La Villa Kutter a retrouvé ses volumes d’origine. (Photo: Eric Chenal)

La Villa Kutter a retrouvé ses volumes d’origine. (Photo: Eric Chenal)

Cette maison privée était celle du peintre Joseph Kutter. Elle a fait ces dernières années l’objet d’un travail de restauration tout à fait exemplaire, sous la coordination de l’architecte Diane Heirend, pour à la fois retrouver l’esprit originel de la maison et correspondre aux besoins des propriétaires actuels.

La maison du peintre Joseph Kutter se situe au Limpertsberg. Elle a été construite en 1927 dans un style d’architecture moderne tout à fait nouveau et avant-gardiste pour l’époque. Mais au fil des années, elle a connu de nombreuses variations, ajouts et transformations. Ses derniers propriétaires, des amis de la famille, ont demandé au bureau Diane Heirend architecture & urbanisme d’intervenir sur sa transformation et surtout sur un travail de retour à l’architecture d’origine.

«La demeure de Kutter détonnait au Limpertsberg au début des années 1930. Les familles venaient le week-end pour observer cette étrange maison du peintre», introduit Diane Heirend, architecte et fondatrice du bureau Diane Heirend architecture & urbanisme. Avant de s’atteler à la restauration de cette maison historique, inscrite à l’inventaire supplémentaire au niveau national et protégée au niveau communal, Diane Heirend et son équipe ont réalisé de nombreuses recherches. Ils ont réussi, avec l’aide précieuse de la Ville de Luxembourg et de l’Institut national pour le patrimoine architectural (INPA), à rassembler de nombreux plans témoignant de l’évolution de la maison et de ses transformations.

Au fur et à mesure des travaux, ils ont aussi réalisé plusieurs sondages avec l’aide du restaurateur Thomas Lutgen pour comprendre dans le détail, autant que possible, la transformation de cette grande villa. Même si certains éléments manquent dans le déroulé complet de ces transformations, l’équipe a réussi à rassembler de nombreux éléments lui permettant d’intervenir en connaissance de cause et dans le respect du dessin originel.

Une construction à rebondissements

En 1927, Joseph Kutter et Rosalie Sedlmayr, alors un jeune couple, achètent un terrain à bâtir au Limpertsberg et demandent à l’architecte allemand Fritz Breuhaus de leur dessiner une maison avec un atelier d’artiste. Il leur soumet le projet intitulé «La cour du peintre», proche de l’architecture méditerranéenne, avec une cour centrale abritée par deux ailes. «Rosalie Sedlmayr, l’épouse de Joseph Kutter, est issue d’une riche famille bavaroise, ce qui donne au couple des moyens financiers leur permettant d’envisager une grande demeure», explique Diane Heirend. «Le plan de Fritz Breuhaus a été autorisé, mais le projet a finalement été abandonné pour des raisons qui nous sont à ce jour inconnues.»

La même année, Joseph Kutter demande à un autre architecte, le Luxembourgeois Hubert Schumacher, de lui dessiner un nouveau projet. «Ce projet n’a rien à voir avec le précédent. Il s’agit d’une toute petite maison compacte, au fond de la parcelle, mais avec un langage architectural moderne. Ce projet est autorisé, mais il n’est pas construit, lui non plus. Par contre, Hubert Schumacher dessine un second projet, plus grand, qui cette fois-ci est construit», poursuit Diane Heirend. Il s’agit là d’une des premières, si ce n’est la première maison d’une architecture moderne au Grand-Duché. Les volumes s’imbriquent les uns dans les autres d’une manière exemplaire, témoignant d’une grande maturité architecturale du jeune architecte Schumacher, qui occupera d’ailleurs par la suite le poste important d’architecte en chef des Bâtiments publics.

Mais dès 1937, l’architecte Tony Biwer est contacté par la famille pour intervenir à nouveau sur la maison. «Les Kutter lui demandent de coiffer la maison d’une toiture à pente, explique Diane Heirend. On peut supposer que les étanchéités des toitures-terrasses en 1928 n’étaient pas ce que l’on peut connaître aujourd’hui, d’où ce changement de toiture. Nous avons d’ailleurs retrouvé de nombreuses traces d’infiltration d’eau. Mais Biwer, en ajoutant ces toitures en pente, gomme complètement le langage architectural de Schumacher.»

