Les salons intérieurs ont traversé le temps sans être dénaturés. (Photo: Matic Zorman/Archives Maison Moderne)

Les salons intérieurs ont traversé le temps sans être dénaturés. (Photo: Matic Zorman/Archives Maison Moderne)

La Compagnie Financière La Luxembourgeoise a acheté l’historique Villa Baldauff et a confié au bureau Jim Clemes Associates la rénovation de ce bien classé au patrimoine national pour le transformer en hôtel.

Depuis quelques mois, les passants attentifs ont pu remarquer un peu d’activité à l’intérieur de la Villa Baldauff. La maison de maître était pourtant laissée vide depuis plusieurs années, sans affectation particulière. Mais cette villa emblématique de la fin du 19e siècle connaîtra bientôt une nouvelle jeunesse et se transformera en hôtel. Le public pourra alors découvrir ce patrimoine qui a traversé plus d’un siècle tout en conservant sa substance première, y compris les décors intérieurs. Archiduc a pu exceptionnellement entrer dans cette propriété et s’entretenir avec le maître d’ouvrage et l’architecte en charge du projet.

Une villa qui appartient au patrimoine

La Villa Baldauff, initialement dénommée Villa Kerckhoff d’après le nom de ses propriétaires, est située en plein centre-ville de Luxembourg, avenue Marie-Thérèse, à proximité du pont Adolphe. Construite en 1880 par l’architecte Pierre Kemp pour l’industriel Eugène Kerckhoff, elle est située sur le flanc gauche de la contre-garde Jost, entre le Parc de Monterey et la Pétrusse.

«L’édifice fait partie de cet ensemble de villas qui ont été construites après le démantèlement de la forteresse autour du parc municipal», explique Lynn Ansay, architecte d’intérieur et associée du bureau Jim Clemes Associates. Son jardin a été dessiné par le paysagiste français Édouard André, qui est également l’auteur des parcs municipaux voisins. Ces villas constituaient alors un lien harmonieux entre la ville densément peuplée à l’intérieur de la forteresse et les terrains entourant la ville en voie d’urbanisation. Elles ont été construites dans l’objectif d’attirer dans la capitale les riches investisseurs et ainsi de constituer un contrepoids à l’attractivité industrielle de la région de la «Minette» dans le sud du pays.

Actuellement, la villa est protégée à la fois par son classement dans le PAG de la Ville de Luxembourg dans le «secteur protégé du parc» et par le ministère de la Culture comme monument national.

Une histoire de familles

La famille Kerckhoff a habité la villa dès sa construction. Après la Deuxième Guerre mondiale, la villa est passée entre les mains de la famille Baldauff, dont les descendants ont conservé la maison jusqu’en 2010, date à laquelle la banque privée Edmond de Rothschild l’a acquise. Désormais, la villa est propriété de la Compagnie Financière La Luxembourgeoise.

«Nous savions que le propriétaire précédent n’avait plus d’affectation pour la villa et qu’il y avait moyen de l’acheter, alors qu’elle n’était pas mise en vente. Parce que nous connaissons bien notre marché et que nous disposons des contacts qu’il faut pour nous intéresser aux objets susceptibles de compléter notre portefeuille», raconte , administrateur délégué de la Compagnie Financière La Luxembourgeoise, la maison mère de Lalux. «Par ailleurs, en achetant cette villa, nous voulions regagner la ville que nous avons quittée en 2011 pour Leudelange en cédant notre siège historique du boulevard Royal. C’était une façon symbolique de revenir en ville. Enfin, la restauration de la villa est aussi une façon pour nous de rendre ce patrimoine à la ville et à la société luxembourgeoise.»

Un bien d’exception

La propriété se compose de la maison principale, d’une annexe et d’un jardin paysager. À l’intérieur, une grande partie du décor d’origine est encore en place, reflétant les fantaisies de ses propriétaires.

