Christoph Wiesner est le nouveau directeur des Rencontres d’Arles. (Photo: Jérémie Bouillon)

Christoph Wiesner est le nouveau directeur des Rencontres d’Arles. (Photo: Jérémie Bouillon)

À l’occasion de la présentation de l’exposition luxembourgeoise aux prochaines Rencontres d’Arles, paperjam.lu a rencontré le nouveau directeur de ce festival de photographie, Christoph Wiesner.

Vous avez été nommé en juin 2020, et pris vos fonctions en septembre, en pleine année de crise sanitaire. Quelle est la situation économique des Rencontres aujourd’hui?

«Les Rencontres d’Arles ouvrant début juillet, la mise en production du festival a lieu vers le mois d’avril. Or, en avril 2020, il n’y avait aucune visibilité sur une possible réouverture des espaces culturels. Il était donc très compliqué pour le festival de lancer une production, sachant que nous sommes indépendants financièrement à 75% grâce à nos ressources propres, qui sont approvisionnées par la billetterie à 55%, et le reste est le mécénat et le partenariat. C’est un modèle vertueux en période économique faste, mais un modèle fragile quand l’économie s’écroule.

Or, lancer la production signifie mettre au moins 3 millions d’euros sur la table, avec des factures qui commencent à être payées dès que la billetterie fonctionne. En 2020, les collectivités ne pouvaient pas nous assurer leur soutien, car il y avait d’autres urgences à financer. Même en réduisant le nombre d’expositions, la facture restait salée. Et c’est ce qui a mené à l’annulation du festival.

Donc le festival n’est à ce jour pas en difficulté financière?

«Non, parce que nous avons pu annuler l’année dernière. Cette année, nous avons l’assurance du soutien de nos tutelles malgré les vicissitudes que nous imposent les conditions sanitaires, comme les jauges de visiteurs que nous devons appliquer…

Quelles sont les adaptations que vous avez dû apporter au festival pour répondre à ces contraintes?

«On a redessiné un festival à la mesure de la situation, en retirant certains lieux d’exposition ne permettant pas une circulation adaptée. On a gardé les lieux emblématiques de la ville et d’autres lieux un peu plus atypiques, comme le Monoprix. On aura aussi quelques expositions en plein air. Par ailleurs, on a repensé totalement la semaine d’ouverture.

D’habitude, le directeur des Rencontres va dans chaque exposition, accompagné du commissaire, des artistes et d’une foule serrée qui les accompagne… Cela n’est pas possible actuellement. Donc chaque exposition sera présentée lors d’un moment d’échange dans une salle adaptée pour recevoir le public selon les mesures sanitaires, et les visiteurs peuvent par la suite découvrir par eux-mêmes les expositions. Cela nous permet de conserver un moment de rencontre et d’échange, mais avec une maîtrise des jauges.

Le volet digital est aussi un peu plus développé: nous venons de refaire notre site internet, nous allons réaliser des capsules vidéo avec les artistes, accroître notre présence sur les réseaux sociaux, digitaliser la présentation des PhotoFolios…

Qu’est devenue la programmation artistique conçue par votre prédécesseur, Sam Stourdzé, pour l’édition 2021?

«J’ai toujours eu de très bons échanges avec Sam Stourdzé, dont je respectais beaucoup le travail. J’ai eu une grande liberté de pouvoir l’adapter comme je voulais pour 2021. Il m’a laissé carte blanche. C’est donc une année de transition. Environ la moitié des expositions sont issues du programme de 2020, et l’autre moitié sont de nouvelles propositions. Les thèmes principaux, comme le thème identitaire, l’idée du voyage, ou l’idée de revisiter des carrières comme celle de Sabine Weiss, qui va avoir 97 ans cet été, sont conservés. Cela aurait été dommage de ne pas en profiter.

Mais c’est un programme qui met aussi l’accent sur l’émergence, ce qu’ont toujours porté les Rencontres d’Arles, à travers des expositions solo, mais aussi le Prix Découverte. Avec Lët’z Arles, c’est aussi dans cette optique que le travail est fait. On s’est positionné sur des talents montants. C’est le cas de Daniel Reuter et Lisa Kohl, qui, même s’ils ne sont pas au début de leur carrière, peuvent encore être révélés au monde de manière beaucoup plus large.

C’est aussi pour cette raison que j’ai placé ces expositions non pas en périphérie, comme avant, mais au centre-ville, dans la chapelle de la Charité pour Lët’z Arles, et dans l’église des Frères Prêcheurs pour le Prix Découverte, dont l’exposition est aussi désormais confiée à un commissaire, Sonia Voss, pour l’édition de cette année. C’est un signe que je voulais donner: remettre l’émergence au centre des Rencontres.

Je souhaite absolument conserver le caractère kaléidoscopique de ce festival, que ce soit avec les rétrospectives historiques ou des sujets en lien avec les grandes préoccupations contemporaines.
Christoph Wiesner

Christoph WiesnerdirecteurRencontres d’Arles

Outre cette attention portée aux émergences, quelle direction souhaitez-vous insuffler aux Rencontres?

