Quatre experts de la fiscalité livrent leur point de vue sur la réforme fiscale passée et sur celle à venir. (Illustration: Maison Moderne)

Quatre experts de la fiscalité livrent leur point de vue sur la réforme fiscale passée et sur celle à venir. (Illustration: Maison Moderne)

Les Big Four ont répondu à différentes questions concernant le bilan de la réforme fiscale entrée en vigueur en 2017 et les problématiques auxquelles devrait répondre la nouvelle annoncée par le ministre des Finances, dont la présentation est prévue en 2020.

En amont de la prochaine réforme fiscale annoncée par le gouvernement pour 2020, les acteurs économiques et politiques .

Pour alimenter le débat et les réflexions autour de cet important chantier pour l’économie du pays, Paperjam a sollicité les experts de la fiscalité des Big Four. Ils livrent leur point de vue sur la réforme fiscale passée et sur celle à venir: , tax leader de Deloitte Luxembourg, Bart Van Droogenbroek, tax leader d’EY Luxembourg, Sébastien Labbé, head of tax de KPMG Luxembourg, et Gerard Cops, tax leader de PwC Luxembourg.

Regards croisés sur quatre thèmes liés à la fiscalité.

Quel bilan tirez-vous de la réforme fiscale précédente?

Raymond Krawczykowski (Deloitte). – «La réforme précédente n’a pas foncièrement fait bouger les lignes. De fait, les acteurs qui devaient rester sur le sol luxembourgeois y sont restés. D’autres, dont les attentes n’ont pas été remplies, se sont délocalisés. Ceux qui sont restés ont jugé que, même en l’absence de réforme, l’attractivité non fiscale du Luxembourg était suffisamment grande pour y rester.

Bart Van Droogenbroek (EY). – «Particulièrement dans les dernières réglementations Atad 1 et 2, et MDR, le Luxembourg a démontré que, s’il soutient les mesures de réforme fiscale internationale, il est également à l’écoute de ses parties prenantes.

Sébastien Labbé (KPMG). – «La dernière réforme s’intègre dans une évolution globale positive. Même si elle a aussi eu pour effet le transfert d’activités de certains groupes dans d’autres pays, du fait d’un taux d’imposition sur les sociétés plus élevé qu’ailleurs. Dans la perspective de l’harmonisation européenne de la base imposable, la compétitivité se jouera en tous cas de plus en plus sur ce taux.

Gerard Cops (PwC). – «Nous estimons que la réforme fiscale de demain doit être beaucoup plus ambitieuse que celle d’il y a trois ans.

La dernière réforme a aussi eu pour effet le transfert d’activités de certains groupes dans d’autres pays, du fait d’un taux d’imposition sur les sociétés plus élevé qu’ailleurs.

Sébastien Labbéhead of taxKPMG Luxembourg

L’attractivité du pays est-elle en jeu pour la prochaine réforme?

Raymond Krawczykowski (Deloitte). – «L’OCDE pousse à ce que tous les pays aient une base fiscale qui se rapproche: la seule manière de rester compétitif sera de jouer sur le taux d’imposition (le taux global d’imposition d’une société atteint 24,94% en 2019, ndlr). Il est donc urgent de ne pas agir, et de voir d’abord les effets de ce qui a été mis en place ces dernières années au niveau de la transposition des directives.

Bart Van Droogenbroek (EY). – «L’élément-clé est le . Pour y parvenir, le Luxembourg devra continuer à être ouvert au dialogue avec les milieux d’affaires et rester une juridiction fiable offrant une sécurité de planification aux investisseurs afin de faciliter les décisions commerciales et d’investissement.

Sébastien Labbé (KPMG). – «Certains s’attendent à une réduction de l’IRC (impôt sur le revenu des collectivités) et de l’ICC (impôt commercial communal); ils vont peut-être être déçus. Je crois plutôt à des ajustements permettant d’orienter, via la fiscalité, les entreprises vers des secteurs ou investissements stratégiques.

Gerard Cops (PwC). – «Nous voyons, chez PwC, que les clients qui perdent de la compétitivité préparent leurs options, dont celle de quitter Luxembourg. Le taux d’imposition doit être réduit substantiellement. 1% ou 2% ne suffiront pas. L’idéal serait d’arriver à un taux global de 15%, mais 18 à 20% devrait être plus réaliste.

