Cela fait maintenant plus de 30 ans que nous parlons du changement climatique, de la perte de biodiversité et de la nécessité de modifier nos comportements. Oui, plus de 30 ans! En 1992, une jeune fille de 12 ans, du nom de Severn Cullis-Suzuki, plongeait les représentants des pays du monde entier dans un profond silence lors du premier Sommet de la Terre à Rio, avec des messages identiques à ceux pour réprimander les dirigeants mondiaux lors du Sommet de l’action pour le climat de l’ONU en 2019.
Depuis plus de 30 ans, des milliards de dollars et des ressources considérables ont été consacrés à communiquer sur la nécessité d’une «relance verte», mais on a toujours l’impression d’en être au début.
Alors qu’au cours des dernières années, et plus particulièrement depuis la pandémie, si un nombre croissant de personnes, et notamment les jeunes générations, disent avoir pris conscience de manière frappante de la nécessité de modifier nos comportements face aux défis à venir, beaucoup restent encore sourds face à ce discours. Dans le milieu des entreprises, les décideurs ne semblent pas conscients de la nécessité de modifier radicalement leurs modèles d’affaires. Pourquoi? Parce que la plupart perçoivent la «relance verte» comme un fardeau: des coûts supplémentaires, des rapports supplémentaires, des réglementations supplémentaires, s’ajoutant aux nombreux challenges que la pandémie a mis sur leurs épaules. Ils essaient donc de s’en débarrasser, soit en évitant de le porter, soit en le reportant à plus tard, quand ils auront plus de forces.
Les raisons de cette attitude d’évitement sont évidentes. Le discours que l’on nous a systématiquement répété au cours des dernières années est que nos émissions de CO2 sont la principale source de dommages causés à notre planète. Ce qui est vrai. Le message martelé envers les entreprises, nous déclarant tous responsables de la destruction de la Terre a généré une culpabilité d’autant plus grande qu’elle entre en résonance avec notre sentiment d’incapacité à atteindre les normes irréalistes que les décideurs politiques nous ont imposées — irréalistes, car elles auraient dû commencer il y a 30 ans.
Ces mesures, qu’ils ont pourtant l’intention de maintenir plutôt que de réviser, nous demandent de «rebâtir mieux» et ont un air de chantage: tout d’abord parce qu’elles se servent de notre sentiment de culpabilité à l’égard des crises liées au climat et à la biodiversité pour nous pousser à l’action, et ensuite parce qu’elles font planer la menace de nous assaillir de réglementations et de rapports de plus en plus stricts si nous ne sommes pas à la hauteur des normes imposées.
À l’Université dans la Nature (UdN), nous pensons que cette stratégie est un énorme gaspillage d’énergie et de ressources, car cela ne correspond pas du tout aux principes fondamentaux – et scientifiquement prouvés – d’une communication réussie. En effet, la recherche nous apprend:
- que nous sommes très habiles pour éviter de nous sentir coupables: la plupart d’entre nous feront tout pour minimiser le problème, éviter la discussion et retarder l’action autant que possible en expliquant que toutes les données ne sont pas encore suffisamment claires;
- que les gens ont tendance à oublier relativement vite ce que quelqu’un a dit ou fait, mais n’oublient jamais l’émotion qu’une personne ou quelque chose leur a fait ressentir!
Il suffit pour s’en convaincre de constater que les marques et les mouvements qui ont le plus de succès sont ceux dont les messages sont axés sur la positivité, les émotions positives, et non ceux qui nous culpabilisent ou génèrent de la peur. Ce sont ceux qui nous rendent fiers de faire partie de la solution: pas ceux qui nous culpabilisent constamment d’être la source du problème.
Ces deux principes, «faire partie» – de la solution – et le «bien-être» sont LES deux principes clés au premier plan de toute campagne de communication réussie au cours de la dernière décennie, que ce soit dans le secteur des affaires ou dans le secteur social, et même en politique!
Alors pour quelle raison n’utilisons-nous pas ces principes pour convaincre les individus et les entreprises à s’engager dans une «relance verte»?
Car c’est exactement ce que nous faisons à l’Université dans la Nature: ces principes sont au cœur de notre approche. Pourtant, cette démarche, si cruciale pour créer le changement, est si négligée que nous avons ressenti le besoin de créer notre branche européenne de l’UdN au Luxembourg, afin d’y diffuser notre action.
Notre objectif est de reconnecter les gens à la nature d’une manière positive, éducative et expérientielle. Dans cette optique, l’UdN a rassemblé et étudié plus de 3.000 recherches scientifiques sur l’impact de la nature sur le bien-être physique et mental de l’être humain. Sur la base de ces résultats, nous avons développé des programmes testés par des universités et centres de recherches qui visent à reconnecter les adultes, les enfants, les décisionnaires, les employés, l’ensemble de la population à la nature. Concrètement, nous offrons des expériences qui permettent à tous à la fois de ressentir les effets positifs de la nature sur leur bien-être mental et physique et de comprendre, grâce aux savoirs que nous avons accumulés, pourquoi il en est ainsi. Afin de rendre ces programmes plus accessibles dans le monde entier, nous avons récemment lancé des formations certifiantes pour accroître le nombre d’éducateurs capables d’enseigner notre méthodologie.
