Le Château du Pont d’Oye, à Habay-la-Neuve, est un domaine bien connu d’une certaine génération de Luxembourgeois puisqu’on y a célébré pendant de nombreuses années des mariages et autres fêtes familiales. Jusqu’en 2019, cette demeure du XVIIe siècle, situé à environ une demi-heure de voiture de Luxembourg, était la propriété de la famille Nothomb (dont l’écrivaine Amélie Nothomb fait partie). Mais, croulant sous les dettes et désemparée devant l’état de délabrement du château, la famille a préféré se séparer de ce bien entré dans la famille en 1932 par Pierre Nothomb (décédé en 1966) et qui était resté entre leurs mains jusque-là.
«Quand je l’ai visité la première fois, le château pleurait, littéralement», se remémore le propriétaire actuel du domaine. En effet, l’humidité ruisselait à l’intérieur et des arbres poussaient même dans la toiture éventrée. Aujourd’hui, après une campagne de travaux intense et un investissement conséquent (plus de cinq millions d’euros, qui viennent s’ajouter aux deux millions pour l’acquisition de la propriété), le château a pu être remis en état. Réaménagé, il accueille désormais à la fois des réceptions dans les salons en enfilade avec cheminée du rez-de-chaussée et les annexes (écuries, grange), et des visiteurs qui souhaitent séjourner dans une des chambres dans les étages. «Actuellement, nous avons 12 chambres disponibles, sobres et contemporaines», précise Diane Matgen, architecte d’intérieur qui a mené avec passion et un engagement sans pareil ce chantier de restauration. «À cela s’ajoute aussi un gite de six chambres et leur salle de bain, entièrement équipé.»
Rendre ce qu’on a reçu
Vincent Gouverneur est associé gérant chez Deloitte Luxembourg. Natif de Neufchâteau, il connait bien le château du Pont d’Oye et la magnifique forêt d’Anlier qui l’entoure. «Je cherchais à acquérir une propriété forestière pour ma famille dans les Ardennes. Un jour, on m’a dit que le château était à vendre. Cela ne correspondait pas du tout à mes recherches, mais je l’ai quand même visité. Malheureusement, il était dans un état de délabrement avancé. La façade extérieure était très abimée, les murs ruisselaient d’humidité à l’intérieur… C’était vraiment très triste.»
Touché par l’état du château, il se sent le devoir de devoir réorienter son projet et de sauver ce patrimoine local. «La région m’a beaucoup donnée et j’ai la chance d’avoir une belle carrière. Redonner vie à ce château, c’est une façon de rendre tout ce que j’ai reçu. Toutefois, cet achat était à l’exact opposé d’une démarche financière rentable!», avoue cet homme discret. Il y projette un business plan, avec l’idée d’en faire un lieu pour les mariages, les séminaires, des team buildings, tout en capitalisant sur un nom déjà identifié et cher aux gens de la région.
Mais encore fallait-il que la famille Nothomb accepte de vendre. «La famille était un peu prise au piège. Ils souhaitaient que la propriété reste dans la famille, mais personne n’avait les moyens de l’entretenir. Un jour, j’ai été invité chez Jean-Frédéric Nothomb, alors propriétaire du château. Son épouse, Sandrine, m’a posé plein de questions: ma date de naissance, là où je suis né… Un peu plus tard dans la soirée, elle me dévoile qu’elle a réalisé ma carte astrologique. Je lui dis que je ne crois pas du tout en cela, mais elle m’annonce que j’ai exactement la même carte que son époux que nous avons dû être frères dans une autre vie. Et ainsi, que s’ils me vendaient le château, il resterait dans la famille. Je pouvais en devenir le nouveau propriétaire. La vente était acceptée!»
Des années de travaux
Une fois cette étape franchie, il faut remettre en état la propriété. «Le château était géré par une S.A.. Or, celle-ci était sur la liste noire des banques. Impossible de demander un prêt. J’ai demandé des aides publiques. Refusées. Je devais tout gérer avec mon propre argent…»
Face à cette déconvenue, Vincent Gouverneur revend une propriété qui lui appartenait. «Pendant longtemps, j’ai gardé ce projet secret. Je ne savais pas trop où je mettais les pieds.»
Puis, les travaux ont pu commencer. Il demande l’expertise et l’aide de son amie Diane Matgen, architecte d’intérieur. Elle accepte la mission et s’installera même dans le château avec son mari pendant quatre ans pour «s’approprier la maison, l’apprivoiser, la comprendre, afin de rester au plus près de son âme», explique cette femme incroyablement investie et dévouée au projet qui connait désormais tout de cette propriété. «Le château n’est pas classé. Cela a été à la fois un désavantage, car nous n’avons pas pu toucher d’aides, mais un atout également pour intervenir un peu plus librement dans la rénovation. Mais ce n’est pas pour autant qu’il fallait faire n’importe quoi!», assure Diane Matgen.
