La friche du crassier Terres Rouges est le support d’une réflexion prospective et spéculative sur l’urbanisme de demain présentée à la Kufa. (Photo: David Vincent)

La friche du crassier Terres Rouges est le support d’une réflexion prospective et spéculative sur l’urbanisme de demain présentée à la Kufa. (Photo: David Vincent)

L’exposition «Red Luxembourg» entend donner un grand coup de pied dans la fourmilière de la réflexion portée aujourd’hui en urbanisme et incite à réfléchir à de nouvelles approches pour construire les villes de demain.

«Red Luxembourg» est une exposition présentée à la Kulturfabrik dans le cadre d’Esch2022. Elle est curatée par l’architecte bruxellois Peter Swinnen, l’ingénieur-architecte et chercheur David Peleman, l’architecte Nathan Heindrichs et l’ingénieur-architecte Beatriz van Houtte Alonso.

Les curateurs ont déclaré dans leur communiqué: «À une époque (…) où la mixité se réduit à la présence d’un café, d’un supermarché et d’un système de covoiturage au sein de denses projets immobiliers, nous pensons qu’il est temps de se méfier et de s’interroger.» L’ambition est de «savoir si d’autres approches de la mixité urbaine peuvent être envisagées sur le territoire».

Pour cela, ils ont étudié le site de l’ancienne friche du crassier Terres Rouges à Esch-sur-Alzette. À partir de ce site, ils ont développé une exposition qui prend la forme d’une proposition prospective et une publication qui s’articule autour des questions centrales de la proximité avec la nature et du logement, avec la volonté d’inciter à de nouvelles expérimentations sociétales et architecturales.

«Cette friche est singulière et méconnue du grand public. Ces 80 hectares se situent pourtant tout près de la ville, mais restent inaccessibles», introduit David Peleman. C’est pour cela que les curateurs ont choisi de réaliser un immense panorama de la friche dans son état actuel. «Ce panorama montre qu’il y a un monde réel sur ce site, et pas juste une zone blanche comme on le voit sur les plans. Il y a une réalité à la fois géographique et historique, un terreau avec lequel il faut travailler pour développer le futur.»

Sur la maquette de l’exposition, on distingue le panorama et la maquette du site au centre. (Photo: CRIT. architects)

Sur la maquette de l’exposition, on distingue le panorama et la maquette du site au centre. (Photo: CRIT. architects)

Rappelons que ce terrain, qui appartient en grande partie à ArcelorMittal, servait il y a encore quelques années à accueillir les déchets issus de l’industrie sidérurgique. De plus, ce terrain a la singularité de se trouver à cheval sur le Grand-Duché et la France. Il est donc le parfait exemple de zone transfrontalière.

Redonner sa place à la nature

Oui, mais comment développer cet immense terrain? Les concepteurs de cette réflexion prospective proposent tout d’abord de redonner en priorité la place à la nature. «Cette friche est une occasion unique de porter une autre réflexion sur le développement urbain», explique Peter Swinnen. «Au Luxembourg, on voit que l’on construit beaucoup, mais cela n’aide pas nécessairement à résoudre les problèmes. Nous pensons qu’il faut donner de la liberté à la nature. Ce ne doit pas être le bâti ou la nature, mais le bâti et la nature.»

Pour approfondir cette remarque, ils ont invité le jardinier Jan Minne à réfléchir avec eux. Il propose dans un premier temps de laisser la nature reprendre ses droits sur le site, de laisser la végétation se propager de manière spontanée. Quelques années après, peut-être 10 ou 15 ans plus tard, une intervention ponctuelle et ciblée peut être menée. Par la suite, des interventions volontaires permettent de renforcer cette nature spontanée et de la rendre robuste, durable. «C’est une évolution en différentes étapes, qui nécessite du temps. Cela implique qu’il faut accepter de développer avec un tout autre rythme que ce que nous faisons actuellement. C’est une invitation à tester à l’échelle 1:1 une nouvelle manière de faire», souligne Peter Swinnen.

Réfléchir au bâti

À partir de cette nouvelle écologie du territoire, il est possible d’y implanter du logement, tout en interrogeant la densité nécessaire et en développant de manière intégrée. Aussi, les architectes proposent de réfléchir à ne pas combler le vide qui va être créé par la dépollution du terrain, mais au contraire à conserver ce «cratère» et à s’en servir comme d’un élément constitutif du paysage.

«Nous proposons de poser l’habitat adossé à ce nouveau relief de plusieurs mètres de profondeur et de prendre cette topographie comme une chance à exploiter», détaille David Peleman. Les typologies d’habitat suggérées ne sont pas nouvelles, mais simplement la synthèse d’expériences déjà menées ailleurs. «Nous pourrions nous inspirer du sanatorium d’Alvar Aalto, par exemple, d’Ivrea d’Olivetti, ou encore des logements de Willy Van Der Meeren», indique Peter Swinnen.

En développant cette approche, les architectes proposent un urbanisme du «taking care», qui prend soin. «L’idée n’est pas non plus de transformer chaque habitant en jardinier, mais de proposer un cadre d’habitation où la nature est beaucoup plus présente qu’elle ne l’est aujourd’hui. Mais pour cela, il faut recalibrer la balance économique, écologique et sociale. Pour que le projet soit durable, nous suggérons d’utiliser l’échelle de temps de la nature, et non celle du bâti. Il est certain que si on passe aujourd’hui ce projet sous le scanner des intentions politiques et économiques actuelles, cette approche n’a aucune chance. Mais si on se laisse l’opportunité d’essayer de réfléchir autrement, alors peut-être que quelque chose de nouveau peut émerger», éclaire Peter Swinnen. «Nous sommes bien conscients que ce projet n’est pas une réalité applicable à l’heure actuelle. C’est une invitation à se poser des questions et à avoir une certaine volonté et vision politiques aussi. Cette installation est une machine à penser, à entamer la discussion, un modèle à débat. En aucun cas il ne s’agit d’une proposition clés en main à appliquer à la lettre.»

Et il poursuit: «Il est aussi de notre responsabilité de réinterroger les modèles existants, même avec une certaine naïveté, d’oser sans gêne. Il s’agit d’une provocation positive et proactive. Une invitation à repenser l’histoire de la région, à accepter le temps long, à garder l’espace ouvert et à utiliser ce site comme un laboratoire. Certaines idées peuvent prendre du temps à mûrir. Et toutes ne doivent pas nécessairement être utilisées. Mais au moins, nous semons des graines.» À voir ce qui poussera…

«Red Luxembourg», du 24 mars au 20 mai, à la Kulturfabrik