, l’étude menée par le Liser et l’Université du Luxembourg sur «les enjeux et les risques d’une réduction du temps de travail» sera présentée ce jeudi 27 aux députés de la commission du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale. Parmi les intervenants à la Chambre des députés, on retrouvera Thuc Uyen Nguyen-Thi, chercheuse au Liser et coordinatrice de l’étude.
Cette étude ne donne pas de vision tranchée par rapport à la mise en place d’une réduction du temps de travail. Qu’en retenez-vous alors?
Thuc Uyen Nguyen-Thi. — «Je tiens tout d’abord à préciser que pour cette étude, nous ne disposions pas de données nous permettant d’anticiper ou d’évaluer les effets d’une possible réduction du temps de travail appliquée au Luxembourg. Ce n’était donc pas notre but.
Celui-ci était davantage d’alimenter le débat sur ce sujet. Nous avons ainsi mené un travail scientifique, objectif et neutre. Nous nous sommes appuyés sur une revue d’articles académiques, de preuves scientifiques et de rapports nationaux en relation avec différentes réductions du temps de travail mises en place dans le monde.
Nous ne disposions pas de données nous permettant d’anticiper ou d’évaluer les effets d’une possible réduction du temps de travail appliquée au Luxembourg. Ce n’était donc pas notre but.
Pour en venir à votre question, nous avons montré qu’un effet ambigu de la réduction du temps de travail existait dans tous les domaines étudiés. Que ce soit sur le plan de la santé, du bien-être et de la conciliation vie familiale – vie professionnelle des salariés. Mais aussi sur celui de l’emploi et du chômage, ou encore de la productivité et de la compétitivité.
Qu’entendez-vous par «ambigu»?
«Simplement qu’il n’y a pas de consensus se dégageant. Ainsi, une même réforme peut aboutir à différents résultats.
Comment explique-t-on cet effet ambigu?
«Par plusieurs facteurs, parmi lesquels le contexte économique et social du pays où la réduction a lieu au moment de la réforme, mais aussi les modalités d’application, les dispositifs de flexibilité qui accompagnent cette diminution ou encore le financement de cette dernière.
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Il est également très important de souligner que cette étude montre que les effets d’une réduction du temps de travail diffèrent en fonction du groupe sociodémographique auquel appartient une personne, de l’étape dans son parcours professionnel et du métier qu’elle exerce.
Elle dévoile aussi qu’une telle réforme peut affecter différemment les industries et les secteurs, en fonction de leur structure, de leurs niveaux de productivité et de compétitivité.
Qui peut-on considérer comme les «gagnants» d’une telle réforme?
«En France, dans le cas des 35 heures par exemple, elle a été plus bénéfique pour les femmes ayant des enfants en bas âge ou les travailleurs dits âgés. C’est également le cas pour les salariés ayant un niveau d’études supérieur. A contrario, les personnes peu rémunérées, celles en emploi précaire ou qui ont peu de contrôle sur leurs horaires de travail risquent d’être contraintes de cumuler plusieurs emplois pour subvenir à leurs besoins. Cela suggère qu’il ne serait pas facile de trouver un consensus parmi les salariés sur la nécessité d’une telle réduction du temps de travail.
Une réforme généralisée, qui serait instaurée de la même façon à tout le monde, ne conviendrait donc pas?
«Notre étude montre qu’elle serait difficilement applicable. Tous les effets différenciés constatés, tant au niveau des travailleurs que des entreprises, des secteurs ou des branches, soulèvent ainsi la question d’une flexibilisation de la réduction du temps de travail.
Ils devraient être pris en compte dans le débat sur une éventuelle réduction du temps de travail afin déterminer si une telle réforme, au Luxembourg, devrait être basée sur une approche collective ou une approche plus flexible.
Une réforme de la réduction du temps de travail peut affecter différemment les industries et les secteurs, en fonction de leur structure, de leurs niveaux de productivité et de compétitivité.
Quand on envisage la mise en place d’une réduction du temps de travail, la question de base à se poser est de savoir quel est le but recherché.
«Plusieurs questions devraient être posées dans le cadre de l’actuel débat sur la réduction du temps de travail. Comme l’ampleur que l’on veut donner à la réduction (38 h de travail hebdomadaire? 35 h?) mais aussi les modalités d’application, l’encadrement au niveau des heures supplémentaires, le financement, etc. Les finalités qui sont recherchées via la réduction devraient évidemment également en faire partie.
Établir une finalité claire à une réforme permettrait de savoir ce qu’on veut atteindre. Souhaite-t-on une réduction pour favoriser l’emploi et réduire le chômage comme ce fut le cas en France en 1998, avec les 35 heures? Ou bien plutôt œuvrer pour l’amélioration du bien-être, de la santé et de la conciliation des travailleurs comme ce fut le cas au Portugal, en Suède ou encore en Islande? Recherche-t-on plutôt de la croissance et de la compétitivité?
En matière de financement, existe-t-il plusieurs écoles possibles?
«Il existe différentes pistes, oui. On peut faire supporter ce coût par les salariés, par le biais d’une réduction des salaires ou du gel de ceux-ci. Ce qui peut avoir des conséquences néfastes sur les inégalités et la cohésion sociale… Le financement peut aussi être assuré par les entreprises, avec des conséquences sur la productivité et la compétitivité.
Une telle réforme doit s’accompagner de mesures complémentaires en matière de flexibilité
Une autre piste serait de faire financer la réforme par l’État, en accordant des compensations financières aux entreprises. Le Portugal ne l’avait pas fait, par exemple, lors de sa réforme en 1996. Au contraire de la France, où une réduction des cotisations sociales avait notamment été mise en place. Cette question du financement est vraiment centrale lorsqu’on envisage une telle réforme. Au Luxembourg, personne ne s’est encore avancé sur le sujet à l’heure actuelle…
Le travail s’organisant au sein des entreprises, ces dernières et surtout la politique managériale menée au sein de chacune d’elles s’annoncent cruciales pour la réussite d’une réduction du temps de travail.
«Une telle réforme doit s’accompagner de mesures complémentaires en matière de flexibilité. Ces dernières permettent aux entreprises de s’adapter et de moduler le temps de travail de leurs salariés sur tout ou une partie de l’année. En France, les 35 heures avaient été accompagnées par des dispositifs comme l’annualisation du temps de travail, l’individualisation des horaires, le libre choix d’horaires hebdomadaires par les entreprises, etc. De même, en Allemagne, les réductions du temps de travail sectorielles ont offert aux entreprises plus de flexibilité pour organiser le temps de travail.
Les expériences étudiées ont montré que ces dispositifs ont permis aux entreprises de maintenir leurs niveaux de productions malgré la perte des heures travaillées. Cependant, il a également été démontré que la flexibilité accordée aux entreprises peut avoir des conséquences négatives sur les salariés, telles que des horaires de travail imprévisibles, atypiques ou une perte d’autonomie dans l’organisation de leur temps de travail. Ces conséquences peuvent évidemment nuire à leur santé, mais aussi à leur bien-être et à la conciliation entre vie de famille et vie professionnelle. C’est pourquoi la politique managériale ainsi que ces mesures de flexibilité sont cruciales et doivent faire partie de débat entre tous les partenaires concernés.»