En 1941, Joseph Kutter décède prématurément. En 1942, la veuve contacte un nouvel architecte, Arthur Thill, qui, alors qu’on est en pleine guerre, réussit quand même à ramener le bois de charpente nécessaire à la construction de cette toiture. Mais, plus que de couvrir les toitures plates, il s’agit aussi certainement pour Rosalie Sedlmayr de retrouver un langage architectural qui lui est proche, celui de l’architecture traditionnelle bavaroise, avec un jeu de poutres travaillées. Des fenêtres à arcades viennent aussi remplacer les deux fentes verticales de la cage d’escalier.

De 1956 à 1981, les transformations se poursuivent, avec des interventions de Pierre Gilbert. Des cheminées sont ajoutées. En 1981, l’accès à l’atelier est modifié, un mur intérieur avec une cheminée ajoutée devant la verrière dans l’atelier du peintre et le plafond abaissé. «La crise pétrolière est passée par là, et on peut supposer que ces changements sont liés à des raisons économiques.»

La maison telle qu’elle était en 2017. (Photo: Google Maps)

La maison telle qu’elle était en 2017. (Photo: Google Maps)

Détricoter

En 2019, Diane Heirend reçoit la demande de la part des nouveaux propriétaires, qui sont des amis de la famille Kutter, de transformer la maison. L’objectif n’est pas d’en faire une œuvre muséale, mais un projet contemporain correspondant aux besoins de ses nouveaux propriétaires, à partir du projet initial dessiné par Hubert ­Schumacher. Commence alors un long travail de ­déshabillage de la maison. Sur la base des ­recherches et études menées, les éléments ajoutés sont enlevés progressivement jusqu’à retrouver le volume d’origine. Dès que c’est possible, les éléments d’origine sont remis au goût du jour et restaurés. C’est le cas par exemple des deux fentes verticales de la cage d’escalier, du carrelage qui recouvrait l’escalier ou encore de la verrière dans l’atelier et de son volet en bois.

«Nous avons aussi fait analyser en laboratoire un morceau de la façade d’origine pour connaître exactement la ­composition du revêtement et pouvoir retrouver l’exacte tonalité de sa couleur», dévoile Diane Heirend. La restauration de la verrière a été un autre défi également. Une mission relevée par Vitralux qui a su proposer un vitrage spécial ultra fin, permettant de répondre aux exigences actuelles d’isolation tout en respectant la finesse de la menuiserie métallique d’origine. «Nous avons aussi beaucoup travaillé avec SLCP sur les couvre-murs de la toiture-­terrasse pour qu’ils arrivent à fleur de façade et qu’ils ne dénaturent pas la géométrie et la pureté des volumes. L’ensemble de ce chantier témoigne d’un grand engagement et d’un exceptionnel savoir-faire de la part des différents corps de métiers et artisans qui sont intervenus», souligne Diane Heirend. Aujourd’hui, la villa a retrouvé sa silhouette d’origine. Les nouveaux propriétaires, tous deux artistes, y sont très attachés. L’histoire peut se poursuivre.

Fiche technique

Maître d’ouvrage: Privés

Architecte: Diane Heirend architecture & urbanisme

Ingénieur génie civil: HLG Ingénieurs-Conseils

Restaurateur: Thomas Lutgen

INPA: Michèle Majerus

Ville de Luxembourg: Shaaf Milani-Nia, Stéphanie Rodrigues

Désamiantage: C4 Dépollution

Gros œuvre: Viktor

Façade, couvre-murs, enduit isolant: SLCP

Menuiseries extérieures: Annen

Restauration de la verrière: Vitralux

Restauration du volet: MGM

Couverture, étanchéité: Nopson

Serrurerie: Betzen

Installation technique: A+P Kieffer Omnitec

Installation électrique: Watry

Carrelage: L’art du bain

Plâtrerie: Herzog

Menuiserie intérieure: Wunnhoelzer

Parachèvement sec: Buro Design

Peinture: Feltus

Cheminées: De Kameinbauer

Travaux de pierres naturelles et béton extérieur: Marbrerie Bertrand

Restauration vitrail de porte: Vitraux d’art Bauer & Rathmann

Études et recherches historiques: octobre 2019-octobre 2021

Travaux: octobre 2021-avril 2023

Localisation: 94, avenue Pasteur à Luxembourg

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