De plus, nous œuvrons pour offrir des conférences, des podcasts, des articles et divers matériels sur les médias sociaux détaillant l’impact positif de la nature sur la santé humaine, et sur nos systèmes de santé, mais aussi les retombées énormes que la nature pourrait avoir sur les entreprises et l’économie.
Saviez-vous, par exemple, que d’un côté:
• le coût de la perte de productivité pour l’économie mondiale est estimé à 1.000 milliards de dollars US par an en raison des maladies mentales sur le lieu de travail;
• ces dernières années, General Motors a dépensé plus en soins de santé qu’en acier;
• 73% des employés (Royaume-Uni) des secteurs de la banque et des services financiers souhaitent un meilleur soutien au bien-être physique et mental sur le lieu de travail.
D’autre part, les recherches montrent que:
• les participants à une simple activité en forêt, non sportive, bénéficient des impacts suivants, comparés à un groupe contrôle:
- une diminution de 12,4% du taux de cortisol;
- 7% de diminution de l’activité du nerf sympathique;
- 1,4% de diminution de la pression sanguine systolique;
- diminution de 5,8% de la fréquence cardiaque;
- ainsi qu’une augmentation de 55% de l’activité nerveuse parasympathique, indiquant un état de relaxation.
• contrairement aux environnements bâtis, l’exposition à des environnements naturels entraîne une diminution des décisions impulsives et une possible augmentation de la coopération;
• les éléments naturels atténuent la liaison entre les facteurs de stress liés au métier et la satisfaction au travail, l’humeur dépressive et l’anxiété; la vue d’éléments naturels est liée à une satisfaction élevée, cette satisfaction étant corrélée à une capacité de travail plus grande et à une satisfaction plus importante au travail;
• un contact accru avec la végétation peut constituer une approche peu coûteuse et très bénéfique pour le bien-être et l’efficacité des employés;
• par rapport à un «lean office», (un bureau vidé de tout élément naturel), les employés exposés à la nature connaissent une augmentation de 15% de leur productivité, se sentent plus engagés et mieux dans leur travail;
• quatre jours d’immersion dans la nature, accompagnée d’une déconnexion aux médias et à la technologie, augmentent de 50% les performances d’un groupe de randonneurs dans une tâche de créativité et de résolution de problèmes;
• la valeur économique des zones protégées découlant de l’amélioration qu’elles procurent à la santé mentale des visiteurs s’élève à 6.000 milliards de dollars par an;
• la valeur économique de la biodiversité est estimée à 100.000 milliards d’euros.
Et ce ne sont là que quelques exemples!
Alors, si nous revoyions complètement notre approche? Si, au lieu d’organiser la protection de la nature en brandissant la menace d’une catastrophe et d’un avenir funeste, nous donnions aux gens de l’espoir, une vision, et leur donnions envie d’y contribuer? Comme l’a dit Jane Goodall, «à quoi bon faire quelque chose si vous n’avez pas d’espoir?». Éviter un cataclysme n’apporte aucune source d’espoir. Mais créer un monde dans lequel la nature est considérée comme un outil de santé publique, de justice sociale et d’équilibre mental, voilà un projet stimulant auquel nous pouvons tous adhérer.
Mettez-vous à la place d’un enfant, de nos enfants. Déjà épuisés par la pandémie, ils entendent chaque jour que c’est la fin du monde. Que les forêts, les océans et les ours polaires disparaissent, et que c’est à cause des humains, à cause de nous, donc d’eux. Quel espoir d’avenir leur laissons-nous? Quelle vision? Quels sentiments? N’y gagnerions-nous pas beaucoup plus à utiliser la splendeur de notre nature pour les réconcilier avec ce monde, et avec leur propre existence? Imaginez les leaders passionnés que nous formerions!
L’objectif de l’Université dans la Nature est de reconnecter: aider la population, les décisionnaires à découvrir et à ressentir la richesse extraordinaire de notre lien avec la nature. Notre volonté est ainsi de leur faire prendre conscience que nous faisons partie de la nature autant qu’elle fait partie de nous. Et c’est en rétablissant cette relation, une relation fondée sur des émotions positives plutôt que sur la culpabilité, que nous parviendrons enfin à faire en sorte que tous aient envie de s’investir.
Il se trouve justement qu’il a été abondamment démontré, par la science et par notre expérience quotidienne, que «les gens ont tendance à prendre soin des choses qu’ils aiment»… Aimer sera toujours la première des solutions.