Yves Maas, CEO de l’Association des Banques et Banquiers Luxembourgeois (ABBL), et Olivier Chatain, Senior Country Officer pour le groupe Crédit Agricole au Luxembourg et CEO de CA Indosuez Wealth (Europe) Crédit: Patricia Pitsch - Maison Moderne Publishing SA

Yves Maas, CEO de l’Association des Banques et Banquiers Luxembourgeois (ABBL), et Olivier Chatain, Senior Country Officer pour le groupe Crédit Agricole au Luxembourg et CEO de CA Indosuez Wealth (Europe) Crédit: Patricia Pitsch - Maison Moderne Publishing SA

L’histoire du groupe Crédit Agricole, qui célèbre cette année ses 100 ans au Luxembourg, reflète celle des grandes évolutions de la place financière et des expertises développées au fil des décennies, notamment la gestion de patrimoine. Il était donc logique d’interroger et de croiser les points de vue d’Yves Maas, CEO de l’Association des Banques et Banquiers Luxembourgeois (ABBL), et d’Olivier Chatain, Senior Country Officer pour le groupe Crédit Agricole au Luxembourg et CEO de CA Indosuez Wealth (Europe), sur l’essor de ce Métier qui fait partie des savoir-faire reconnus de la place financière.

Dans les années 80, le private banking connaît un véritable essor au Luxembourg, pouvez-vous retracer la genèse de ce développement et nous préciser comment le groupe Crédit Agricole intervient dans cette chronologie?

Yves Maas: «Dans les années 80 et même 70, cet essor fait suite à une volonté gouvernementale de diversifier le secteur des services, mais aussi la mise en place des activités de crédit syndiqués par des banques allemandes et américaines au Luxembourg. Dans les années 80, les banques de la Place ont commencé à offrir des services de trésorerie aux entreprises ainsi que des services de gestion de fortune à des clients privés, accélérant ainsi le niveau de spécialisation des acteurs du marché. Précisons aussi que la législation a suivi et a supporté ce développement. Dans les années 90 ensuite, la deuxième directive bancaire de l’Union européenne a introduit une licence bancaire unique, ce qui a eu pour effet d’inciter les banques non européennes à s’établir au Luxembourg, pour vendre leurs services dans toute l’UE.

Olivier Chatain, Senior Country Officer pour le groupe Crédit Agricole au Luxembourg et CEO de CA Indosuez Wealth (Europe) Patricia Pitsch - Maison Moderne Publishing SA

Olivier Chatain, Senior Country Officer pour le groupe Crédit Agricole au Luxembourg et CEO de CA Indosuez Wealth (Europe) Patricia Pitsch - Maison Moderne Publishing SA

C’est pendant les années 80, avec les évolutions réglementaires, telles que la directive sur les OPC, que s’accélère le développement des activités dans l’industrie des fonds et que, en parallèle, le private banking connaît un véritable essor.

Olivier ChatainSenior Country Officer pour le groupe Crédit Agricole au Luxembourg et CEOCA Indosuez Wealth (Europe)

Olivier Chatain: «Le groupe Crédit Agricole était déjà un acteur central de l’écosystème financier luxembourgeois – bien avant l’essor du private banking –, notamment en tant que membre fondateur de la Bourse de Luxembourg et de l’ABBL, respectivement dans les années 20 et 30. C’est pendant les années 80, avec les évolutions réglementaires, telles que la directive sur les OPC, que s’accélère le développement des activités dans l’industrie des fonds et que, en parallèle, le private banking connaît un véritable essor. Aujourd’hui, l’activité de gestion de fortune du groupe Crédit Agricole est conduite au sein d’Indosuez Wealth Management, qui compte  près de 400 collaborateurs au Luxembourg. Notre histoire est faite de rapprochements entre différentes filiales luxembourgeoises du Groupe – Indosuez, le Crédit Lyonnais et Crédit Agricole Luxembourg – et de plusieurs fusions-acquisitions, avec Christiania Bank Lux en 1973, la Banque de Gestion Privée en 1999 et la Banque Colbert en 2005.

En 2020, nous vivons une crise mondiale inattendue. Comment les acteurs de la Place l’ont-ils vécue? Quels seront ses impacts à court et moyen termes sur l’industrie? Qu’en est-il chez Indosuez Wealth Management?

YM: «Le secteur bancaire se porte bien pour le moment. Cela dit, nous risquons de voir les effets de cette crise dans les 12 ou 18 mois à venir. En ce qui concerne la banque privée plus exactement, je crois que tout repose sur le service et la relation personnelle avec les clients, ce que la crise n’a pas altéré. Le télétravail a été d’une grande aide sur ce point, nous avons su nous adapter sans impacter notre service pour nos clients. Cette stabilité, rendue également possible par les investissements gouvernementaux dans la technologie, a été déterminante.