La villa dispose au rez-de-chaussée de plusieurs pièces en enfilade, accessibles depuis une entrée de représentation, avec marbre et colonnes: la salle à manger de style Renaissance avec sa cheminée majestueuse, un fumoir néogothique avec une cheminée ornée de figures fantastiques, un salon d’inspiration Louis XIV avec un plafond peint aux motifs de puttos dansant dans le ciel, et un bureau aux tons carmin. Une seconde entrée, en vis-à-vis de l’annexe, se trouve sur le côté, derrière l’escalier qui dessert aussi bien le sous-sol où se trouve la cuisine que les étages supérieurs.

«Aucun style ne correspond directement à l’époque de réalisation», confirme Lynn Ansay. «C’est un mélange de différents styles et inspirations, certainement rapportés des voyages des propriétaires et reflétant leurs goûts et leur fantaisie». Tous les décors, réalisés avec soin, témoignent d’un certain faste: peintures murales, nombreuses moulures, plafonds peints et à caissons, serrurerie ornementale…

Par ailleurs, il est très intéressant de noter la superposition des étages et de leur traitement. «La maison a parfaitement conservé les trois couches d’habitat», souligne Lynn Ansay. Si le rez-de-chaussée est l’étage de réception, le premier étage est aménagé de manière plus modeste, mais confortable, pour les cinq chambres des membres de la famille et leur salle de bains. On n’y trouve pas de peintures murales, mais du papier peint de qualité. Le deuxième étage était réservé au personnel. Là, pas de décors, ni même de chauffage central. Des poêles en céramique témoignent encore de cette différence.

Au sous-sol, se trouvent la cuisine et des espaces de stockage. On accède également à un passage vers les Casemates.

En plus de la villa, il y a une annexe dont la restauration fait aussi partie du programme. «Sa substance bâtie est beaucoup plus modeste, puisqu’il s’agit principalement d’un espace de stockage. Cet espace présente toutefois une particularité amusante: de la grande porte de garage partent des rails qui se déploient jusque dans la cour. Monsieur Hubert Baldauff était un féru de locomotives. Il en possédait une qu’il sortait une fois par mois et ouvrait à cette occasion les grilles de la cour pour que les passants puissent l’admirer», éclaire Lynn Ansay.

Une restauration minutieuse

Les architectes et architectes d’intérieur de Jim Clemes Associates ont été sollicités pour superviser la renaissance de la villa. «Dès le début, le maître d’ouvrage avait comme idée de restaurer la villa et de la transformer en hôtel pour la rendre à nouveau accessible au public», précise Lynn Ansay. «Nous avons donc tout d’abord réalisé une étude de faisabilité pour confirmer le choix du futur programme. Puis nous avons lancé les sondages en vue de la restauration qui vise à conserver au maximum l’existant et l’âme de la maison. Avant toute intervention, nous devons prendre connaissance des lieux en profondeur et parfaitement comprendre la substance bâtie qui est entre nos mains.»

Les sondages réalisés permettent d’identifier les différentes couches des décors dans les pièces, certaines ayant d’ailleurs servies pour le film «D’Belle Epoque» d’Andy Bausch et ayant été transformées de manière significative. C’est pour cela que des études poussées avec une équipe de restaurateurs sont réalisées et que des recherches sont entreprises par une historienne de l’art afin de comprendre l’histoire de cette propriété.

Des sondages ont été effectués par des restaurateurs en différents endroits de la maison pour retrouver les décors d'origine. (Photo: Jan Hanrion / Patricia Pitsch- archives Maison Moderne)

Des sondages ont été effectués par des restaurateurs en différents endroits de la maison pour retrouver les décors d'origine. (Photo: Jan Hanrion / Patricia Pitsch- archives Maison Moderne)

Le bien étant classé, le Service des sites et monuments nationaux mais aussi la Ville de Luxembourg sont fortement impliqués dans le suivi de restauration. «Nous avons déjà eu l’occasion de travailler sur des éléments de patrimoine comme lors de la restauration du bâtiment de l’Arbed pour le compte de la BCEE avenue de la Liberté. Mais ce projet est différent, car la maison n’a pas été occupée depuis longtemps et le programme de restauration demande une sensibilité accrue», souligne Lynn Ansay.

