Les importations européennes de gaz en provenance des États-Unis et du Qatar restent bloquées à 40% de la demande globale en gaz de l’Union européenne. (Photo: Shutterstock)

Les importations européennes de gaz en provenance des États-Unis et du Qatar restent bloquées à 40% de la demande globale en gaz de l’Union européenne. (Photo: Shutterstock)

L’invasion russe de l’Ukraine ravive les interrogations sur la politique énergétique européenne. Une flambée du prix du gaz a des répercussions sur le prix de l’électricité et contribue ainsi largement à la fièvre inflationniste qui perdure en Europe. En l’absence de réelle alternative au gaz russe, tous les regards se tournent vers la Banque centrale européenne (BCE) dans l’espoir d’atténuer le choc énergétique.

Dans la matinée de jeudi, le cours du gaz a grimpé de 30% sur la bourse néerlandaise, considérée comme une référence en Europe pour cette ressource énergétique. Une hausse qui a fait suite aux premières heures de sur plusieurs fronts.

La hausse significative du cours du gaz fait renaître la crainte de l’éventualité d’une coupure du robinet énergétique par la Russie, en réponse émises par l’Union européenne à son encontre. Gilles Moëc, chef économiste chez AXA Group, explique à cet égard que «le gaz naturel est devenu crucial pour la dynamique du pouvoir d’achat». Illustrant ce fait, il rappelle que «l’effet direct de la hausse des prix du gaz a déjà amputé le revenu disponible réel de 0,5% sur un an en décembre 2021».

Le gaz naturel est devenu crucial pour la dynamique du pouvoir d’achat. L’effet direct de la hausse des prix du gaz a déjà amputé le revenu disponible réel de 0,5% sur un an en décembre 2021.
Gilles Moëc

Gilles Moëcchef économisteAXA Group

Pour sa part, Bruno Colmant, group head of private banking chez Degroof Petercam, interrogé par Paperjam, explique que les conséquences de l’invasion russe de l’Ukraine vont perdurer et accentuer les difficultés économiques actuelles: «On voit une augmentation du prix des matières premières, des produits alimentaires et du gaz. Ça montre bien que cette invasion va aggraver le courant inflationniste dans lequel on est maintenant depuis six mois.»

On voit une augmentation du prix des matières premières, des produits alimentaires et du gaz. Ça montre bien que cette invasion va aggraver le courant inflationniste dans lequel on est maintenant depuis six mois.
Bruno Colmant

Bruno Colmantgroup head of private bankingDegroof Petercam

C’est sans compter l’impact indirect du gaz sur le prix de l’électricité. «Les centrales électriques au gaz sont désormais le ‘fournisseur marginal’ sans lequel la demande d’électricité ne peut être satisfaite», rappelle le chef économiste d’AXA Group, Gilles Moëc. La corrélation entre les prix du gaz et de l’électricité étant devenue une évidence, «ce canal a encore amputé le pouvoir d’achat de 0,7% sur un an en décembre 2021», observe-t-il.

Des alternatives limitées

À court terme, il sera sûrement difficile de trouver une alternative à l’approvisionnement russe, même si l’Europe a déjà renforcé sa capacité à recevoir du gaz naturel liquéfié en provenance des États-Unis et du Qatar. Ces derniers ont malheureusement une marge de manœuvre limitée pour accroître leurs propres productions respectives. De plus, la capacité des terminaux des ports maritimes européens à recevoir du gaz naturel liquéfié d’origine américaine et qatarie ne peut dépasser 40% de la demande totale des États membres. Autre problème: le réseau de distribution de gaz intra-européen repose principalement sur le transport routier et la flotte actuelle de 15.000 véhicules ne peut pas être augmentée sans difficulté à très court terme.

Pour compenser la contribution du gaz à la production électrique, «augmenter la contribution du charbon, comme cela a déjà été le cas l’année dernière en Allemagne, n’est pas acceptable compte tenu de son énorme empreinte carbone», note Gilles Moëc. À cela, il ajoute qu’«augmenter la part de l’énergie nucléaire fournie aux distributeurs à des prix inférieurs à ceux du marché n’est en général pas une option en dehors de la France». Sans équivoque, l’effondrement de l’intégrité sécuritaire du voisinage direct de l’Union européenne pourrait donc constituer une opportunité à repenser la stratégie énergétique globale des États membres.

L’année 2022 va être très dure à vivre en termes énergétiques et d’inflation alimentaire. Les problèmes latents sont aggravés et prennent une dimension plus importante maintenant.
Bruno Colmant

Bruno Colmantgroup head of private bankingDegroof Petercam

Entre-temps, «l’année 2022 va être très dure à vivre en termes énergétiques et d’inflation alimentaire», souligne Bruno Colmant, ajoutant qu’avec l’invasion de l’Ukraine, «les problèmes latents sont aggravés et prennent une dimension plus importante maintenant». C’est donc naturellement que les regards se portent désormais en direction de la Banque centrale européenne (BCE).

Le rôle de la Banque centrale européenne

Une opinion partagée par Gilles Moëc: «La Banque centrale européenne sera l’un des acteurs-clés pour faire face aux retombées d’une exacerbation des tensions avec la Russie, qui se traduirait par des prix de l’énergie encore plus élevés.» Ce qui pourrait alors inciter la BCE à ne pas accélérer sa politique de normalisation. «La marge de manœuvre pour accommoder un choc géopolitique avec la politique monétaire semble donc particulièrement étroite», signale Gilles Moëc.

Fin janvier, il nous était d’ailleurs indiqué que la BCE posé par le conflit ukrainien – encore larvé à ce moment-là – pour la zone euro. Il nous était alors confirmé que la BCE se tiendrait prête à injecter des liquidités nécessaires en cas de conséquences systémiques, aguerrie aux mesures de politiques monétaires non conventionnelles depuis l’amorce de la pandémie de Covid-19.

La Banque centrale européenne sera l’un des acteurs-clés pour faire face aux retombées d’une exacerbation des tensions avec la Russie, qui se traduirait par des prix de l’énergie encore plus élevés.
Gilles Moëc

Gilles Moëcchef économisteAXA Group

Au début de février, à l’issue de la première réunion des gouverneurs de la BCE, sa présidente, Christine Lagarde, avait laissé entendre que des politiques monétaires à venir en période de tensions qui menaceraient la stabilité des prix: «Compte tenu de l’incertitude actuelle, nous devons plus que jamais maintenir la flexibilité et l’optionalité dans la conduite de la politique monétaire.» Le Conseil des gouverneurs n’exclut d’ailleurs pas de réutiliser le PEPP, son programme de rachat d’urgence en cas de pandémie, ou de s’en inspirer pour en créer d’autres. Rendez-vous donc en mars, à l’occasion de la prochaine réunion de politique monétaire de la BCE.