrezza, directeur du Statec. (Photo: Maison moderne / archives)

Qualitative, sélective, soutenable, intelligente… Le public non averti s’y perd, il flaire l’enfumage. Pourtant, tous ces concepts ont un sens précis, ils peuvent se traduire statistiquement, ils représentent des leviers de politique économique. Ils éclairent la création de richesses dans un pays de plusieurs angles, ils supposent un rôle de l’État plus ou moins actif et des choix collectifs assumés.

Il est assez surprenant que les médias et l’opinion publique fassent preuve d’une mémoire évanescente: oubliées les affres de la Grande Récession mondiale, qui avait fait vaciller le monde de la finance mondiale et semé la frayeur dans ce pays de doux sybarites. Au Luxembourg, nous avons connu un recul drastique du PIB en 2008, 2009 et 2012 de plusieurs points de pourcentage. Le chômage s’était envolé, la dette publique avait bondi. Aujourd’hui que les affaires ont bien repris, que le chômage recule, que l’optimisme s’installe et que l’État redistribue généreusement la manne publique, le citoyen semble se plaindre… d’un excès d’embouteillages!

Que veut dire une croissance qualitative? C’est se placer du point de vue des ménages et des personnes et se demander à qui profite le supplément de production de richesses. Si les ménages en bas de l’échelle ne voient pas leur pouvoir d’achat progresser significativement ou trouver l’emploi qui sied à leurs aspirations, qui sont soumis au stress de la concurrence ou du rendement, ou plombés par des problèmes de santé rédhibitoires.

Le projet PIBienêtre élaboré par le Statec sur base d’un avis commun du CES et du CSDD et qui contient 63 indicateurs qui représentent la qualité de vie désirable. C’est un instrument précieux pour toiser la croissance économique: il pondère la qualité du développement économique. La croissance qualitative est donc une ambition des plus sérieuses qui devrait servir de grille à la politique économique sociale et écologique.

Retour au Moyen Âge?

Ce n’est pas une boutade. En effet, selon les données récoltées par Angus Maddison, au cours du Moyen Âge, la croissance était nulle ou très faible (de l’ordre de 0,3%). Les mentalités, imprégnées de religion, considéraient que tout calcul visant à dépasser l’état de subsistance était un péché d’hybris, l’innovation était proscrite, la science une dangereuse hérésie, le prêt à intérêt interdit. L’économie médiévale était donc condamnée à la stagnation, à l’immobilisme et à la pauvreté.

L’idée de croissance comme développement de la science, de la technologie et de l’esprit d’innovation est relativement récente, elle date de la révolution industrielle du 18e siècle. S’il a fallu après encore quelques générations combatives pour endiguer les excès d’un capitalisme sauvage, il est indéniable que la croissance économique a finalement élevé le niveau de vie de larges pans de la population un peu partout dans le monde. L’utopie de la décroissance ou du retour frugal à la terre nourricière est respectable. Mais pour des cénobites, des militants, pas pour l’écrasante masse des citoyens.