«J’ai tenu à faire travailler des sociétés de la région. Ce caractère local me tient beaucoup à cœur», précise Vincent Gouverneur. C’est ainsi que Peinture Robin est intervenu pour la couleur de façade ou que le compagnon du devoir Guillaume Guérain a réalisé un travail remarquable sur la charpente. Les fenêtres viennent aussi de la région grâce à l’atelier de production de Coljon à Steinfort. «Nous avons dû faire face à quelques déconvenues, comme la présence de mérule ou un système de canalisation à reprendre entièrement depuis le début», détaille Vincent Gouverneur.
Une nouvelle exploitation
Aujourd’hui, grâce à un travail juste et sensible, le château est redevenu sain et profite d’un équipement moderne et confortable. Le château peut recevoir aussi bien des fêtes privées que des événements corporate. Si le château n’est pas équipé de cuisine professionnelle, il est toutefois possible de faire appel à des traiteurs. Vincent Gouverneur et son équipe, actuellement composée de 10 personnes, ont sélectionné quatre traiteurs pour intervenir lors des réceptions: Julien Cliquet, Steffen, Paulus, La Carte Traiteur. Mais les clients sont aussi libres de travailler avec qui ils souhaitent.
«Nous disposons de plusieurs tailles d’espaces de réception, de plus de 10 hectares de terrain et de chambres pour loger les invités. Les possibilités de réception sont grandes! Nous organisons également des soirées jazz ou des rencontres théâtrales pour animer le château et le laisser accessible au plus grand nombre», détaille Diane Matgen.
«Toutefois, pour être rentables, nous devons augmenter notre capacité hôtelière. C’est pourquoi j’ai confié au jeune architecte Benjamin Bosi la mission de concevoir des logements insolites dans le parc où vivent aussi des castors, cols verts et hérons… Nous prévoyons actuellement six logements supplémentaires dont un logement sur pilotis, et tous situés dans le cadre boisé exceptionnel qui entoure château et près du lac et de l’étang. C’est un endroit extraordinaire pour profiter des beautés de la nature.» Un projet qui devrait voir le jour d’ici trois à cinq ans. Mais avant cela, le château va être équipé d’un espace de sport et de wellness.
, 1 rue du Pont d’Oye, B-6720 Habay-la-Neuve
Bon à savoir: l’histoire du château
Le château a une longue histoire qui peut se résumer en quatre chapitres. Au Moyen-Âge, la région était connue pour ses bois, ses cours d’eau. Une foire aux draps très réputée s’y tenait annuellement, mais c’était aussi un rassemblement de bandits de grand chemin.
Aussi, au XVIIe siècle, il a été décidé de tirer parti des ressources naturelles et de développer une petite industrie métallurgique soutenue par la présence en abondance du bois, de l’eau et de minerai d’alluvion. On y fabriquait entre autres des taques de cheminée, dont nous avons encore des exemplaires au château.
Le domaine et l’activité sont devenus très prospères notamment grâce à la veuve de Pierre du Moustier (dernier maitre des forges), Jeanne Petit, qui avait un grand sens du commerce. Le domaine devient alors une seigneurie, un château y est construit ainsi qu’un moulin. Leur petite-fille poursuivra les affaires, se marie à Jacques Raggi, et le site devient un marquisat.
Au XVIIIe siècle, le domaine devient propriété de Charles-Christophe du Bost-Moulin qui épouse Louise-Thérèse de Lambertye, qui deviendra la Marquise du Pont-d’Oye, figure légendaire et sujet de nombreux ouvrages littéraires. Mais les frasques de la marquise et les difficultés financières du domaine mènent le couple à la ruine.
Le domaine est en partie vendu et à la Révolution française, le site est pillé et grandement détruit.
Le château sera reconstruit au XIXe siècle par le baron Vauthier de Baillamont, puis repris par la Société des Hauts-Fourneaux du Luxembourg en 1837. Il revient ensuite à Constant d’Hoffschmidt qui y installe une papeterie.
En 1932, le château est racheté par Pierre Nothomb, écrivain et homme politique belge (et arrière-grand-père d’Amélie Nothomb) qui en fait une demeure pour sa grande famille composée de 13 enfants, ainsi qu’un centre de rencontre pour les écrivains. Pierre Nothomb est d’ailleurs enterré sur le site, près de l’étang.