L’élément-clé est le maintien de l’attractivité internationale du Luxembourg. Pour y parvenir, le Luxembourg devra continuer à être ouvert au dialogue avec les milieux d’affaires.

Bart Van Droogenbroek tax leader EY Luxembourg

Une mesure à intégrer à la prochaine réforme?

Raymond Krawczykowski (Deloitte). – «Les profils très élevés touchent déjà des rémunérations très importantes. Mais ils ont un emploi du temps réparti sur 10 ou 15 pays, et passent parfois seulement quelques jours par mois au Luxembourg. Ils bénéficient de régimes particuliers d’exonération d’impôts: en Angleterre par exemple, le système prévoit que toutes les journées travaillées à l’étranger ne sont pas soumises à l’impôt. Il faut s’en rapprocher pour attirer de grosses pointures. Au Luxembourg, si vous êtes basé ici et que vous travaillez 50% de votre temps à l’étranger, 100% sont quand même taxés par le Grand-Duché.

Bart Van Droogenbroek (EY). – «Évidemment, outre les réductions de taux, certaines mesures, telles qu’un régime amélioré pour les expatriés, des corrections techniques dans le régime de retenue à la source, un régime d’unité fiscale pour l’impôt sur la fortune ou une réduction supplémentaire de l’impôt sur la fortune, un élargissement du champ des actifs éligibles au crédit d’impôt à l’investissement, seraient par exemple les bienvenues.

Pour attirer de grandes sociétés, il faut abolir la retenue à la source sur le dividende, comme l’a déjà fait le Royaume-Uni.

Gerard Copstax leaderPwC Luxembourg

Sébastien Labbé (KPMG). – «Nous avons des défis importants à relever en matière de digitalisation. Nous disposons aujourd’hui d’une bonification d’impôt pour investissements, qui concernent essentiellement les biens corporels. L’élargissement de cette bonification aux acquisitions de droits d’utilisation de logiciels, ainsi qu’aux logiciels ou autres actifs incorporels équivalents développés en interne, pourrait être étudié.

Gerard Cops (PwC). – «Pour attirer de grandes sociétés, il faut abolir la retenue à la source sur le dividende, comme l’a déjà fait le Royaume-Uni. Cela aura un coût, mais peut attirer les sociétés mères de groupes internationaux vers le Luxembourg.

Quels changements internationaux ont eu lieu en parallèle?

Raymond Krawczykowski (Deloitte). – «La fiscalité a beaucoup évolué ces quatre dernières années, avec des réformes successives, notamment liées à Beps. Dac6, Atad 1 et 2 viennent d’entrer en application, et nous en verrons réellement les premiers effets l’an prochain. Ne pas avoir introduit d’autres modifications fiscales au Luxembourg ces dernières années était sage.»

Bart Van Droogenbroek (EY). – «L’introduction des lois Atad et MDR, ainsi que la réforme de la fiscalité internationale dans d’autres parties du monde, comme les États-Unis, ont certainement eu un impact majeur sur la structuration des transactions et des groupes internationaux, et ont entraîné d’importantes réorganisations et concentrations. Le paysage est devenu de plus en plus complexe et incertain, et les obligations en matière de rapports et de conformité ont été considérablement accrues.»

DAC6, Atad 1 et 2 viennent d’entrer en application, et nous en verrons réellement les premiers effets l’an prochain.

Raymond Krawczykowskitax leaderDeloitte Luxembourg

Sébastien Labbé (KPMG). – «Après Atad 1 et Atad 2, le marché attend encore des clarifications. Il manque aussi aux entreprises une vision à plus long terme en matière fiscale, qui leur permette d’anticiper la manière dont l’État se projette.»

Gerard Cops (PwC). – «Les changements qui vont arriver en 2019 et 2020 (Beps, Atad 1 et 2, Dac 6) auront des impacts très importants sur la compétitivité du Luxembourg. L’assiette fiscale va augmenter très fortement, alors que le taux restera relativement élevé par rapport à d’autres pays.»