«Je souhaite absolument conserver le caractère kaléidoscopique de ce festival, que ce soit avec les rétrospectives historiques ou des sujets en lien avec les grandes préoccupations contemporaines. Le rôle du festival est aussi d’être à l’écoute du monde, aussi bien socialement, politiquement, qu’intellectuellement. Ensuite, l’idée de créer des ponts avec d’autres pays est importante. Lët’z Arles en fait partie. Réexplorer l’Europe m’intéresse particulièrement. Je pense que la période qui arrive va être intéressante pour voir comment les choses vont se retisser, comment les gens vont regarder de nouveau ce qu’il y a autour d’eux. J’attends avec impatience ce moment.

Par ailleurs, Arles est aussi en train de changer. Depuis la création du festival il y a plus de 50 ans, l’écosystème culturel local a évolué: il y a de nouvelles fondations, comme la fondation Luma, la fondation Lee Ufan. La mise en réseau avec d’autres institutions culturelles de la région a pris beaucoup d’ampleur, comme en témoigne le programme du Grand Arles Express. J’aimerais aussi collaborer avec les Festivals du Sud, et je suis actuellement en discussion avec le Festival d’Avignon.

S’il semble évident que les artistes issus de la scène luxembourgeoise ont beaucoup à gagner en participant aux Rencontres d’Arles, en retour – et hors participation financière que verse le Luxembourg pour sa présence –, qu’ont à gagner les Rencontres à exposer les artistes luxembourgeois?

«Pour nous, il s’agit de découvrir une scène qui n’est pas toujours bien connue. Pendant longtemps, on s’est intéressé aux artistes de pays éloignés, comme la Chine, l’Inde, l’Amazonie… Il est aussi enrichissant de voir tout ce qui se passe en Europe. Et la situation de la pandémie ne fait que renforcer cet intérêt. C’est aussi un point que j’aimerais développer dans les années à venir: montrer qu’il y a beaucoup de choses intéressantes autour de nous, sans nécessairement aller à l’autre bout du monde. Ce qui ne veut pas dire non plus que je ne m’intéresserai pas aux scènes extra-européennes, mais tout cela fait partie d’un écosystème vertueux. Nous avons autant à apprendre en montrant ces artistes que dans l’autre sens.

Au cours de la première convention, il avait été question de réaliser un projet à Arles autour de l’œuvre d’Edward Steichen, idée qui ne s’est pas encore concrétisée. En 2020, un renouvellement de convention avec les Rencontres a été signé, pérennisant la collaboration jusqu’en 2023. Est-ce que ce projet lié au patrimoine photographique luxembourgeois est encore d’actualité?

«Je connaissais ‘The Family of Man’, bien évidemment, car c’est une pièce très importante dans l’histoire de la photographie. Mais je dois avouer que je n’avais pas réalisé que cette exposition se trouve au Luxembourg, ni même que Steichen était d’origine luxembourgeoise. Or, toutes les personnes qui s’intéressent à la photographie connaissent Steichen, aussi bien pour son travail d’artiste que pour son rôle de conservateur et de commissaire. L’idée de réaliser un projet à partir de ce travail m’intéresse, bien évidemment. Je ne sais pas combien de temps je resterai à Arles, mais cela fait partie des projets auxquels j’aime rêver.

Le rôle du festival est de trouver un juste équilibre entre des noms consacrés, qui peuvent être relus ou mis en parallèle avec d’autres, et des expositions qui sont de réelles découvertes, que ce soit un jeune talent ou un travail plus historique. Les Rencontres d’Arles, sous l’impulsion de Sam Stourdzé, ont aussi beaucoup développé l’importance de l’archive photographique. Ici, nous avons à la fois une personnalité reconnue, un patrimoine méconnu et une partie de l’archive de Steichen. Entre ‘The Family of Man’ et ‘The Bitter Years’, c’est une collection magnifique que possède le Luxembourg! Il faut toutefois trouver la bonne temporalité pour réaliser ce type de projet. En 2023, ce sera le cinquantenaire de la mort de Steichen, peut-être est-ce là une occasion de réaliser quelque chose…

Maintenant que le galop d’essai est passé pour Lët’z Arles avec la première convention, est-ce que le renouvellement de la convention est aussi l’occasion de travailler en amont sur les projets des années à venir?

«Oui, tout à fait, et cela va aussi dans le sens d’autres projets de recherche que mènent sur plusieurs années les Rencontres d’Arles. Cela nous permet de produire des expositions qui sont de qualité quasi muséale, qui peuvent être co-produites, et voyager dans le monde. Par ce système, on peut se permettre d’avoir des expositions qui coûtent plus cher. Je tiens aussi à souligner que, si on décide de poursuivre une collaboration, il faut qu’elle soit de haute qualité.

C’est la même chose pour les projets qu’on présente. Il faut aussi qu’ils soient adaptés aux lieux dans lesquels ils sont présentés, car nous avons beaucoup de lieux historiques qui ne sont pas toujours faciles. Cette réflexion qu’on a en commun avec Lët’z Arles est capitale, et je continuerai à la soutenir, car elle va aussi dans le sens de la professionnalisation. Les expositions sont d’année en année plus construites, et cela permet une approche plus forte, de conserver un souvenir des œuvres découvertes. Cela nous importe aussi beaucoup.»