En plus de l’intérieur, les extérieurs doivent aussi être restaurés. «Il faut en effet rénover par exemple la véranda, la balustrade, la marquise, reprendre des éléments en façade, et remettre à niveau les plantations du parc», détaille l’architecte. Pour tout cela, différents savoir-faire sont nécessaires et une équipe très complète de restaurateurs est à pied d’œuvre: menuisiers, ferronniers d’art, serruriers, restaurateurs de décors muraux et de plafonds, tailleurs de pierre, etc. Ceci vaut pour les intérieurs et également pour les extérieurs. Un des défis du projet consiste en l’intégration harmonieuse des techniques pour un confort optimal sans intervenir sur la substance bâtie existante, et ce dans le respect de la valeur patrimoniale de la villa.

Un projet d’hôtel

Dès le début, le nouveau maître d’œuvre avait la volonté de rendre ce patrimoine à nouveau accessible au public. «Devenir propriétaire de cette villa sur le plan économique n’est pas une très bonne affaire», assure Pit Hentgen. «Trouver une solution quant à l’avenir de cette villa aurait certainement pris quelques années, mais nous y avons vu une opportunité.» Il faut savoir que la Compagnie Financière La Luxembourgeoise possède également les murs de l’hôtel Le Place d’Armes, situé seulement à quelques centaines de mètres.

«Cette acquisition vient compléter notre portefeuille, et notre raisonnement est de pouvoir augmenter les capacités de cet hôtel en ayant un deuxième site à proximité. De plus, la restauration de la villa est un projet d’envergure qui demande des investissements importants, il faut donc aussi avoir un raisonnement économique à ce sujet. D’où l’idée d’en faire un hôtel.»

En plus de la valeur économique que cette acquisition représente, il y a indéniablement une valeur symbolique qui s’y ajoute. «Nous n’allons pas atteindre la rentabilité que nous visons habituellement pour les investissements immobiliers, mais nous nous comportons aussi en entreprise citoyenne.» Cette démarche d’entreprise citoyenne avait déjà été mise en œuvre, par exemple avec la fondation La Luxembourgeoise et la construction des logements étudiants à Belval.

«Nous avons des valeurs, une culture, qui n’est pas purement capitalistique, mais qui inclut une fonction d’utilité plus large, avec d’autres objectifs. Lorsque nous prenons une participation ou faisons un investissement financier, il y a peu d’émotion. Pour nos actionnaires, ces transactions sont relativement abstraites. Avec ce projet, la possibilité d’identification est plus forte. Cela a une valeur symbolique. Aussi parce que nous démontrons que nous sommes capables de réaliser ce genre d’opération. S’il est facile d’acheter une belle villa quand on y met le prix, c’est un autre challenge que de restaurer un patrimoine comme celui-là. Pour redonner de la vie à cette villa et à ce site, il faut quand même une certaine démarche, une volonté et une vision claire. C’est aussi un peu cela que nous voulons démontrer.»

Quant au prix de l’investissement, Pit Hentgen préfère rester discret, mais confie qu’il s’agit d’«un multiple du prix d’acquisition».

À terme, l’hôtel restera un lieu intime, reflétant l’histoire de la villa, de ses propriétaires. Tout le confort moderne y sera introduit, mais dans le respect de la substance historique. Un restaurant complètera l’offre et permettra au plus grand nombre de profiter à nouveau de ce lieu d’exception.

Fiche technique

Maître d’ouvrage: la Compagnie Financière La Luxembourgeoise

Architecte: Jim Clemes Associates

Ingénieur génie civil: auCARRÉ

Ingénieur génie technique: Jean Schmit Engineering

Début des travaux: second semestre 2019

Livraison prévisionnelle: 2022