OC: «Au sein du groupe Crédit Agricole au Luxembourg, nous sommes parvenus à traverser cette période difficile sans encombre. En interne, nous nous sommes organisés en conséquence et avons poursuivi nos activités sans créer de rupture, grâce au télétravail notamment. Au sein d’Indosuez, nous avons été en mesure de traiter un volume très important de transactions et sommes restés proches de nos clients malgré l’impossibilité de nous rencontrer. La gestion exemplaire de la crise par le gouvernement et la réactivité de la CSSF ont été des soutiens importants pour nous permettre de traverser cette période le mieux possible. Par ailleurs, en tant qu’acteur responsable et solidaire de la Place, nous avons également souhaité soutenir les restaurateurs du quartier du Limpertsberg, particulièrement touchés par la crise, en finançant des bons repas distribués ensuite au personnel hospitalier. De plus, des collaborateurs de l’ensemble du Groupe au Luxembourg ont choisi de renoncer à des jours de congé que nous avons monétisés puis abondés. La somme de 200.000 euros a ainsi été collectée et confiée à la Fondation COVID-19, sous l’égide de la Fondation de Luxembourg, au bénéfice d’associations menant des actions concrètes sur le territoire dans le cadre la lutte contre les effets de la crise.

Yves Maas, CEO de l’Association des Banques et Banquiers Luxembourgeois (ABBL) Patricia Pitsch - Maison Moderne Publishing SA

Yves Maas, CEO de l’Association des Banques et Banquiers Luxembourgeois (ABBL) Patricia Pitsch - Maison Moderne Publishing SA

Nous avons dû concevoir des produits plus sophistiqués pour nos clients, mais aussi nous spécialiser pour rester performants et les servir de manière adéquate.

Yves MaasCEOAssociation des Banques et Banquiers Luxembourgeois (ABBL)

Aujourd’hui, quelle est la clientèle de la banque privée au Luxembourg? Comment évoluent ses besoins? Et en quoi la place du Luxembourg et ses acteurs y répondent-ils?

YM: «Les actifs sous gestion continuent d’augmenter. Nous avons dépassé le seuil des 460 milliards d’euros, soit une augmentation de près de 16% par rapport à 2019. C’est un excellent indicateur de la stabilité et de l’attractivité de la Place. En ce qui concerne l’évolution des clients, on voit que près de 60% des actifs sous gestion sont détenus par des clients dont le patrimoine est supérieur à 20 millions d’euros. C’est une différence fondamentale si l’on regarde 5 ou 10 ans en arrière, où ce chiffre était plutôt de 40% des actifs sous gestion détenus par des clients dont le patrimoine est supérieur à 20 millions d’euros. Nous avons donc dû concevoir des produits plus sophistiqués pour ces clients, mais aussi nous spécialiser pour rester performants et servir nos clients de manière adéquate. Ces clients ont en effet besoin d’un autre type de produits, liés à des capacités de banque d’investissement et de crédits auxquels nous savons répondre.

OC: «À l’instar d’Yves, nous constatons que nos encours ont positivement évolué. Le positionnement de notre entité luxembourgeoise au sein de l’organisation du groupe Indosuez, en tant que pôle de développement de la clientèle européenne, participe à la croissance de nos actifs sous gestion. En effet, les problématiques de cette clientèle, constituée de grandes fortunes et de très grandes fortunes, comportent de nombreux enjeux multijuridictionnels. Nos banquiers et experts au Luxembourg comprennent ces enjeux et leurs implications. Ils sont en mesure d’apporter des solutions sur mesure à ces situations complexes. Qui plus est, cette clientèle bénéficie au Luxembourg d’un environnement stable sur le plan politique, économique et réglementaire. Enfin, dans une période comme celle que nous vivons, le triple A du Luxembourg demeure attractif.

Concernant l’avenir de la Place, quels sont les principaux enjeux de l’industrie du Wealth Management? Pour Indosuez Wealth Management, acteur centenaire, peut-on prédire encore 100 ans d’avenir au Luxembourg? À quoi pourrait ressembler la banque privée du futur?

YM: «Notre industrie n’est pas épargnée par les défis. Nous sommes touchés par une réglementation très forte qui engendre des coûts importants pour la Banque. Nous sommes dans un environnement de taux très bas depuis un long moment déjà, que cette crise ne fera que prolonger. Je crois donc que des défis de rentabilité se présenteront à nous, mais je crois également que nous aurons de nombreuses opportunités. Il faudra rester flexibles sur le développement de produits et être capables de nous positionner sur des produits financiers durables aussi. Enfin, il faut que les banques continuent à investir dans la digitalisation pour réduire leurs coûts opérationnels.»

OC: «Permettez-moi de citer un proverbe: ‘Pour être centenaire, il faut commencer jeune.’ Il faut en effet rester jeune, flexible, innovant et donner du sens et être agile dans l’accompagnement de nos collaborateurs et de nos clients. Au cours des 100 prochaines années, je peux vous assurer que le groupe Crédit Agricole sera toujours présent, au sein d’un environnement évidemment différent. La digitalisation nous permettra certes d’améliorer notre efficacité opérationnelle, mais les relations humaines fortes et durables qui caractérisent notre Métier demeureront. Je partage pleinement le point de vue d’Yves sur les enjeux et défis à venir. Les banques de la Place auront également à relever des enjeux de sécurité, notamment de cybersécurité. Des acteurs leaders sur le marché, dont fait partie Indosuez, continueront à se développer aux côtés d’acteurs de niche qui se concentreront sur une offre de gestion spécifique ou sur une géographie. Ces évolutions se feront vraisemblablement au sein d’une industrie de la gestion de fortune qui devrait continuer à croître.»

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